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Des chercheurs ont découvert la preuve de l'existence d'une particule-antiparticule

“Cette découverte met un terme à l’une des campagnes de recherche les plus intensives de l’histoire de la physique fondamentale. Elle a duré exactement 80 ans.”
Image : Wayne England/Flickr

En 1937, le physicien italien Ettore Majorana a prédit qu'il existait des particules qui sont leur propre antiparticule. Déjà à cette époque, cette affirmation ne manquait pas d'audace : la première antiparticule a été découverte par accident en 1932, quatre ans seulement après que le physicien Paul Dirac a théorisé leur existence. Pendant les 80 années suivantes, la particule-antiparticule a fait courir les scientifiques. Cette course est désormais terminée.

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Dans un article publié la semaine dernière par la revue Science, une équipe de physiciens venus des universités d'Irvine, de Los Angeles et Stanford détaillent comment ils ont découvert la première preuve solide de l'existence du "fermion de Majorana". Leur travail va peut-être permettre d'accélérer le développement des ordinateurs quantiques.

En physique, les particules fondamentales sont classées en deux catégories : les bosons et les fermions. On les différencie grâce à leur moment cinétique, ou spin. Chaque particule issue de ces deux familles a une jumelle maléfique, une antiparticule à la masse identique mais à la charge électrique opposée. Lorsqu'une particule et une antiparticule se rencontrent, elles s'annihilent dans une décharge d'énergie.

Majorana a prédit que la famille des fermions, à laquelle appartiennent les protons, les neutrons, les électrons et les quarks, comptait aussi un membre tout à la fois particule et antiparticule. Le physicien pensait que ce vilain petit canard était de charge électrique nulle, comme un neutron ou un neutrino. En 1956, des physiciens affiliés au laboratoire national de Lawrence Berkeley ont mis la main sur l'antiparticule du neutron. Le neutrino est alors devenu le premier candidat au titre de fermion de Majorana ; quatre expériences visant à le prouver continuent à ce jour.

L'une de ces expériences, l'EXO-2000, repose sur une machine remplie de 110 kilogrammes de xénon liquide. Son but est de mesurer la demi-vie des isotopes du xénon. En plus d'être imposante, compliquée et coûteuse, elle ne donnera sans doute pas de résultats avant une décennie.

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Il y a quelques années, des physiciens des universités d'Irvine, de Los Angeles et Stanford ont découvert que les fermions de Majorana pourraient peut-être naître d'une manipulation de certains matériaux atypiques comme les supraconducteurs. En bons expérimentateurs, ils ont décidé de tenter le coup.

Nos aventuriers du fermion fantôme étaient à la recherche de ce que les physiciens appellent les "quasiparticules". Ces entités surgissent de la cohue ordonnée que forment des électrons lorsqu'ils se déplacent dans un médium physique. Elles sont dotées de propriétés propres aux particules, comme la quantité de mouvement, mais elles ne sont pas des particules. Pensez à une bulle dans un verre de bière : elle est moins une "entité" indépendante que le résultat du déplacement des molécules qui forment le liquide "bière" par un dégagement de dioxyde de carbone. Reste que la bulle possède des caractéristiques observables constantes entre son apparition et son arrivée au sommet de votre pinte.

Pour appréhender ces quasiparticules de Majorana, les chercheurs ont utilisé des supraconducteurs, ces matériaux qui conduisent l'électricité sans la moindre résistance, et un isolant topologique qui laisse passer le courant à sa surface, mais pas en son centre.

Les chercheurs ont superposé le matériau supraconducteur et l'isolant topologique avant de placer le tout dans une chambre à vide refroidie. Lorsque le courant électrique a été envoyé, les électrons se sont mis à se déplacer sur les bords des matériaux dans des directions opposées.

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Ensuite, les chercheurs ont fait passer un aimant au-dessus de leur montage. Perturbés par le champ magnétique, les électrons ont ralenti, se sont arrêtés et ont changé de direction. Cette réaction, que l'on pourrait croire instantanée, s'est déroulée en étapes brusques et facilement observables. C'est elle qui a entraîné l'apparition de paires de quasiparticules de Majorana : sortis du film supraconducteur, ils voyageaient sur l'arête de l'isolant topologique.

Comme les électrons, les quasiparticules de Majorana ralentissaient, s'arrêtaient et changeaient de sens à l'approche d'un aimant, mais à une vitesse inférieure. C'est ce qui a permis aux chercheurs de les observer sans doute possible.

"Notre équipe a prédit avec exactitude où trouver le fermion de Majorana et comment le chercher en suivant ses empreintes caractéristiques", écrit Shoucheng Zhang, professeur de physique à Stanford. "Cette découverte met un terme à l'une des campagne de recherche les plus intensives de l'histoire de la physique fondamentale. Elle a duré exactement 80 ans."

Zhang et ses collègues affirment que leur découverte pourrait être utilisée pour créer des ordinateurs quantiques résistants aux perturbations environnementales. Cela ne rend pas obsolètes les autres expériences en cours, qui recherchent de véritables particules de Majorana, et pas des quasiparticules.

"Les quasiparticules qu'ils ont observées sont des excitations d'un matériau qui se comporte comme des particules de Majorana", a expliqué Giorgio Gratta, un professeur de physique de Stanford qui n'a pas participé à l'expérience, dans une déclaration publique. "Ce ne sont pas des particules élémentaires : elles sont nées grâce à un processus artificiel ayant fait intervenir un matériau conçu pour l'occasion. Il est très improbable qu'elles émergent ailleurs dans l'univers, mais qui pourrait en être sûr ? Les neutrinos sont partout."

Reste que la découverte de ce que Zhang appelle la "particule de l'ange" constitue un événement majeur en physique des particules : grâce à elle, nous disposons enfin de la première preuve de l'existence des fermions de Majorana.

"Cette expérience est l'aboutissement de la quête des fermions de Majorana, qui a duré de nombreuses années, a déclaré Tom Devereaux, le directeur du Stanford Institute for Materials and Energy Sciences, où Zhang a réalisé ses travaux. "C'est un événement pour ce domaine."