Expérience extrême : 48h au festival mondial du chamanisme
Photos : Eugénie Baccot

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Expérience extrême : 48h au festival mondial du chamanisme

Comment on s'est retrouvé à faire des offrandes à mère nature avec des Mexicains et des druides au 11e Festival du chamanisme, au fin fond de la Charente-Maritime.

Il y a des matins où l'on préfère rester sous la couette. Ce samedi, à 9 heures, il pleut. Le thermomètre affiche moins de 10 degrés. En à peine 10 mètres, un petit kilo de boue s'est déjà amassé sous nos baskets. Nous sommes dans un champ au lieu-dit de La Touche, à Genac. Une bourgade de 700 habitants perdue dans la campagne charentaise où s'est déroulé le 11e Festival du chamanisme lors du dernier weekend d'avril. Devant l'entrée, une quarantaine de festivaliers de tous âges, agglutinés les uns contre les autres sous des parapluies, font déjà la queue pour recevoir des soins individuels de chamans. Ces guérisseurs en tout genre, de l'indien d'Amérique avec sa pipe à tabac au français déguisé en druide, qui revendiquent être des intermédiaires entre ce monde-ci, du profane, du quotidien, du matériel et celui du l'invisible, des esprits et de la nature. À 9h30, « les 109 soins proposés sont déjà réservés », déplore Violaine Senegas, une des bénévoles, au chaud dans une grosse veste blanche en imitation fourrure. « Les gens ne sont pas fous, argue-t-elle. Au cours des soins, ont lieu de véritables guérisons pour des infections urinaires, des problèmes de peau ou des drames personnels, ruptures sentimentales ou décès. »

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Retrouver le sourire et la santé fait donc partie des motivations des 3500 festivaliers réunis pendant quatre jours au Festival du chamanisme, le plus vieux et grand rassemblement de guérisseurs en France, organisé par le Cercle de sagesse de l'union des traditions ancestrales. Comme chaque année, le festival prend place sur un espace dit sacré : en réalité, un champ de 4 hectares sentant bon le feu de bois, loué à un agriculteur du coin sur lequel a poussé une soixantaine de chapiteaux, yourtes et tipis ainsi que des huttes de sudation, des saunas à la sauce chamanique.

Une fois le pass de 140 euros les quatre jours payé, on comprend vite que plusieurs conditions sont à remplir pour ne pas faire machine arrière : apprécier un minimum les tambours qui battent du matin au soir (l'instrument étant un outil fortement apprécié par les chamans et néochamans pour entrer en connexion avec les esprits), et être prêt à « réconcilier son féminin et son masculin sacrés », aimer la mère nature et la remercier toutes les vingt minutes (elle a aussi droit à des offrandes) et, surtout, être ouvert d'esprit. Dans une atmosphère bon enfant, les festivaliers déambulent, programme à la main, aux côtés de chamans parés de leurs plus beaux costumes. Et on assiste à des scènes surprenantes : des aborigènes, baraqués, corps scarifiés, déjeunent avec des chamans européens habillés en druides, au milieu de festivaliers en transe, en pleurs ou à moitié à poil, qui s’agitent autour des huttes de sudation.

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Photo : Eugénie Baccot

À l'origine du rassemblement se trouvent des chamans européens, vêtus en blanc, appelés déo celtes en raison de leur rattachement aux traditions celtiques. Tout débute il y a treize ans, lorsque leur chef, Patrick Dacquay, Breton d’origine et ex-homme d'affaires hyperactif, participe au rassemblement amérindien de Maniwaki au Québec, regroupant des peuples autochtones du Nord de l'Amérique. Une nuit, raconte-t-il de manière énigmatique, un rêve le bouleverse. Celui qui a adopté le nom initiatique de Soof-ta (celui qui connaît et qui mange la terre) comprend qu’il doit accomplir de nouvelles missions : « participer à réunification des peuples et à la survie des traditions ancestrales par le biais d'un rassemblement en Europe ».

En février 2007, dans un chalet au cœur du Haut-Jura, il réunit une douzaine de chamans. Naît le Cercle de sagesse de l'union des traditions ancestrales, qui regroupe aujourd'hui des guérisseurs en tout genre (praticiens en massage ayurvédique, médecins, enseignants en méditation de pleine conscience, professeurs de yoga, médiums…) et dans la foulée, le festival. Le rassemblement a d'abord lieu près de la baie de Saint-Tropez, à Trimurti, un centre de développement personnel, puis dans la ville jurassienne de Dole, au château de Fanlac en Dordogne et enfin depuis trois ans à Genac. Le rassemblement prend de l'ampleur : le festival, c'est 200 couchages réservés pour les chamans et leurs assistants dans un rayon de 20 kilomètres, 200 000 euros de dépenses et beaucoup d'huile de coude.

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En cette édition 2018,180 intervenants ont fait le déplacement jusqu'à Genac. Parmi les très nombreux guérisseurs, on peut rencontrer Ninawa Pai Da Mata ou encore Didier Rauzy respectivement venus du Brésil et du département de l'Ain. Ninawa Pai Da Mata fait partie de la tribu des Huni Kuin. Pour atteindre son village Novo Futuro, construit le long de la rivière Humaità en Amazonie brésilienne, il faut compter quatre jours en pirogue. À l'âge de 17 ans, il a été reconnu pajé (équivalent de chaman) à la suite d'un processus très éprouvant. Son corps et son esprit ont été renforcés par le biais de diètes réalisées dans le village et la jungle. Il a pu se nourrir de racines, de fruits et d'ayahuasca.

Le parcours de Didier Rauzy est moins exotique. Pendant quinze ans, il travaillait pour l'armée de l'air en tant que technicien supérieur en informatique, activité qu’il a du arrêter à cause de problèmes de santé. Il a découvert le chamanisme en 2002 aux Rencontres des gardiens de la terre en Ariège. Là, aux côtés d'un groupe de 200 personnes, il a vécu un très mauvais trip. « Je me suis retrouvé dans la peau d'un chevalier cathare en train d'être torturé », confie-t-il. Il a poussé un cri. C'était la nuit. Il avait 43 ans. Après des années de cheminement spirituel, il a rencontré Patrick Dacquay, le fondateur du festival, qui l'a initié au deoceltisme. Le chamanisme lui a permis de combattre ses peurs les plus profondes comme le noir, la mort, le feu, le froid, l'eau, grâce à des rituels. Durant l'un d'eux, il été enterré vivant durant trois heures sous terre muni d'un tuba pour l’oxygéner. Six mois plus, il fait des tonneaux sur l’autoroute mais raconte n'avoir ressenti aucune peur. Cette année, Didier propose une initiation aux rituels celtes, basés sur trois cercles (le monde visible, le monde invisible et le monde blanc) et trois boucliers (force, amour et conscience).

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Photo : Eugénie Baccot

Cet atelier fait partie des 368 cérémonies très zen, enseignements, ateliers et films chamaniques qui ont lieu durant le festival. En épluchant l'imposant programme de 55 pages, on se rend compte qu'il est possible d'assister à une vidéo-conférence sur « les ovnis et le nucléaire : des êtres de la nature surveillent les hommes » ou encore de prendre part à un atelier de chamaniclown, une initiation à la prise de conscience par le jeu de clown. Finalement, on décide d'aller suer dans une hutte de sudation.

Durant au moins deux heures, une quarantaine de participants, hommes et femmes, à moitié nus, s’enfoncent dans une tente plongée dans l'obscurité. Au centre, s'entassent des pierres chauffées préalablement au feu de bois, arrosées au fur et à mesure de la cérémonie. Autant vous dire qu'il fait extrêmement chaud à l'intérieur et que pour survivre, les festivaliers chantent, poussent des cris et se racontent leur vie. Plus tard dans la journée, on enchaîne sur soin avec une déo-celte Belge de 66 ans. Dans une tente Quechua, elle fume la pipe à tabac pour savoir quel soin nous procurer, ensuite, la guérisseuse nous allonge sur un matelas et fait chanter son tambour pendant une bonne heure. Voilà.

Le programme n’est pas terminé puisque le vendredi, à 11 heures, on enchaîne sur une table ronde intitulée : « Épuration ethnique, culturelle, spirituelle des peuples premiers ». Sur scène, un aborigène, un représentant de la Polynésie française, des Pygmées et des Yézidis d'Irak prennent tour à tour la parole devant une trentaine de festivaliers assis sur de banales chaises en plastique blanches. Un Yézidi parle en anglais de Daech, de génocide, de maisons détruites, de femmes kidnappées. Le Polynésien explique comment le français fut imposé à son peuple : « La langue de la réussite, celle qui allait nous ouvrir au monde » ironise-t-il. L'aborigène, souligne notamment qu'un enfant sur cinq a été enlevé à sa famille entre 1905 et 1970. Puis débarque un déo celte, aux longs cheveux bruns, probablement sorti tout droit du Seigneur des anneaux. « Nous druides aussi ont été pourchassés, brûlés sur des bûchers et beaucoup de nos lieux sacrés ont été dévastés » témoigne-t-il d'une voix larmoyante. Grand silence dans l'auditoire. Pas l’ombre d’un ricanement.

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Il ne faudra pas non plus rigoler quand on apprendra qu'étant donné que le festival a lieu sur un espace sacré, l'alcool est interdit tout comme les cigarettes et les portables, pour ne pas brouiller les flux énergétiques. On se rabat alors sur du thé chaï, du jus de betterave et du bissap, un breuvage à base d'oseille de Guinée, une plante d’Afrique de l’Ouest. On a la délicatesse d'aller griller une cigarette dans le coin fumeur situé tout en haut du festival. Puis, on essaye d'envoyer des textos en scred sans se faire remarquer par les 110 bénévoles présents sur le site.

Photo : Eugénie Baccot

Bizarrement, le festivalier ne ressemble pas forcément à un mec en dreadlocks et sarouel. On a croisé des quadras, diplômés de l'Essec ou un cool kid marseillais qui se fascine pour l'anthropologie et cite Deleuze. Pour Lætitia Merli, anthropologue et chercheuse associée au Centre Norbert Elias, croisée lors du rassemblement, le chamanisme s'est démocratisé : « S'il fait des émules, c'est que ce mouvement est souple et libre, n'a ni dogme, ni d'institution hiérarchisée et accorde une grande place à la nature. » Ce type de festival peut attirer, selon la spécialiste, des passionnés des traditions ancestrales, des écolos, des personnes qui cherchent à se soigner mieux, manger mieux, vivre mieux ou des déçus du système, qui en ont marre d'une culture dominante ou souhaitent, par exemple, sortir des lobbies pharmaceutiques.

Frédéric Lienhardt, 18 ans, originaire de Brunoy dans l'Essonne (91) raconte qu'il se trouve aujourd'hui dans « une démarche d'éveil spirituel » suite à un épisode dépressif. La philosophie bouddhiste de l'instant présent l'aide à apaiser ses angoisses. Il y a aussi Lydia Ervalho, 28 ans, bénévole munie d'un grand bâton en bois. Elle était gestionnaire de paye, elle est aujourd'hui magnétiseuse à Rambouillet (66) : « À l'époque où je voulais changer de métier, j'ai consulté un astrologue qui m'a dit de travailler dans le domaine de l'énergie », raconte-elle d'une voix très douce. Le festival lui permet de faire « un bon rééquilibrage énergétique ». Elle a l'impression qu'ici tout est juste, qu'il y a une synchronisation parfaite entre les personnes et les activités. « Être sur le domaine est déjà un soin, car tout le festival a été béni par les chamans ».

Le samedi, au milieu d'un chapiteau noir de monde où l'on peut acheter des objets rituels fabriqués par les chamans, on croise Patrick Dacquay, le fondateur du festival, en train de vendre les livres dont il est l’auteur, comme « Paroles d'un grand-père chaman. Aux enfants et petits enfants de la terre ». On sent que le déo-celte, qui a attrapé un gros coup de soleil, est à deux doigts de craquer. « Chaque année, je me dis que c'est trop gros, je ne veux plus que ça grossisse », lâche-t-il. Puis, quelques minutes après, il se ravise : « Mais mon destin est d'être au service des traditions ancestrales. » Comme le groupe de Téléphone qu'il adule, il rêve d'un autre monde peuplé de huttes de sudation, de free hugs, d'offrandes à la terre mère, de Pygmées et d'Amazoniens, qu'il continuera de bâtir avec les festivaliers. De notre côté, beaucoup moins d'utopie. On ressortira du festival couvert de boue, une odeur de feu de bois dans les cheveux et des paroles incompréhensibles de chants amazoniens gravée dans la tête : « Oï ma poto maï maï, oï a né a né a né… »