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Economie

Il est temps de forcer Uber à dévoiler son fonctionnement au gouvernement

Uber donne les résultats escomptés à des chauffeurs qui chantent les vertus de l’argent facile gagné grâce à l’app. Mais pour beaucoup d’entre eux, ces promesses prennent la forme de nuits passées dans une voiture de location

Uber a réussi un magnifique tour de passe-passe. C'est une compagnie de taxi qui est en fait une compagnie de services technologiques, ses chauffeurs sont en fait des travailleurs autonomes et son algorithme de gestion de ressources est en fait le mode de vie libre et numérique de demain.

C'est en raison de tous ces « en fait » qu'Uber et d'autres compagnies de la soi-disant économie du partage ont pu contourner les règles imposées aux industries plus établies. Selon Ryan Calo, du département de droit de l'Université de Washington, et Alex Rosenblat, du Data & Society Research Institute, leurs pratiques ont le potentiel d'être prédatrices dans un environnement sous-réglementé, et elles le sont peut-être déjà.

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Mais on ne peut pas en être certain, estiment ces chercheurs, car Uber garde son fonctionnement interne secret. Dans une récente étude, ils affirment qu'il est temps pour les législateurs fédéraux d'exercer leur autorité juridique pour forcer Uber à dévoiler ses algorithmes et ses pratiques. En d'autres mots, à ouvrir sa boîte noire.

Ryan Calo est un éminent spécialiste du domaine juridique pour tout ce qui concerne les technologies numériques. Alex Rosenblat est une ethnographe des technologies numériques qui a passé beaucoup de temps à examiner ce qu'il y a sous le capot d'Uber. Par exemple, son travail en 2015 a révélé qu'Uber utilise des « voitures fantômes » dans son application pour donner la fausse impression aux clients qu'une voiture est proche.

Dans leur étude récente, le duo décrit comment Uber exploite l'asymétrie de l'information pour conserver le pouvoir sur ses chauffeurs et ses passagers, notamment l'opacité des hausses de tarif soudaines. On découvre dans l'étude qu'Uber note le pourcentage de la batterie de votre téléphone; des clients se sont demandé si le tarif augmentait quand la batterie est faible. Uber a nié qu'elle exploitait ainsi ces données.

Une étude d'un informaticien de l'Université Northeastern de Boston parue en 2015 a fourni un autre exemple de hausse de tarif louche. Il a démontré que les tarifs pouvaient être différents pour des clients dans un même secteur affecté par une hausse de prix. Selon Uber, il ne s'agissait que d'un bogue.

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« La discrimination tarifaire a pour but de pousser un client qui paiera 8 $ pour sa course à payer 8 $, dit Ryan Calo. Ça va, mais Uber se sert des données sur un client pour faire en sorte qu'il paie plus cher, et ça, c'est de la manipulation. »

Nous avons tenté d'obtenir des commentaires d'Uber, mais n'avons pas reçu de réponse avant la publication.

« Ça devient un problème quand on commence à profiter des vulnérabilités des clients, poursuit Ryan Calo. Au-delà d'un certain point, ça devient prédateur, et on pense que c'est au gouvernement de fixer ce point. »

Uber exploite aussi une immense quantité de données et profite de sa confidentialité pour manipuler des chauffeurs, selon Alex Rosenblat.

« Uber considère les chauffeurs comme des entrepreneurs et affirme qu'elle offre un emploi à quiconque en veut un, explique la chercheuse. Mais quand les chauffeurs sont dans le système, la compagnie restreint leurs choix de façon importante. »

Par exemple, l'app d'Uber ne permet pas aux chauffeurs de savoir où leurs clients veulent aller avant de monter, les privant ainsi de la possibilité de les sélectionner selon la destination. Ce n'est pas nécessairement mal, mais il est évident qu'avec sa rhétorique d'« indépendance », Uber s'assure d'avoir le beurre et l'argent du beurre. Si on était vraiment son propre patron sur la plateforme d'Uber, on pourrait faire ce qu'on voudrait.

« Les compagnies de services technologiques sont dans un Far West parce qu'elles font partie d'un écosystème sous-réglementé même si leurs activités sont le reflet de celles d'industries fortement réglementées, et Uber en est un des principaux exemples », affirme Alex Rosenblat. En se définissant comme une compagnie de services technologiques, et non une compagnie de taxi, elle a pu éviter les règles strictes imposées à celle-ci, d'après elle.

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Uber donne les résultats escomptés à des chauffeurs qui chantent les vertus de l'argent facile gagné grâce à l'app. Mais pour beaucoup d'entre eux, les promesses d'Uber prennent la forme de nuits passées dans une voiture en location et de courses illico chaque fois que le téléphone sonne.

Que faut-il faire? Pour Ryan Calo et Alex Rosenblat, c'est simple : les législateurs fédéraux doivent forcer Uber à montrer comment la plateforme et ses algorithmes fonctionnent en détail. (Uber est connue pourbalayer du revers de la main les tentatives municipales de lui imposer des règles grâce à son intense lobbying et sa rhétorique musclée.)

« La Federal Trade Commission possède déjà le pouvoir de poser des questions directes à Uber, affirme Ryan Calo. Elle n'est pas contrainte de hausser les épaules et de dire que c'est une boîte noire. Elle peut examiner son contenu. » La FTC est intervenue auprès d'Uber auparavant, et récemment la compagnie a accepté de verser 20 millions de dollars pour avoir exagéré les revenus de ses chauffeurs.

Alex Rosenblat approuve : « On pourrait simplement imposer des règles un peu plus strictes à l'industrie des services technologiques. »

L'autre option serait d'inciter les chercheurs à examiner les pratiques d'Uber sans crainte de représailles juridiques. (Après tout, ce sont des chercheurs qui ont découvert que Volkswagen trichait aux tests d'émission.) Par exemple, selon Ryan Calo, le gouvernement pourrait légiférer de manière à ce qu'Uber ne puisse utiliserson outil baptisé Greyball, élaboré pour éviter les cueillettes de données sur ses services que voudraient effectuer des concurrents, mais aussi le gouvernement et les chercheurs.

Pour nous, les options sont cependant plus limitées. « Vous voulez savoir ce que les clients peuvent faire? demande Ryan Calo. Ils peuvent porter plainte auprès de la FTC ou du procureur général de leur État, et se mettre en colère. »