F-Schmiliver-Kolovare-Vice
Toutes les photos sont de Frédéric Schmiliver.
Culture

Vivement l’été prochain

« Photographier Kolovare c’est pour moi une manière de documenter la jeunesse rêvée, comme je l’ai moi-même connue. »
Matéo Vigné
Brussels, BE

On est en hiver et, comme souvent, je profite d’une pause de midi relativement courte (ou résolument pas assez longue) pour casser la croûte sur la place du quartier, là où le ciel n’est quasiment pas couvert par les bâtiments. Je regarde autour de moi les jeunes de l’athénée adjacente papoter, faire du roller, reproduire des chorégraphies Tiktok ou encore s’étonner d’avoir mis trop de shit dans leur chichon... À pas lents, je me décale pour leur laisser la place et me ramasser contre un banc en quête d’inspiration pour un nouvel article. Je scrolle sans but quand je tombe sur des photos d’été. D’un ton sardonique, je compare une énième fois l’hiver froid dans lequel je me trouve, au Nord, avec ce que j’ai pu connaître plus jeune, dans le Sud. 

Publicité

Quand j’écris ces quelques lignes, un rayon de soleil vient frayer son chemin au milieu de la grisaille pour laisser entrevoir une once de bleu, comme une admonestation du ciel pour me rappeler que le soleil n’est pas exclusif. Comme un petit coucou, un rappel de ce qui se cache derrière les nuages, la lueur, la chaleur, souvent oubliés des premiers mois de l’année. Me remémorant avec tristesse les seuls 28 heures de soleil que Bruxelles a connu en janvier, je regarde des photos de jeunes qui se baignent dans une eau salée, en noir et blanc, sourire aux lèvres, et je plonge tout à coup dans une nostalgie à la fois joyeuse et triste. 

F-Schmiliver-Kolovare-Vice-1.jpg

En juin 2020, alors que son fils souffre d’une infection à la paupière pendant leurs vacances en Croatie et doit être hospitalisé pour cinq jours, le photographe Frédéric Schmiliver shoote Kolovare en noir et blanc, à la pellicule 35mm. Kolovare, c’est le nom donné à la plage et au club de natation du quartier du même nom, à 100 mètres en contrebas de l’hôpital. Et c’est un véritable coup de foudre. « Je fonctionne beaucoup à l'instinct, m’explique Fédéric. C’est d’abord mon cœur qui parle, et une fois que le travail est amorcé, je commence à mentaliser. À une époque où les ados, et parfois les enfants, sont rivés sur leurs téléphones, j’ai retrouvé à Kolovare les émotions de mon adolescence. C’est un endroit hors de son temps, un endroit qui ne devrait plus exister. »

Publicité

« Photographier Kolovare c’est pour moi une manière de documenter la jeunesse rêvée, comme je l’ai moi-même connue.  »

Cet endroit, comme figé, nous transporte dans une autre dimension, un moment suspendu qui s’affranchit du temps et de l’espace, pour sublimer quelque chose qui passe toujours trop vite : l’été et la jeunesse. Ce qui a d’abord attiré Frédéric à Kolovare, c’est l’énergie et le bouillonnement incessant autour du tremplin de la piscine d’eau de mer, la plastique des corps et les émotions. Son regard se déplace petit à petit vers d’autres choses, parfois plus abstraites, qui véhiculent d’autres sentiments, comme la nostalgie, l’attente, le calme, la mélancolie. « L’été, c’est ma saison préférée et j'entretiens clairement une nostalgie de mes étés passés sur la Côte d’Azur avec ma bande de copains locaux, confie-t-il. Photographier Kolovare c’est pour moi une manière de documenter la jeunesse rêvée, comme je l’ai moi-même connue. Je veux capter à quoi ça ressemble, ou devrait ressembler, le fait d’être jeune, en été. »

F-Schmiliver-Kolovare-Vice-2.jpg

Ce qui ressort des photographies de Frédéric, c’est surtout la force du grain qui apporte une touche onirique supplémentaire à ce rêve chaud, mouillé et salé. Tout cela, on le doit à la technicité de son art, lui qui a fait de l’argentique son cheval de Troie depuis 2006 et ses premières photographies de rue. « Je photographiais sans me poser de questions et je ne montrais quasiment rien à personne, poursuit-il. Ce n’est qu'en 2020 que j'ai passé en revue mon travail des quinze années précédentes. J’ai alors commencé à extraire le jus de ce travail. » 

Publicité

De Kolovare, il a shooté deux films et, une fois rentré, en visionnant les scans, il a tout de suite su que cet endroit allait le tirer vers lui pour quelques années. Ici, le noir et blanc s’est imposé comme une évidence, sans doute car il apporte une certaine puissance sans lésiner sur la douceur et l’harmonie. « J'y suis retourné tous les ans depuis, environ cinq jours par séjour. Ma femme étant croate, c’est facile. Cet essai est un travail à long terme encore non achevé. Je n’ai encore aucune idée de quand j’en serai lassé. »

F-Schmiliver-Kolovare-Vice-3.jpg

Lui qui travaille généralement sur des thèmes comme la famille, l’identité, la solitude, le manque ou l’absence, pioche aussi son influence du grand écran. En effet, le septième art, non figé, est une source d’inspiration pour ouvrir le diaphragme de son appareil au rendu neutre, qui se prête bien aux thèmes évoqués. Au niveau de la pellicule, Frédéric utilise des films Fomapan 200 ainsi que des Ilford HP5 pour leur grain. Kolovare entre en résonance avec le film solaire d’Abdellatif Kechiche Mektoub my love: canto I, que Frédéric a vu en 2019 : « Ce film m’a certainement inspiré parce qu’il parle aussi, à sa manière, de la jeunesse et de l’été. »

Depuis Kolovare, Frédéric Schmiliver a commencé à réaliser des essais photographiques formels, et a demandé à son photographe préféré, Ian Teh, de devenir son mentor. « Je travaille avec Ian depuis lors, remet-il. C’est un photo-journaliste anglais qui a notamment réalisé trois documentaires saisissants sur les mutations de la Chine au tournant du XXIe siècle. » Cette relation leur permet de développer davantage de sujets de société et notamment à travers le miroir émotionnel que reflètent les grandes villes. « J’ai commencé fin 2022 un nouveau travail à long terme entre Bruxelles et Charleroi, sur la solitude, avec le canal en toile de fond. Ce documentaire, inspiré de la méthode d’Alec Soth (documentaires assez formels avec des appareils grand format - à l'ancienne qui fait des négatifs gigantesques - une methode très lente qui prend le décor comme excuse pour parler d'autre chose, NDLR), devrait durer deux ans. » Après la chaleur de la Croatie, cap vers la froideur du canal belge.

Publicité

Frédéric est sur Instagram.

Découvrez d'autres photographes belges mis·es à l'honneur sur VICE en cliquant ici. Vous êtes vous-même photographe et vous avez une série percutante ? Envoyez-nous un mail à beinfo@vice.com.

F-Schmiliver-Kolovare-Vice-4.jpg
F-Schmiliver-Kolovare-Vice-5.jpg
F-Schmiliver-Kolovare-Vice-6.jpg
F-Schmiliver-Kolovare-Vice-7.jpg
F-Schmiliver-Kolovare-Vice-8.jpg
F-Schmiliver-Kolovare-Vice-9.jpg
F-Schmiliver-Kolovare-Vice-10.jpg
F-Schmiliver-Kolovare-Vice-11.jpg
F-Schmiliver-Kolovare-Vice-12.jpg

VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.
VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard.