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Tech

La Silicon Valley compromet la liberté d'expression des Iraniens

L’accès à Internet est devenu un droit fondamental, et le secteur privé doit lui aussi contribuer à garantir ce droit.
Des acheteurs dans un magasin de matériel informatique à Téhéran en 2013. Image: BEHROUZ MEHRI/Getty

Ali Bangi est co-directeur de ASL19 (Article 19, en farsi), une organisation qui aide les Iraniens à contourner la censure dans leur pays. On peut le trouver sur Twitter : @alibangi. Nico Saldias est doctorant en sciences politiques à l'Université de Toronto : @nicolas_saldias

La nouvelle génération d'Iraniens est l'une des mieux instruites et des plus cosmopolites de l'histoire du pays. Depuis l'introduction d'Internet et des smartphones, c'est aussi la génération la plus connectée. Néanmoins, contrairement à la plupart de leurs contemporains à travers le monde, les jeunes Iraniens ont tout le mal du monde à exploiter le potentiel d'Internet : ils n'en ont qu'un accès restreint.

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Il est de notoriété publique que le gouvernement iranien bloque l'accès à de nombreux sites web ; ce que l'on sait moins, c'est que des géants de la tech tels que Google et Facebook restreignent également l'accès à leur catalogue de services en Iran. Par conséquent, la capacité des Iraniens à exploiter Internet et les réseaux sociaux dans un but commercial est sérieusement mise à mal, de même que leur capacité à militer et à promouvoir des changements sociaux.

Prenons un exemple : si un groupe promouvant les droits des femmes, comme One Million Signatures, désirait publier des documents numériques sur le genre et l'égalité sur les réseaux sociaux, Facebook l'empêcherait de sponsoriser ses publications. Pourquoi ? La réponse est simple : Facebook déteste prendre des risques. En outre, il craint les sanctions du gouvernement américain.

« Le gouvernement américain s'investir autant dans le lever des sanctions que dans leur application. »

L'accord sur le programme nucléaire iranien entre la communauté internationale et l'Iran a permis à cette dernière d'envisager les relations internationales avec plus de sérénité. Cependant, Marietje Schaake, membre du Parlement européen, note que « le manque de transparence qui entoure l'application des sanctions américaines génère une certaine incertitude juridique pour les entreprises européennes. » Or, cette incertitude s'applique aux firmes non-européennes envisageant de collaborer avec des entreprises iraniennes.

L'industrie tech ne fait pas exception à la règle. Le secteur doit faire face à des pressions spécifiques dans la mesure où ces sociétés ont une responsabilité sociale envers leurs utilisateurs : elles fournissent des services essentiels aux individus qui veulent exercer leurs droits fondamentaux, comme la liberté d'expression. Surmonter ce problème n'est pas impossible ; il faudrait cependant que le gouvernement américain et la société civile coopèrent avec l'industrie pour s'assurer que les Iraniens ont bel et bien accès aux sites web et aux services que nous tenons pour acquis.

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En 2016, les Iraniens continuent de faire face à d'importants obstacles pour diffuser leurs idées en ligne ; quand leur contenu n'est pas bloqué, ils sont arrêtés pour avoir posté des déclarations inappropriées sur les réseaux sociaux. Facebook et YouTube sont toujours censurés par les autorités iraniennes, d'ailleurs. En réponse, les militants iraniens et les citoyens en général utilisent des outils permettant de contourner la censure, comme des VPNs.

Autre exemple des effets néfastes de la prudence des grandes entreprises du numérique : l'Authenticator de Google. Cette application est conçue pour donner aux utilisateurs une couche de protection supplémentaire afin de protéger leurs compte grâce à un système d'authentification à deux facteurs. En refusant de fournir ce service aux Iraniens, Google donne une occasion supplémentaire aux pirates de compromettre des comptes d'utilisateurs iraniens par phishing, la technique de prédilection des pirates du gouvernement iranien. Cela crée un effet dissuasif pour les citoyens et les organisations de la société civile qui voudraient promouvoir les droits de l'homme dans le pays. La situation est désastreuse ; il faudrait faire davantage pression sur le gouvernement américain et l'industrie tech pour veiller à ce que les Iraniens obtiennent un accès juste et équitable à ce genre de services.

Tout d'abord, le gouvernement américain doit mettre fin à l'ambiguïté juridique concernant les sanctions et leur application aux entreprises du secteur numérique. Il faudrait par exemple créer des exemptions supplémentaires au régime de sanctions existant. Le Trésor américain pourrait émettre une licence générale relative aux services numériques qui ne sont pas encore couverts par la juridiction, comme les services de cloud. Le gouvernement américain pourrait également formuler des règles claires pour que les entreprises tech sachent précisément quels genres de services elles peuvent proposer au marché iranien. Enfin, il est de son devoir d'informer et de rassurer les entreprises non américaines qui ne sont plus soumises aux sanctions levées par l'accord nucléaire. En bref, le gouvernement américain devrait montrer le même investissement dans le lever des sanctions que dans leur application.

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« Les géants de la tech tels que Google et Facebook ne proposent qu'une petite partie de leur catalogue de services aux Iraniens. »

D'autre part, les organisations de la société civiles devraient améliorer leur collaboration avec le gouvernement américain et le secteur privé afin de faire cesser l'observance abusive des sanctions.

En outre, les organisations de la société civile iranienne ayant participé à la diaspora et possédant des liens étroits avec les internautes iraniens peuvent fournir des informations essentielles au gouvernement américain afin de l'aider à analyser l'Internet iranien. Ils peuvent par exemple identifier les services censurés par le gouvernement iranien, et interpeller les entreprises qui privent les utilisateurs iraniens de fonctionnalités essentielles à leur expression publique. La société civile peut également jouer un rôle de sensibilisation, auprès du Congrès américain notamment, sur les conséquences involontaires et délétères des sanctions internationales.

S'assurer que les Iraniens possèdent un accès équitable et ouvert à l'Internet est essentiel pour toutes les parties évoquées ici. Comme l'ancien Rapporteur spécial pour la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression des Nations Unies, Frank La Rue, l'a expliqué, « empêcher le secteur privé de se rendre complice de violations des droits humains est essentiel afin de garantir le droit à la liberté d'expression. »

L'Iran constitue un exemple emblématique du rôle et de la responsabilité que l'on octroie désormais au secteur privé en matière de liberté d'expression : l'accès à Internet est devenu, pour nous tous, un droit fondamental.