L'influence lunaire n'existe pas
Photo par Joseph Häxan 

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L'influence lunaire est un délire pseudoscientifique

Pendant la pleine Lune, on raconte que certains perdent la tête, commettent des crimes et que les urgences sont bondées de gens au comportement louche. Vraiment ?

Certains se coupent les cheveux en lune ascendante pour une meilleure repousse, d’autres s’épilent en phase descendante en espérant l’effet inverse. C’est inoffensif mais pour beaucoup, la Lune a plus de puissance qu’une simple influence capillaire. La rumeur raconte que les décompensations psychiatriques, internements, suicides, blessures dûs à des comportements considérés comme étranges sont plus fréquents en période de pleine lune. On parle d'effet transylvanien. Pourtant, malgré les nombreux récits y faisant référence à travers l’Histoire, cette influence n’a pas de preuve scientifique solide.

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En 1985, Les psychologues James Rotton et Ivan Kelly et l’astronome Roger Culver décident de réaliser une méta-analyse de 37 études, Much ado about the full moon, pour trouver des traces de cet effet lunaire. Résultat : rien à signaler. Pas plus de crimes, pas plus de suicides, et surtout pas plus de problèmes psychiatriques pendant les pleines lunes. Ils concluent leur analyse par un adieu — en français dans le texte — à l’effet transylvanien. Beaucoup continuent pourtant de croire que notre satellite peut leur faire perdre la tête.

De nombreuses études vont contre ces croyances et dans le sens de Much ado about the full moon. En 1994, deux chercheurs du South Shore Mental Health Center de Quincy, Massachusetts, ont montré l'absence de pic d’admissions en psychiatrie à cette période du mois. Trois en plus tard, après une décennie de travail, une équipe de l’université de Vérone a montré qu'il ne se passait rien de bien singulier les soirs de pleine lune. Cette étude texane indique que les homicides ne sont pas plus nombreux quand la Lune est pleine. Mais pourquoi ces idées persistent-elles en dépit du travail des scientifiques ?

L’équipe québécoise de Geneviève Belleville répond en partie avec son étude sur la corrélation entre la Lune et les troubles mentaux : en fait, c'est une affaire de biais cognitif. Compilés pour la revue General Hospital Psychiatry, les résultats montrent que seule l’anxiété peut être liée au calendrier lunaire. Et l’anxiété n’est pas une maladie mentale mais un malaise psychique dont les causes peuvent être auto-suggérées. Les psychologues parlent alors de biais cognitif ou corrélation illusoire — les personnes concernées perçoivent des associations qui n’existent pas. En remarquant la pleine lune, ces individus seraient plus stressées et angoissées. Et comme ceux qui affirment ressentir des douleurs articulaires plus fortes en temps de pluie (aucune preuve là non plus), les fidèles de l’effet transylvanien sont plus attentifs aux comportements étranges durant la pleine lune. Et ça, c'est prouvé — même chez les médecins.

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Dans son étude en 1995, l’américain Vance note que 81% des médecins interrogés n’ont aucun doute sur l’effet psychiatrique de notre satellite contre 43% de la population générale. Le personnel infirmier en milieu psychiatrique, persuadé de la réalité de l’effet lunaire, écrit plus de notes sur les comportements étranges des patients que ne le font ceux qui n’y croient pas.

« Lorsque je travaillais aux urgences, les soignants n'arrêtaient pas de dire que l’affluence augmentait pendant les trois jours avant et après la pleine lune. On entendait aussi que les patients étaient plus agités en psychiatrie. Personnellement, je n’ai jamais rien remarqué », raconte Kathy*, ancienne infirmière dans un hôpital public dans le nord de Paris.

« Est-ce que les soignants et les malades, ou prétendus comme tels, n'ont pas eux-mêmes observé que c'était la pleine lune et se sont angoissés ? Quand on s'angoisse, on change son comportement. Il faut faire la différence entre les ragots, ce qui est colporté par la croyance et la réalité. Aujourd'hui, on a les moyens de le prouver mais la tradition l'emporte. Le corps médical qui y croit se transmet cette croyance par tradition orale. Une tradition ne s’évanouit pas comme cela. Il faut des milliers d'années pour que cela disparaisse même s’il y a des preuves » poursuit Anne Marchand, conteuse et conférencière spécialisée des traditions populaires du monde entier. L’arrivée de la pleine lune peut alors avoir une réelle influence sur certains services d’urgences médicales qui peuvent être plus tendus et augmenter inutilement leur personnel et la sécurité.

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La lumière de la Lune frappe aussi les tribunaux. En janvier 1989, le procès de Francis Leroy est le premier de l’histoire contemporaine à vérifier l’influence de la Lune pour expliquer un comportement inhabituel. Une dizaine d’agressions, vols, séquestrations, viols et meurtres ont été commis par cet homme, décrit comme un grand gaillard à l’odeur de sous-bois et de renfermé, pendant des nuits de la pleine lune. À son arrestation, certains crient au loup-garou. Des tests sanguins sont alors effectués à la demande du juge d’instruction. Ils montrent un taux élevé de deux hormones, la mélatonine — régulation de l’horloge interne — et l’ACTH, l'une des hormones du stress. Les soirs de pleine lune, Leroy serait donc biologiquement tendu et agressif, ce qui le pousserait au crime. Lui préfère parler de forces occultes. Mais les tests ayant été faits dans un milieu stressant, la prison, et sans étude comparative sur d’autres moments calendaires ou d’autres détenus, il est difficile de tirer des conclusions définitives. Le tueur de la pleine lune sera condamnée à perpétuité avec 20 ans de sûreté. Plus tôt dans l’Histoire, le sort de ceux que l’on prenait pour des loup-garous était encore moins enviable.

« On est fait pour vivre le jour et tout se qui se passe la nuit est associé, même avant l'Antiquité, à quelque chose de mystérieux, voire dangereux. »

Dans la France du XVIe siècle, à l’époque de l’Inquisition et de sa chasse aux sorcières, beaucoup de prétendus hommes-loups ont été condamnés. De son nom savant, la lycanthropie est une croyance ancestrale mais aussi un trouble mental. L'individu concerné est persuadé d’avoir des phases de transformation en loup pendant la pleine lune.

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« Se prendre pour un animal quand on est un être humain, c'est typiquement quelque chose de fou. Mais on s'est mis à raconter des histoires qui allaient beaucoup plus loin avec des réelles transformations en loup. On a fait un personnage qui hurlait à la lune et qui se transforme en prédateur dangereux redouté et nocturne » détaille Anne marchand. Dès le mythe du Roi Nabuchodonosor dans l’Ancien Testament, l’homme-animal subissait cette transformation après un état dépressif. Le lien entre le zoomorphisme imaginaire et la maladie mentale existait déjà. Et si la lycanthropie est désormais considérée comme une maladie mentale, les procès de l’Inquisition ne l'entendaient pas de cette manière.

La folie étant considérée comme la manifestation du diable, les loup-garous finissaient souvent au bûcher il y a quelques siècles. En 1603, le procès du dernier français condamné pour lycanthropie, Jean Grenier, est un tournant pour la reconnaissance de cette maladie. Pas de bûcher pour celui qui parcourait les campagnes déguisé en loup-garou pour effrayer les petites filles mais un traitement et une rééducation religieuse. Après être passé pour une manifestation de la mélancolie, de la dépression, de la psychose ou de la schizophrénie, il est aujourd’hui classé comme un symptôme non-spécifique d’une pathologie mentale.

L’influence de la lune est donc une croyance infondée mais pas sans racine. « La Lune change d'aspect au fur et à mesure du mois, quelques fois, elle est ronde, quelques fois en croissant. Cela lui donne un caractère un peu étrange. C'est l'astre changeant par excellence. Les humains s'en sont aperçus très vite. À cela s'ajoute la peur de la nuit. On est fait pour vivre le jour et tout se qui se passe la nuit est associé, même avant l'Antiquité, à quelque chose de mystérieux, voire dangereux. Les gens qui sortaient la nuit devenaient donc suspects et bizarres » explique Anne Marchand.

D’après les historiens et chercheurs, cette idée se renouvelle durant la période pré-électricité. Avant l'avènement de l'éclairage public au début du 19e siècle, les villes et villages étaient éclairées par la Lune pendant la nuit. Les cambrioleurs et autres criminels profitaient de cette clarté nocturne pour commettre leurs méfaits. Ces crimes nocturnes portent la trace de comportements dit anormaux.

La lumière de la Lune est aussi reliée aux troubles mentaux dans la littérature médicale. Les changements de lumière influent sur le sommeil. Dans un article paru en 2005, deux psychiatres de Toronto, Alina Iosif et Bruce Ballon, expliquent : « Même une privation partielle de sommeil au cours d’une seule nuit peut provoquer de la manie, et il est vraisemblable que les troubles du sommeil pendant la pleine lune puissent servir de rétroaction positive une fois qu'un épisode maniaque a commencé chez un individu prédisposé. C'est peut-être à l'origine de l'association entre la folie et la pleine lune. »

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