Fact-checking : une tortue banale peut-elle devenir une tortue ninja ?

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Fact-checking : une tortue banale peut-elle devenir une tortue ninja ?

Ok, la science fait des miracles. Mais peut-elle transformer une tortue tout à fait merdique en machine à distribuer des high kicks de 1m80 ?
Genono
par Genono

Vous vous souvenez quand Michael Bay a annoncé que dans son film, les Tortues Ninja ne seraient plus des mutants, mais des extra-terrestres ? Au delà de la polémique d'une ampleur un peu folle engendrée par cette annonce, il faut surtout se poser la question de ce qui a poussé le réalisateur à privilégier l'hypothèse alien. On pourrait évidemment supposer que dans un film si pointu et appliqué, tout tienne dans le besoin irrépressible de crédibilité scientifique de Bay. Mais techniquement, voir une espèce extra-terrestre avec des attributs physiques à la jonction parfaite entre la tortue terrestre et l'être humain n'est pas plus improbable que d'imaginer un liquide mutagène transformant les animaux en ninjas.

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Et puis, l'origine extra-terrestre, c'est bien souvent un raccourci bien trop merdique pour mettre en place n'importe quelle notion plus ou moins valable de crédibilité scientifique. Prenez Superman, par exemple. Il vient d'une planète à des milliards d'années-lumière de la nôtre, mais il a exactement la même gueule, le même gabarit, et la même coupe de cheveux médiocre que n'importe lequel de vos collègues de bureau. Même pas une couleur de peau sortant un peu de l'ordinaire (du violet, ou jaune fluo, par exemple), ou une particularité physique cool - des moustaches de lapin, ou un sexe en forme de Rubik's Cube - qui puisse nous faire dire : bordel, l'évolution s'est pas foutu de notre gueule. Au lieu de ça, on a droit une fois de plus à une théorie de l'évolution tellement convergente qu'elle nous donne l'impression de vivre dans un univers ultra chiant où tout le monde serait condamné à avoir la même gueule d'un bout à l'autre de l'espace.

Le coup du liquide mutagène est donc sacrément plus crédible, d'autant qu'il permet d'expliquer pourquoi la tortue ressemble à une tortue, étant donné qu'elle EST une tortue. Et puis, de manière générale, les mutants sont toujours plus cool que les extraterrestres. Les Street Sharks versus Les Zinzins de l'espace ? C'est plié d'avance. Rocksteady contre Jar Jar Binks ? Bitch, please. Alex Mack contre Vegeta ? Ok, faisons une exception pour les Sayians.

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Personne ne sera jamais aussi cool que les Street Sharks. C'est un fait scientifique.

Mais très concrètement, est-il concevable de voir un gosse se transformer en requin humanoïde ? Une testudine devenir experte en arts-martiaux ? Et si oui, par quel foutu moyen ?

L'agent mutagène

Une substance bien pratique dans la plupart des œuvres de fiction impliquant des mutants : qu'il s'agisse d'un liquide renversé dans les égouts, des radiations d'une météorite échouée dans une petite ville, ou du venin d'une araignée radioactive, l'agent mutagène est généralement hyper efficace. Il transforme n'importe quel plouc en super-héros, et n'importe quel petit animal merdique en machine de combat détentrice d'une ceinture noire en baston vénère. Dans la réalité, c'est un brin plus compliqué. Un agent mutagène, quel qu'il soit, induit des mutations génétiques aléatoires au sein de l'organisme. Selon Florian Bernard, doctorant en génétique, ce qui est particulièrement important de noter ici, c'est le mot "aléatoire". Les mutations peuvent en effet toucher des zones du génome qui ne sont pas exprimées, ou n'avoir aucune conséquence sur la protéine produite à partir de la séquence d'ADN touchée - concrètement, ça signifie que la mutation génétique n'aura aucun effet sur l'organisme touché. Une balle à blanc, une éjaculation stérile.

Mais la mutation génétique peut aussi toucher une région ou un gène qui entrent directement en jeu dans la survie de l'animal ou de l'homme en question - en engendrant des dysfonctionnements moteurs ou cérébraux, ou bien en perturbant le fonctionnement d'un organe vital. Plutôt que de se retrouver avec des super-pouvoirs géniaux, le mutant aurait plus de chances de se retrouver avec des intestins faisant mal leur travail - et donc avec une chiasse monumentale jusqu'à la fin de ses jours. Beaucoup moins classe qu'être un requin de deux mètres de haut avec une paire de rollers.

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Et puis, la conséquence la plus fréquente des mutations génétiques aléatoires est l'apparition tout aussi aléatoire de cancers dans l'organisme touché : selon Tania Louis, docteure en biologie, « les organismes pluricellulaires ont des mécanismes de défense vis-à-vis des mutations, ce qui limite leurs conséquences. S'il y en a peu, elles sont réparées. S'il y en a trop pour ça, les cellules peuvent déclencher un processus de mort cellulaire programmée qu'on appelle l'apoptose. Et si les mutations empêchent ces mécanismes de protection de fonctionner normalement, la cellule touchée va accumuler les mutations et potentiellement devenir cancéreuse ».

En gros, si vous considérez que perdre ses cheveux et trente kilos est un super-pouvoir acceptable, libre à vous de vous exposer à une substance mutagène suffisamment forte… qui, en l'état actuel de nos connaissances, n'existe pas. Ce qui est tout de même une bonne nouvelle, sauf pour les amateurs de science-fiction et les cancérologues.

La manipulation génétique

L'agent mutagène se révélant complètement incontrôlable et potentiellement mortel, il faudrait une chance incroyable pour tomber sur LA bonne mutation qui n'ait que des effets positifs sur l'individu. Et encore, rien n'indique que ce serait hypothétiquement possible.

L'idéal serait donc de donner un petit coup de pouce aux mutations en les guidant, un truc du style : "ne touche pas aux intestins, concentre-toi sur la masse musculaire et l'intelligence". La manipulation génétique apparaît donc comme l'outil le plus logique. Concrètement, ça consisterait à ajouter à l'organisme les fonctions qui nous intéressent, sans toucher aux régions que l'on veut préserver du changement. Florian Bernard estime que l'utilisation de CRISPR-Cas9, une enzyme spécialisée dans la découpe de l'ADN, serait le meilleur moyen pour réaliser facilement ces modifications génétiques. Permettant de désactiver certains gènes, et d'en introduire de nouveaux, cette enzyme a par exemple permis à des scientifiques de créer des vaches sans cornes.

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Évidemment, quand il s'agira de sauver l'humanité face au Technodrôme de Schredder, il faudra autre chose que des bovins écornés, mais ça vous donne une idée du type d'applications possibles. Plus utile pour l'humanité, une équipe américaine a par exemple réussi à rendre des moustiques résistants au paludisme, les relâchant dans la nature pour qu'ils transmettent le gène immunisé à leurs compères.

La manipulation génétique porte donc quelques espoirs, même si elle est encore bien loin de satisfaire notre quête d'obtention d'une super-testudine. Il faudrait pouvoir manipuler un nombre incalculable de gènes simultanément, et surtout, comprendre les mécanismes qui influent sur l'expression de telle ou telle caractéristique. « Si quelqu'un possède une version particulière du gène codant pour la couleur des yeux,explique Tania Louis, il aura les yeux bleus, alors que s'il en possède une autre version il aura les yeux marrons. C'est simple, mais ça ne veut pas dire qu'on peut facilement remplacer une version par l'autre pour changer la couleur des yeux de quelqu'un ». Et si on galère déjà à changer la couleur des yeux, imaginez des changements à plus grande échelle. Upgrader l'intelligence de notre tortue par exemple, pour lui permettre de déjouer les terribles plans de Krang.

"Arrêtez d'éditer les gènes de ces tortues pour qu'elles viennent me lâcher des high kicks à la sortie du CNRS"

« Pour modifier l'intelligence de l'animal, il faudrait déjà avoir identifié la cause de notre intelligence », freine tout de suite Florian Bernard. Et ce n'est absolument pas le cas, pas même vaguement : on n'a pas la moindre preuve concrète de l'origine génétique de nos capacités intellectuelles. On n'ira donc pas bien loin, même avec la fameuse CRISPR-Cas9. Ce système permet, certes, de modifier le gène de notre choix, mais si on ne sait pas auquel toucher… on n'est pas plus avancé.

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Pour Tania Louis, il n'existe pas de gènes de l'intelligence. « En revanche, je suis certaine qu'il existe des gènes, identifiés ou non, qui influencent les mécanismes moléculaires qui ont lieu dans notre cerveau, et par conséquent, qui modulent l'efficacité de nos processus cognitifs. Est-ce qu'on peut rendre plus intelligent en modifiant certains de ces gènes ? Peut-être. Mais peut-être qu'à une toute petite différence près on peut aussi causer des désastres ». Avec beaucoup, beaucoup de chances – équivalentes à gagner tous les jours pendant trente années de suite au Loto -, on pourrait donc tomber sur un mini-Einstein à carapace. Dans tous les autres cas, on aura donc, au mieux, un monstre génétique – l'équivalent reptilien de bio-Broly.

Les croisements inter-espèces

Comme son nom l'indique, la tortue ninja est mi-tortue, mi-ninja. La méthode la plus logique pour créer un personnage comme Donatello serait donc d'obtenir un hybride viable entre l'homme et la tortue. L'accouplement naturel entre ces deux espèces n'ayant jamais abouti à quoi que ce soit – et pourtant, la légende raconte que certains ont essayé et qu'il y a même des vidéos pour qui se donne la peine de chercher -, l'hybridation par manipulation génétique se présente comme la piste à tenter absolument si l'on veut aller au bout de notre projet.

« En recherche fondamentale, explique Tania Louis, on utilise beaucoup une petite protéine fluorescente verte, la GFP (Green Fluorescent Protein), qui est codée par un gène de méduse. On est aujourd'hui capables de la faire exprimer à de nombreux autres organismes, y compris des animaux comme les souris. Autrement dit, on sait intégrer un gène de méduse dans une souris. ». Envisager d'intégrer ce même gène de méduse à un être humain est par conséquent envisageable. Reste à comprendre l'intérêt de la fluorescence pour l'homme – pratique pour les ouvriers qui bossent sur les autoroutes la nuit, par exemple - mais encore une fois, là n'est pas la question. La véritable problématique ici, c'est de comprendre si un homme pourrait se retrouver avec une carapace de tortue de plus d'un mètre dans le dos, ou inversement, si une tortue pourrait tout à coup grandir, devenir bipède, et se nourrir exclusivement de pizzas.

Une image vaut mieux que mille mots.

La simple question de la taille et de la morphologie pose déjà d'énormes problèmes : pour Tania Louis, « la physionomie se met en place très tôt, il n'existe pas d'exemples de modification a posteriori de la physionomie d'un individu grâce à la génétique ». Transformer une tortue adulte en tortue-ninja adulte serait donc improbable. Pour faciliter les choses, on se pencherait donc évidemment sur la manipulation génétique in-vitro. Modifier le fœtus, voire même le spermatozoïde ou l'ovule, afin que l'individu en question croisse de la manière souhaitée. Malheureusement pour tous les fans de science-fiction, cette éventualité n'est pas plus crédible que le reste : « On peut influencer la morphologie en sélectionnant des cellules-œufs avant de les implanter dans un utérus, on pourrait sans doute changer une caractéristique en modifiant un gène dans une cellule-œuf avant implantation, mais pas provoquer des modifications de physionomie après coup. Histoire d'ajouter à la complexité de tout ça, certaines caractéristiques dépendent de l'action combinée de plusieurs gènes. C'est notamment le cas de tout ce qui est quantitatif (taille, poids, masse musculaire). Pour vraiment agir sur ce genre de choses en maîtrisant ce qu'on fait, il faudrait connaître tous les gènes impliqués et savoir quelles sont leurs influences respectives… Et on n'en est vraiment pas là. »

Malgré des questions éthiques évidentes, CRIPSR-Cas9 a déjà été utilisée pour travailler sur des embryons humains. Si les études se limitent - officiellement, du moins, car le gouvernement américain cache forcément quelque chose aux gens qui n'ont pas de chapeau en aluminium sur le haut du crâne - aux causes de la réussite ou non des fécondations in vitro, les possibilités offertes par cette enzyme sont folles. Pour donner vie à Donatello, il faudra certainement passer par l'œuvre solitaire d'un savant fou rejeté par la communauté scientifique, entraînant quelques "loupés" monstrueux qu'il faudra euthanasier. Mais on ne va pas se mentir : le jeu en vaut la chandelle.