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Comment l'Histoire de France a façonné "Dishonored 2"

Les concepteurs de Dishonored 2 nous racontent comment ils ont créé l'un des univers vidéoludiques les plus passionnants, en s'inspirant de l'histoire et l'architecture françaises.

Dishonored est sorti en 2012, mais son univers est vieux. Vraiment vieux. L'un de mes trucs préférés dans Dishonored, c'était d'explorer la ville, la métropole industrielle de Dunwall. Capitale en pleine révolution industrielle, Dunwall était un carrefour de science, d'imaginaire et de créativité aux accents steampunk. Des lampes à huile éclairaient les chemins parcourus par les joueurs alors qu'ils rôdaient dans la ville, dans le but de trouver et d'assassiner des politiciens et des industriels corrompus. Cet environnement très dense, aux innombrables appartements et fenêtres de maisons donnaient aux joueurs un excellent prétexte pour explorer librement la ville - ainsi qu'un vaste choix de façons d'approcher discrètement de leurs cibles.

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Quand Dishonored 2 sortira en novembre, les joueurs pourront à nouveau retourner à Dunwall, mais aussi et surtout explorer de nouveaux lieux et une nouvelle époque. La nouvelle ville est baptisée Karnaca, mais en vérité, l'action de Dishonored se déroule en France.

Arkane Lyon, le studio qui a développé Dishonored, se trouve dans le sud-est de la France, plus près des frontières suisse et italienne que de Paris. Cela fait 7000 ans que l'Homme vit dans la région. Lyon est une ville cernée par l'Histoire, et c'est précisément de cela qu'Arkane Lyon a souhaité s'inspirer au moment de créer le monde fictionnel de Dishonored.

Image: Arkane Lyon.

Avant même de commencer à créer quoi que ce soit, le game designer Harvey Smith et le scénariste Sachka Duval ont écrit une histoire de leur univers remontant sur 4000 ans. "Évidemment, le jeu lui-même ne se déroule pas sur 4000 ans, mais cela permet de donner l'impression au joueur qu'il explore la partie émergée d'un iceberg", explique Smith. C'est d'ailleurs exactement ce que ressent Smith, qui est américain, en vivant en France. L'Histoire y est omniprésente, ce que les Américains ont parfois du mal à comprendre.

"Les villes américaines sont très différentes, la culture américaine aussi, dit-il. Au départ, on ne s'en rend pas compte. En surface, une ville est une ville, on voit surtout les points communs. C'est ce qui est trompeur. Quand on construit une ville américaine, on le fait avec du bois, parce que c'est ce qu'on a. Et quand un bâtiment vieillit, il est plus facile et logique de le détruire et de le remplacer que de le rénover. Hop, on casse tout et on élargit. C'est comme ça que nous avons tout construit en Amérique."

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Les Français, eux, bâtissent avec de la pierre. "Je vis dans un appartement dans le centre-ville de Lyon qui existe depuis 300 ans, raconte Smith. Et la rue n'a pas été élargie depuis. C'est comme ça. Quand un gars arrête son camion dans la rue pour une livraison, tout le monde klaxonne. Ça me rend dingue parce que c'est absurde, mais qu'est-ce qu'on peut y faire ? On ne va pas raser des bâtiments vieux de 500 ans."

C'est précisément le fait d'avoir réfléchi à la largeur des rues et aux aspects pratiques de la vie quotidienne qui rend le monde créé par Arkane aussi authentique. Arkane pense le moindre détail, même à l'échelle individuelle. Pour chaque personnage du jeu, l'équipe se pose toute une série de questions : quand ce garde prend-il sa pause ? Où cette personne va-t-elle aux toilettes ? Dans un vieux bâtiment, les toilettes ne sont pas toujours très pratiques, mais il faut bien qu'il y en ait. En plus de modeleurs 3D et de dessinateurs, l'équipe d'Arkane comprend des designers industriels et des architectes.

Image: Arkane Lyon.

La ville étant composée d'une série d'îles couvertes de bâtiments en pierre, il n'y a pas d'espace vierge sur lequel construire de nouvelles structures. Alors, les personnages de Dishonored réinvente des lieux déjà existants. Ils font avec ce qu'ils ont, et chacun laisse sa marque sur les bâtiments au fil des siècles.

Smith se base sur sa propre expérience. L'immeuble lyonnais vieux de trois siècles dans lequel il vit est une énorme structure unique divisée en grands appartements. Le seul moyen de passer d'une entrée de l'immeuble à l'autre était généralement de sortir, de faire le tour par le trottoir, et de rentrer de l'autre côté du bâtiment.

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"Les canuts se tuaient à transporter des produits dans les immeubles, alors ils ont creusé des chemins complètement dingues, s'émerveille Smith. Vous entrez dans un passage, vous vous retrouvez dans une petite cour bizarre, et là vous tombez sur des escaliers qui vous amènent vers l'autre côté de l'immeuble."

Ces passages sont baptisés traboules, et sont typiques de Lyon. Les traboules sont entrées dans la légende au cours de la Seconde guerre mondiale, quand les résistants français s'en servaient pour se déplacer rapidement sans être vus. Certaines servent encore d'entrée dans des immeubles d'habitation, mais la plupart des traboules sont désormais ouvertes au public et attirent de nombreux touristes.

La plupart des jeux vidéo ne s'embarrassent pas d'univers aussi détaillés, mais les designers français du jeu ne l'envisageaient pas autrement. "Cela fait partie de notre culture, je suis moi-même lyonnais, et on n'y a même pas réfléchi. Quand on vit ici, on voit ce genre de détails, de spécificités au quotidien", explique Sébastien Mitton, le directeur artistique d'Arkane Lyon. Smith décrit Mitton comme n'étant "pas le genre de mec qui regarde le film Aliens et se dit qu'il va faire un jeu". Mitton préfère étudier les peintres classiques.

Image: Arkane Lyon.

"Vous ne pouvez pas construire une ville si vous n'imaginez pas son passé, affirme Mitton. Pour Karnaca, nous avons d'abord imaginé à quoi elle ressemblait deux siècles avant le début de l'action du jeu. Des vagues de colons et d'immigrants ont façonné la ville… Cela explique que différents types d'architecture cohabitent. Si vous visitez Lyon, vous y verrez des quartiers très divers, chacun ayant sa propre histoire."

Il a fallu environ un an à l'équipe pour mettre en place les bases de cette histoire, mais c'est un processus qui ne s'arrête jamais. Une fois les fondations posées, l'équipe ne s'inspire plus du monde extérieur, mais du jeu lui-même. Quand les concepteurs se demandent à quoi devrait ressembler tel ou tel lieu, tel ou tel bâtiment, ils se penchent sur l'univers fictif pour alimenter leur imagination. S'il y a des forêts à proximité, alors ce nouvel endroit a des chances d'être bâti et décoré avec du bois. S'il y a une mine d'argent dans les parages, les meubles et les bijoux seront ornés d'argent.

La plupart de ces détails échappent aux joueurs. Smith estime qu'un joueur qui finira Dishonored 2 n'aura probablement vu qu'un quart du monde que lui et son équipe ont conçu, mais ça ne l'empêche pas de dormir - bien que "ça rende fous les gens qui gèrent l'aspect financier chez nous."

Mitton est du même avis, et se réjouit d'avoir créé un univers aussi riche, même si ce n'est que pour quelques joueurs qui sauront l'apprécier.

"La philosophie d'Arkane, c'est de "dire oui aux joueurs", dit Mitton. Certains vont aller le plus vite possible et faire ce qu'ils ont à faire, tandis que d'autres aiment explorer, traiter le jeu davantage comme un RPG, se plonger dans l'histoire, le folklore. Nous imaginons toujours un joueur qui ne joue même pas vraiment, qui se promène juste. À n'importe quel moment, vous pouvez entrer dans un appartement, et vous y verrez des choses. Si cet appartement était vide, ça serait nul. Et le fait que des joueurs voient que nous avons créé toutes ces choses, c'est une victoire pour nous."