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Plongée dans VRChat, la chatroom en réalité virtuelle qui ressuscite le vieux web

Ce serait quand même beaucoup mieux sans Ugandan Knuckles.
Image : VRChat

C’est arrivé alors que je rôdais dans les profondeurs du donjon Mickey Mouse, la mixtape du rongeur ganté dans les oreilles. Soudain, j’ai saisi : VRChat est génial. Comment n’avais-je pas pu le comprendre plus tôt ? Après tout, cela faisait déjà dix minutes que je traînais depuis dans un genre de paysage infernal composé des pires moments de Mickey Mouse. Des mèmes trash recouvraient les murs. Le rythme de la musique changeait de façon aléatoire. Aucune expérience n’avait agressé mes sens à ce point auparavant.

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C’était horrible mais j’ai aimé ça, à peu près. VRChat, c’est ça.

VRChat est un nouveau “service de messagerie” qui n’en finit plus de grimper dans les classements de la plate-forme de vente de jeux vidéo en ligne Steam. Disponible gratuitement, il permet aux gens qui possèdent des casques de réalité virtuelle type Oculus Rift ou HTC Vive de basculer dans un monde virtuel où le foutoir fait loi. Libre aux plus courageux d’explorer une infinité de salles conçues par la communauté ou d’interagir avec les milliers d’individus qui les fréquentent.

Image : VRChat

VRChat est un oasis open-source : son kit de développement est disponible gratuitement sur son site officiel. Tout le monde est libre de créer son avatar et ses salles comme il l’entend. L’imagination est la seule limite.

La croissance de VRChat est explosive. Les charts Steam indiquent qu’il est passé de quelques centaines d’utilisateurs au début de l’année à 15 000 aujourd’hui. Steam Spy affirme qu’il a atteint les 1,5 million de téléchargement lundi 15 janvier. Des queues de cerise pour la plupart des sorties Steam mais une victoire incroyable pour un service aussi laid et adressé à un marché aussi restreint que les propriétaires de casques VR.

Même si vous n’avez jamais utilisé VRChat, vous avez sans doute eu vent de son mème-hit : Ugandan Knuckles. Knuckles est un échidné rouge venu de la licence vidéoludique Sonic the Hedgehog. Certains utilisateurs de VRChat aiment à se déguiser en version déformée de Knuckles pour courir dans tous les sens à la recherche d’avatars féminins. Sur leur chemin, ils addressent toujours la même question aux autres joueurs : “Do you know the way ?” (“Connais-tu le chemin ?”) avec un accent africain caricatural.

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S’ils croisent la route d’une femme, les Knuckles s’agglutinent à elle en l’appelant “queen”. Les autres joueurs ont droit à des crachats et des insultes genre “false queen”. Un vilain mème raciste qui plaît beaucoup à PewDiePie, notamment. Polygon a taxé Ugandan Knuckles de “problématique”, ce qui ressemble fort à un euphémisme. Même s’il n’était pas raciste, il resterait affreusement irritant. Toutes les salles que j’ai visitées étaient remplies d'échidnés au regard stupide qui ponctuaient leurs crachats de claquements de langue. Une armée de shitposters qui ne m’a pas empêchée de prendre du plaisir dans VRChat.

Ugandan Knuckles a vite trouvé le moyen de quitter les plaines maudites de VRChat pour envahir Twitter, notamment grâce aux clips Twitch de DrekTheWiz. C’est pour ça que le service est si populaire en ce moment, mais pas seulement : VRChat ravive le souvenir d’une époque perdue, celle des interactions débridées sur Internet. Pour ne rien arranger, il est open source et jouable même sans équipement VR. L’expérience reste intéressante sans casque.

Je ne pourrais pas dire que je me suis amusé pour autant - même si je me suis amusé par moments, c’est vrai. Le chaos qui rend VRChat si attirant est aussi la source d’abus aussi vieux qu’Internet. Ugandan Knuckles est partout, mais on m'a aussi imposé une photo bite. Des gens m’ont demandé des services sexuels. C’était une expérience surréaliste dans laquelle j’ai retrouvé tous les plus bas instincts d’Internet.

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Quand je me suis connecté à VRChat pour la première fois, j’ai eu le sentiment de retrouver ces livres et films cyberpunk dont je me gavais dans les années 90, dimension graphique catastrophique comprise. Rien de plus facile qu’ouvrir un menu et de visiter des flopées d’îles, de cafés, de comedy clubs, de donjons et de forêts.

Image : VRChat

Je suis d'abord passé dans un portail qui m’a emmené jusqu’à une île remplie de Knuckles qui me courraient dans les pattes en me demandant si je connaissais le chemin. De là, j’ai pris un autre portail qui m’a déposé dans un vestiaire rempli d’avatars en libre-service. C’est là que j’ai trouvé le persona que j’allais utiliser jusqu’à la fin de mon périple : une silhouette en 2D de Ben Swolo.

Enfin équipé, j’ai pris mon envol pour atterir dans une reproduction d’intersection japonaise typique. Les autres avatars se sont agglutinés autour de moi, ont fait des vannes sur mon physique et m’ont demandé différentes choses d’ordre sexuel. En me retournant, je me suis retrouvé face à un avatar taillé à la hâche, bite à l’air et pseudo en forme de vanne raciste.

Image : VRChat

Pris dans une foule de types bizarres, j’ai quitté l’intersection pour m’engouffrer dans une reproduction exacte de la Stone Flower Shrine de Nier Automata. Un avatar d’Alphonse de Full Metal Alchemist regardait les fleurs en silence, assis par terre. J’ai quitté cette salle pour finir dans le labyrinthe Mickey Mouse mentionné plus haut, puis dans une reproduction de Chuck E Cheese où des PNJ dansaient devant un écran sur lequel étaient projetées des vidéos Chuck E Cheese.

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Image : VRChat

Une heure plus tard, j’étais assis dans un cinéma à côté d’une foule de Ronald McDonald et d’un tank. Le Dawn of the Dead de Romero était au programme. Le tank n’en finissait plus de déblatérer en russe, alors je l’ai bloqué pour pouvoir regarder le film tranquille. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il était grand temps de déconnecter. J’avais investi des heures dans ce monde VR pour rien. Je ne portais même pas de casque. L’expérience était immersive, c’est le moins qu’on puisse dire.

“Il semble que VRChat est en train de décoller grâce à trois éléments qui font de lui une arme parfaite", explique Wagner James Au, l’auteur de The Making of Second Life et administrateur du blog de VR sociale New World Notes, dans un mail adressé à Motherboard.

“[Il] laisse les joueurs téléverser leurs propres avatars via un SDK Unity (un outil de développement populaire et facile d’accès, ndlr) et possède un moteur physique basique, détaille-t-il. [Il] est accessible aux gens qui n’ont pas de casque VR, ce qui permet à beaucoup de gamers de se joindre à la fête. Les streamers YouTube et Twitch ont repéré ce potentiel anarchique et se sont fait plaisir en creéant tout un tas de vidéos basés sur VRChat, qui sont vite devenues virales.”

Au remarque que les autres plateformes sociales en VR ne sont pas aussi accessibles aux développeurs, manquent souvent d’un moteur physique et sont réservées aux propriétaires de casques. “Beaucoup semblent aussi mettre la charrue avant les boeufs, ajoute-t-il. Ils installent une infrastructure économique soignée avant même qu’il n’y ait quiconque pour l’utiliser.”

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À titre de comparaison dans le domaine des applis sociales en VR, Au a évoqué le Sansar de Linden Lab, le développeur de Second Life. Linden Lab développe actuellement des programmes d’éducation et des reproductions de décors de films de haute qualité, notamment pour le prochain Spielberg, Ready Player One. Évoquons aussi High Fidelity, un programme de VR qui se concentre sur la qualité des images et le marché de la blockchain.

“La plupart des gamers ne se soucient pas de ça, affirme Au. Ils veulent justent s’immerger immédiatement, commencer à bidouiller le système, provoquer et profiter du chaos, et s’amuser entre eux.”

Le chaos est l’une des meilleures parties de VRChat. Le problème, c’est que cela ne permet pas à tout le monde de s’amuser. La grande ouverture de la plateforme a permis à une souche de racisme et de misogynie typique d’Internet de se propager. Les femmes qui la fréquentent rapportent souvent des histoires d’abus. Dans une vidéo de deux minutes qu’elle a uploadée sur Twitter, la game designer VR Katie Chironis montre comment elle a été harcelée par des utilisateurs après avoir parlé dans son micro dans une zone bondée de VRChat.

“Les gens savent qu’en théorie le harcèlement concerne plus les femmes et les personnes de couleur, voilà à quoi ça ressemble”, a déclaré Chironis sur Twitter. L’équipe de VRChat a répondu publiquement et ajouté une fonctionnalité qui permet de “muter” quiconque n’est pas ami avec le joueur. Cette mesure est un peu brute, mais elle a le mérite de montrer que VRChat est conscient du problème et prêt faire quelque chose.

Traverser d’innombrables McDos, le Café Leblanc de Persona 5 et Dalaran de World of Warcraft était une expérience folle. Esquiver les tarés déguisés en Knuckles qui me demandent de les emmener jusqu’à leur reine en créant de portail à destination de l’"Ouganda" l’était moins. Comme les chatrooms AOL du milieu des années 90, VRChat est l’incarnation d’un esprit sauvage et chaotique. Il rappelle une époque qui manque à certains d’entre nous. Pour le moment, les expériences sociales en VR sont le Wild West de l’Internet, des espaces dénués de règles où tout peut arriver. Ça ne va pas durer, mais ça restera drôle et horrible tant que ça durera.