Le grand retour des loseuses à l’écran

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Le grand retour des loseuses à l’écran

Depuis quelques années, les séries télés et le cinéma s'attachent à définir une nouvelle trope féminine. Incarnée par Lena Dunham dans Girls ou Natasha Lyonne dans Antibirth, cette nouvelle figure se joue des attentes traditionnelles envers les femmes...

La première diffusion de Girls en 2012 a lancé un débat, qui dure depuis cinq ans, sur la façon dont les femmes sont présentées et jugées à l’écran. Les papiers d’opinions ainsi que des tentatives de moralisation superficielles ont afflué, et au milieu de cette tempête une nouvelle rhétorique a émergé : celle de la paresse féminine, qui a donné naissance à un nouveau genre de personnages. À l’époque Lena Dunham en était la tête de proue, bien que la jeune adulte, exceptionnellement douée, ne représente pas du tout l’apathie créative qu’on prête généralement à ce genre de personnages. Cette même année, une journaliste de The Guardian écrivait : « La mine défaite et la culotte de cheval de Dunham ne devraient pas paraître extraordinaires, mais elles le sont : elles nous rappellent que ce côté désinvolte et léger peut, en fait, dénoter une grande radicalité. »

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Les choses ont clairement changé. Il existe aujourd’hui un tout nouveau genre de comédie « féminine » dont l’avènement a été porté par des séries comme Broad City et des femmes comme Amy Schumer ou Dee Reynolds – personnifications de ce nouvel abandon hédoniste féminin. Parfois charmantes, souvent vilaines, elles ont toutes rejeté de manière radicale les représentations habituelles des femmes à l’écran. Elles ne sont ni prudes, ni mégères, ni vierges ou saintes. Elles préféraient de loin manger un burrito débordant au lit plutôt que de faire l’amour en gardant leur soutien-gorge.

Mais au fil des années, cet archétype a connu un destin familier : il a été galvaudé et s’est épuisé. Des failles se sont développées et cet archétype s’est vite retrouvé au rang de gimmick, comme il fut le cas de la très critiquée Manic Pixie Dream Girl ou la Sassy Best Friend .

Avec la fin de Girls ce mois-ci, il est très tentant de retourner sur l’évolution de cet archetype féminin – de ces débuts à 2017 — et de voir comment la série a participé à révolutionner l’image de la femme à l’écran. Dans son l’histoire, la figure de la loseuse ou de la femme désinvolte trouvait ses limites dans ses origine : elle était souvent privilégiée et dotée des atouts physiques et culturels lui permettant de ne rien faire tout en gardant son charme intact. Visiblement, tout cela semble avoir changé aujourd’hui.

Il y a cinq ans, la flemmarde misfit avait son équivalent masculin : une création de Judd Apatow qui ne faisait pas beaucoup plus que de fumer de l’herbe et faire l’amour à Alison Brie. La seule différence est que la représentation contemporaine de la nonchalance féminine traite avec beaucoup de sensibilité des sujets que sont la santé mentale, le sexe, l’anxiété et le poids de la pression sociale que subissent les femmes.

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Personne ne représente cela de manière aussi évidente que Mickey, dans la série Love. Jouée avec une énergie frénétique par Gillian Jacobs, cette femme fume effectivement beaucoup d’herbe et passe aussi beaucoup de temps à papillonner. Cependant sa motivation principale n’est pas la folie des grandeurs mais plutôt l’espoir grandissant de remettre de l’ordre dans sa vie. Il y a encore 10 ans, elle aurait été la rêveuse qui ne désire en aucun cas une vie stabilité. Aujourd’hui elle est considérée comme une personne narcissique et autodestructrice dont le manque de volonté est synonyme d’addiction et d’anxiété paralysante.

Tout le monde s’accorde à dire qu’elle incarne ce genre de jeunes filles qui, parce qu’elles peuvent en théorie tout avoir, se doivent d’avoir une ambition démesurée et de vouloir tout. Mais comme le disent toutes les féministes de la quatrième vague, les opportunités se sont certes multipliées durant la dernière moitié du 20ème siècle, mais elles ont aussi développé de nouvelles pressions pour les femmes. Vous pouvez tout avoir et c’est d’ailleurs ce qu’on attend de vous. Il vous faut récupérer tous les avantages habituellement réservés aux hommes, sans jamais abandonner la tendresse féminine qui vous caractérise. On comprend pourquoi Mickey préfère faire des aquariums dans sa voiture, en paix.

Une critique des tropes et des rêves féminins a également fait apparition dans le genre de l’horreur notamment avec des films explorant le thème de la grossesse et de la maternité. Des films comme Prevenge et Antibirth résistent à l’image de la mère parfaite et critique ce moment où, presque investies d’une mission biblique, les femmes doivent abandonner leur vie lorsque la nature décide pour elle que leur période d’autocentrisme devrait brutalement se terminer afin qu’elles remplissent, enfin, leur devoir maternel. Quand Lou, personnage principal du film Antibirth, jouée par Natasha Lyonne, se retrouve enceinte et incapable de profiter de la vie épuisante qu’elle avait pour habitude de mener jusque là, sa réaction n’est en rien égoïste (comme on aime le dire) mais tout à fait compréhensible. Et quand le magazine Vulture lui demandait juste après la sortie du film s’il s’agissait d’une allégorie de la grossesse et de l’avortement, Lyonne répondait : « Je pense qu’il commente en quelque sorte le rôle de la femme dans la société et la façon dont les gens perçoivent ses valeurs. »

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Bien qu’elle ne commente pas directement cette nouvelle forme de désinvolture féminine, Chewing Gum, la série anglaise de Michaela Coel, a été comparée à Girls pour sa représentation de la sexualité en 2017. Sortant de l’ombre de sa famille chrétienne, Tracey n’a pas vraiment d’autre but dans la vie que de perdre sa virginité et devenir une créature sexuelle. Une fois encore, il y a dix ans cette série aurait pu être la réponse anglaise à American Pie, mais non. On en a fait l’éloge pour son examen de la façon dont nous découvrons notre sexualité aujourd’hui.

Tracey s’est fait une éducation sexuelle grâce à ses amis, internet et le porno – trois sources majeures pour la plupart des jeunes femmes d’aujourd’hui. C’est ainsi que, même si leurs aventures sexuelles sont plutôt joyeuses et libres, elles sont aussi fortement marquées par la désinformation dans un monde où le sexe, les relations humaines et l’intimité sont de plus en plus superficiels. Voilà pourquoi cette série, qui parle d’une jeune femme de 24 ans qui vit chez ses parents et travaille dans une épicerie, dévoile et condamne implicitement la façon dont nous apprenons aux femmes à appréhender leurs corps.

Alors que le stéréotype de la figure de la loseuse aurait pu s’essouffler – comme celle de la femme hystérique, de l’amie asexuée ou de la belle-mère malfaisante – elle s’est étrangement approfondie et assombrie. Les scénaristes ont su résister à la tendance d’utiliser ce genre de personnage féminin pour parler de la fuite et du désengagement. Au lieu de ça, ces personnages désinvoltes, un brin dépressifs et flemmards servent à évoquer les thèmes du repli sur soi, de la pression sociale, de l’abandon et de l’exclusion. Il n’est pas uniquement question de s’emparer des réalités les plus dures pour les transformer en gags, mais plutôt d’utiliser ces derniers pour faire naître de vraies discussions autour de notre propre narcissisme, de nos peurs et frustrations. Peut-être que rester au lit et manger des Doritos est en fait une véritable prise de position sociale ?

Pour plus de Vice, c’est par ici.