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Je ne peux pas rendre visite à mes fils en prison à cause de PV impayés

Une mère atteinte d’un cancer en phase terminale pourrait ne jamais revoir ses enfants incarcérés à cause de dettes qu’elle ne pourra jamais rembourser.
EH
propos rapportés par Eli Hager

Cet article a été publié en collaboration avec le Marshall Project.

Pour rendre visite à un détenu de la prison d'État du Michigan, il faut remplir un formulaire et l'envoyer au Département de l'administration pénitentiaire avec une enveloppe pré-adressée. Quelques mois après que j'ai envoyé mon courrier, on m'a retourné un bout de papier disant que ma demande était refusée et que je ne pouvais pas voir mes fils, Harvey et Antwan, tous deux incarcérés.

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Vous ne pouvez pas voir vos fils, m'ont-ils dit, car vous avez une dette impayée.

Je n'ai jamais commis de crime. Mon casier ne mentionne que des PV : amende de stationnement payant, absence de plaque d'immatriculation, absence de preuve d'assurance, et quelques autres – tous datent d'il y a plus de quatre ans. Je n'ai commis aucune violation du Code de la route, aucun excès de vitesse.

Mais je dois 1 485 dollars.

J'ai 64 ans et j'ai vécu à Détroit toute ma vie. J'ai été réceptionniste pour les services sociaux de la ville, pionne dans un lycée et aide soignante dans un centre de soins. J'ai également travaillé dans un magasin de volailles pendant un temps. J'ai travaillé pendant très longtemps.

Mais aujourd'hui, j'ai le cancer – des tumeurs ovariennes. Je suis très malade. C'est très douloureux et je suis sous traitement. Je ne sors presque plus.

De fait, je suis incapable de travailler et d'avoir un revenu fixe. Depuis plusieurs années, je reçois une pension d'invalidité de 735 dollars par mois, dont 525 partent dans le loyer. Ajoutez à cela cinquante dollars et des poussières pour la facture de téléphone, suivis des courses, des articles de toilette, des transports. Je dois également payer certains de mes médicaments, alors même que j'ai une assurance maladie.

Je n'ai tout simplement pas de quoi rembourser ces PV impayés.

Le fait de ne pas pouvoir voir mes enfants, avec tout ce qui me pend au nez, est dévastateur. Je ne sais pas s'il me reste encore longtemps à vivre, et je serais bouleversée si je ne les revoyais plus jamais, si je ne les prenais plus jamais dans mes bras.

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Mes garçons sont incarcérés dans deux prisons différentes, chacune se trouve à environ deux heures de chez moi. Je leur parle au téléphone, mais très peu, car chaque appel coûte trois ou quatre dollars. Et surtout, ça ne compense pas le fait de les voir, d'avoir de leurs nouvelles.

Un de mes garçons a été enfermé en isolement (au « trou », comme on l'appelle), dans une petite pièce, tous les jours pendant six mois. J'étais morte d'inquiétude ; je ne pouvais pas lui parler. Ça l'a beaucoup affecté – il parlait de commettre un suicide et autres idées folles. Si j'avais pu lui rendre visite, j'aurais pu le réconforter.

C'était si dur que j'ai commencé à regarder des vidéos YouTube sur ce qu'était la vie d'un être humain dans une petite cellule avec juste une petite toilette. Qu'arrive-t-il aux êtres humains, afin que je puisse savoir ce qui arrivait à mon fils.

On ne peut pas faire grand-chose lors d'une visite de prison, mais on peut acheter des bonbons et du pop-corn, de sorte à leur faire oublier cet environnement ne serait-ce que l'espace d'un instant. J'aimerais m'entretenir avec eux en face-à-face au sujet de leur famille, de la situation dans le monde, du quotidien. Ils sont pères tous les deux, et tout le monde est fier, car le fils d'Harvey vient tout juste d'avoir 18 ans et va entrer à l'université. Antwan passe son baccalauréat en tant que candidat libre, et Harvey suit lui aussi une sorte de programme scolaire. Ils me manquent tellement.

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J'ai toujours été une mère typique, une mère célibataire. J'ai perdu mes propres parents il y a deux décennies de cela, et, parce que j'étais seule à les élever, je disais à mes enfants de m'acheter un cadeau pour la Fête des pères également.

Ils étaient des enfants comme les autres. Mon fils Harvey était en quelque sorte retiré du monde ; il se cramponnait à moi. Il n'a pas eu de figure paternelle, car, en 1979, alors qu'il apprenait tout juste à marcher, son père a été abattu en allant au travail. Je l'ai su aux infos.

Et voilà qu'Harvey est en prison pour homicide involontaire. Il a plaidé coupable alors qu'il est innocent ; il se trouvait juste au mauvais endroit au mauvais moment. Il venait tout juste de se marier. Il purge désormais une peine d'au moins 12 ans.

Mon autre fils, mon Antwan, est le bébé de la famille. Son père a succombé à une crise cardiaque quand il avait quatre ou cinq ans. En entrant dans l'adolescence, il a commencé à se rebeller, avant de devenir l'une des personnes les plus réfléchies que je connaisse. Je ne comprends donc pas comment il a pu commettre un crime, celui d'intimidation de témoin. Je n'y crois pas. C'est un bon garçon.

Je pense qu'ils souffrent beaucoup de ne pas me voir. Ils vivent dans un environnement hostile, où tout peut arriver à tout moment. On ne peut pas s'entendre avec tout le monde, et certains en prison adorent le drame. Quand vous faites preuve de décence, ils prennent ça pour de la faiblesse.

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Les gens essaient de transformer mes enfants en des personnes qu'ils ne sont pas, et je ne suis pas là pour le voir ou les aider.

Je ne suis pas préparée à ça. Ça vous détruit mentalement, émotionnellement. Je pense tout le temps à mes enfants, littéralement tout le temps. Ils sont enfermés depuis des années, et on ne s'habitue jamais au fait de ne pas pouvoir les voir.

J'essaie de ne pas penser à ce qu'il se passe en prison, mais je ne peux pas m'en empêcher. Leur place est dehors, avec leurs enfants. Quand bien même ils auraient commis ces crimes, et j'espère sincèrement que non, l'idée que leur vie soit gâchée m'est insupportable.

J'ai lutté avec le comportement de mes enfants tout au long de ma vie, et ils sont désormais adultes. Je suis responsable des humains que j'ai amenés sur cette Terre, de ce qu'ils ont ou n'ont pas fait. Ce n'est pas rien.

Encore une fois, pourquoi vouloir séparer une mère de son enfant ? Ils nous font tellement culpabiliser d'être pauvres, comme si c'était intentionnel. Mais ce qui est vraiment médiocre, c'est la raison pour laquelle ils gardent une mère, une épouse ou un frère éloignés d'une personne qu'ils aiment.

Joyce Davis est mère et grand-mère à Détroit, dans le Michigan.