Cuisiner jusqu'à la dernière goutte de sang

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Cuisiner jusqu'à la dernière goutte de sang

En général, les gens sont horrifiés à l’idée de manger du sang. Mais pourquoi ? La démarche est-elle vraiment si perturbante ? Le goût du sang est-il trop intense pour nos papilles ordinaires ? Il est grand temps que le sang réclame la place qui lui...

Alice den Boer est une chef pâtissière artisanale confirmée. Ses expériences culinaires vont au-delà du simple mariage entre la farine et l'eau. Le sang est un de ses ingrédients favoris, spécialement quand elle l'utilise pour remplacer les protéines ou bien la crème. Den Boer et son petit ami, Chef Baaf Vonk, ont sillonné le Pays Bas pour aller à la rencontre d'un boucher qui abat lui-même les animaux. Le but ? Lui acheter du sang pour cuisiner quelques desserts grandioses avec. Comme quoi, quelques spatules dégoulinantes de sang et des taches rouges un peu partout sur les murs plantent assez bien le décor propice à une après-midi romantique, bien que sanglante.

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Il y a cinq ans, alors que je vivais en Norvège, j'ai changé drastiquement mon mode de vie plus ou moins végétarien. Pendant la première semaine de cours à la Fosen Folk High School de Rissa, en Norvège, j'ai assisté à un drôle de rituel d'intégration viking qui impliquait l'abattage d'un grand nombre de moutons. Tous les étudiants qui voulaient déguster la viande devaient d'abord participer à l'exécution des bêtes ou du moins, ne devaient pas détourner le regard pendant l'acte. Après m'être retrouvée, sans m'en rendre compte, en train de dépouiller cinq moutons, il m'est apparu comme une évidence qu'aucune partie de l'animal ne devait être gaspillée. On a donc gardé le sang et on a fait un genre de pâte à crêpe avec. Pour ma part, j'ai trouvé que les pancakes épicés que j'ai faits en rentrant étaient une tuerie. Mes amis, par contre, furent un peu dégoutés par la petite histoire.

Blood and Sugar Mixture

En général, les gens sont horrifiés à l'idée de manger du sang. Mais pourquoi ? La démarche est-elle vraiment si perturbante ? Le goût du sang est-il trop intense pour nos papilles ordinaires ? Ou alors, est-ce juste parce qu'on trouve que le sang, c'est sale ? D'après Ben Reade, chercheur au Nordic Food Lab, le problème avec le sang est qu'on l'associe souvent à la mort, une pensée qu'il est préférable d'éviter quand on a la tête plongée dans le petit-déjeuner, vous en conviendrez. Dans un monde où l'on met du papier absorbant jusque dans les barquettes de viandes au supermarché pour dissimuler toute trace de sang, faire le choix de cuisiner cette matière organique c'est prendre le risque de passer pour un ovni.

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Mixing Blood in Bowl

Il y a deux cents ans pourtant, les choses étaient complètement différentes. Quand on se penche sur des vieilles recettes, on réalise qu'aucune partie de l'animal n'était gaspillée. Le sang par exemple servait pour les saucisses, qui étaient frites ou pochées pour le plus grand plaisir du palais de nos ancêtres.

Blood Pastry Flute

Même si cela peut paraître un peu écoeurant, on mange en réalité bien plus de sang que l'on ne croit. D'ailleurs, c'est devenu un vrai business. Les usines qui conditionnent la viande ne pourraient pas se permettre, par exemple, de gâcher un bien aussi précieux que le sang en le jetant directement dans l'évacuation des eaux. Alors, elles le conservent et le vendent à des entreprises spécialisées qui séparent les différents composants du sang. Parmi les substances convoitées, il y a le Fibrinogène et la Prothrombine, des protéines qui servent comme coagulants ou liants dans la production de viandes pré-emballées. Elles servent notamment à bien coller les morceaux de chair entre eux pour proposer au consommateur des produits toujours uniformes. Enfin, d'autres substances récupérées à partir du sang servent pour le fourrage des animaux, l'industrie pharmaceutique ou même pour la production de filtres pour les clopes.

Pre-Baked Blood Tartlette

Mais au-delà de cela, j'ai le sentiment que le sang est en train de faire son come-back. Il est temps que le sang réclame la place qui lui est due en cuisine, au lieu de se perdre dans la fabrication de bouffe pour chien et de viande industrielle. Préparer de magnifiques plats à base de sang est selon, comme une preuve de respect que l'on marque envers l'animal. Dans certains restaurants, on trouve maintenant du sang au menu. Je pense au boudin noir et coquilles Saint-Jacques, par exemple. L'été dernier, les mecs de chez Brandt & Levie, une boucherie hollandaise, ont vendu dans leur foodtruck, un hotdog surnommé « bloodhound » (chien de sang, en français). À Turin, j'ai récemment eu l'occasion de goûter à une délicieuse ganache de sang lors d'un repas organisé pour une émission de télé-réalité hollandaise. Dans cette même émission, Karin, l'une des participantes, a fait une tarte Tatin avec du boudin noir.

Blood Tartlet

Fascinés par l'idée que le sang puisse remplacer les œufs ou la crème dans une préparation, on a voulu tester nous-mêmes des recettes dans notre pâtisserie. Mais, où trouver le sang ? On habite en Scandinavie et ici, on en trouve dans n'importe quel supermarché. Beaucoup d'étudiants mangent du sang parce que ce n'est pas cher et que ça nourrit bien. Ils l'utilisent pour faire des pancakes (comme la fois où je suis fait bizuter) et aussi dans des sauces pour aller avec les pâtes. Aux Pays-Bas, c'est plus compliqué : il faut aller se fournir chez le boucher. Quand on achète du sang, il faut qu'il soit frais du jour même. Il faut le conserver au frigo à 4°C pendant un maximum de quatre jours ou bien on le congèle directement. Comme le sang contient des protéines qui coagulent rapidement, il faut ajouter des anticoagulants : soit du phosphate de sang, des émulsifiants et du sel. Par jours de froid, dans le Nord d'autrefois, on utilisait de l'alcool ou du vinaigre.

Ganache

Après une après-midi plutôt animée passée en cuisine à travailler toute cette matière de sang, notre comptoir a fini complètement maculé de tâches de sang. Quant à nous, nous étions carrément éprouvés par la tâche, en nage. C'était incroyable. Du début de l'expérience, jusqu'à la dernière goutte de sang.