Les exosquelettes feront-ils disparaître les maladies professionnelles ?
Image : Ford Media Center

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Les exosquelettes feront-ils disparaître les maladies professionnelles ?

De plus en plus populaires, les exosquelettes sont présentés comme la solution miracle contre les troubles musculosquelettiques. Hélas, ils sont souvent utilisés par les entreprises comme de simples gadgets.

Près de 1,7 million de fois par an. C’est le nombre de gestes que les ouvriers répètent pour assembler des véhicules dans une usine Ford du Michigan aux Etats-Unis. Ereintant et traumatisant, ce travail peut causer de vives douleurs aux membres supérieurs : les troubles musculo-squelettiques (TMS). Pour pallier à ce problème, le constructeur américain s’est associé à l’entreprise californienne Ekso Bionics pour équiper ses ouvriers d’un accessoire digne des films de science-fiction : l’exosquelette. « Ce sont des dispositifs d'assistance physique à restitution d’énergie assortis de systèmes de type ressort . Il n'y a pas encore de système robotisé avec contention utilisé en entreprise. Ce dispositif aide l'opérateur dans l'exécution d'une tâche, soit par une compensation des efforts, soit par une augmentation de ses capacités motrices. Ils peuvent équiper un bras ou les deux, les jambes ou le dos » explique Jean-Jacques Atain-Kouadio, ergonome à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

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Ainsi harnachés dans une sorte de veste pesant environ 4 kg, les opérateurs de Ford peuvent soulever sans peine des charges allant de 2 à 6 kg par membre. « Mon job consiste à effectuer des manipulations au-dessus de ma tête, alors quand je rentrais chez moi, mon dos, mon cou et mes épaules me faisaient généralement souffrir. Depuis que j’ai commencé à porter [l’exosquelette], je n’ai plus mal et j’ai assez d’énergie pour jouer avec mes petits-enfants quand je rentre à la maison » raconte Paul Collins, un ouvrier choisi par le constructeur américain pour témoigner dans son communiqué de presse. L’entreprise confie également que l’intégration des exosquelettes est dans la continuité de son initiative de réduire les douleurs et la fréquence des arrêts maladies dans ses usines. Mais l’exosquelette est-il la solution miracle contre les troubles musculo-squelettiques ?

EksoVest, l'exosquelette d'Ekso Bionics pour Ford. Image : YouTube

En France, les TMS sont aussi une grande préoccupation pour les entreprises et l’Assurance Maladie. Cette dernière a d’ailleurs collecté tout un tas de chiffres afin de démontrer la gravité de la situation. Chaque année, cette maladie professionnelle engloutit près d’un milliard d’euros en charges patronales et environ 8,4 millions de journée de travail perdues, soit 45 000 plein temps passés en arrêt maladie. « Tous les ans, environ 50 000 nouveaux cas sont reconnus et indemnisés. Les secteurs les plus touchés sont l'agroalimentaire, l’abattage et la préparation de la viande, la grande distribution, la logistique. On pense souvent au port de charges lourdes mais les vibrations posent également problème – chez les conducteurs de poids lourds, par exemple », explique Thierry Fassenot, Ingénieur conseil à la direction des risques professionnels de la caisse nationale d'Assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

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Les chiffres sont spectaculaires, mais le diagnostic est pourtant posé selon des critères stricts. Il ne suffit pas d’avoir des douleurs aux membres au travail pour que cela soit considéré comme un TMS. « Il faut se référer à un tableau contenant 3 colonnes : atteinte physique, activité professionnelle et délai d'exposition avec délai de prise en charge. Vous ne pouvez pas dire que vous avez un TMS si vous avez travaillé il y a deux ans et que depuis, vous n'avez rien fait, affirme l’ingénieur. Il faut que ces 3 critères soient validés pour que le trouble soit reconnu comme maladie professionnelle » En 2015, ces troubles représentaient près de 87% des maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt de travail ou une réparation financière en raison de séquelles faisant des TMS la première maladie professionnelle de France. D’ailleurs, TMS est un petit acronyme regroupant de très nombreuses pathologies des tissus mous entourant les articulations comme les tendons, les nerfs ou les muscles. On retrouve en majorité les tendinites, le syndrome du canal carpien, les épicondylites et les tendinopathies de la coiffe des rotateurs, pour les plus connus. Parmi les articulations les plus touchées, les poignets et mains concernées à 40% occupent la première place devant l’épaule (37%) et le coude (21%). L’atteinte au genou et les autres syndromes ne dépassent pas les 1,3% chacun.

Devant ce problème de santé publique et gouffre financier, le service Accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de l’Assurance-maladie a mis en place un programme d’aide à la prévention, appelé TMS Pro, en 2014. Près de 7 500 entreprises ont rejoint l’initiative et le chiffre des TMS ont commencé à baisser. En 2016, il y avait 4,1% de TMS en moins par rapport à 2015. L’idée est d’étudier les postes de travail dans leur ensemble afin de mettre en avant les causes de ces TMS. « La plus grosse difficulté est de connaitre la réalité des choses. Par exemple, les opérateurs ont tendance à remplir les objectifs qu'on leur assigne en termes de productivité. Ils vont forcément, un jour ou l'autre, dévier de la procédure prescrite. Une bonne organisation est essentielle, mais sur le terrain, cela devient différent. La meilleure connaissance possible de l'activité professionnelle permet de réduire les risques. Il faut une mise en place d'une démarche ergonomique en connaissance de cause en collaboration avec les salariés qui vont être opérateurs. Ils vont savoir guider car ils connaissent la réalité du poste. On peut alors aménager le poste, automatiser certains gestes, modifier les modes d'approvisionnement, installer une polyvalence des opérateurs », détaille Thierry Fassenot.

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« Certaines entreprises se disent que ce serait bien d'intégrer un exosquelette. Ne pas en avoir serait être has-been. »

Dans ces conditions, pourquoi ne pas proposer un exosquelette afin de soulager les corps des employés ? Sur le papier, ce dispositif à la Iron Man – excès hollywoodien en moins – semble une solution toute trouvée pour réduire la pénibilité du travail. En France, cela ne fait que 5 ans qu’ils sont envisagés. « En 2012, nous avons fait un exercice de prospection dont la thématique étaient les robots d'assistance physique en 2030 . Ce que l'on imaginait comme scénario pour le futur existe déjà. La progression est fulgurante. Les évolutions technologiques permettent de rendre plus attractifs et plus ludiques les exosquelettes pour le monde de l'entreprise, relate Jean-Jacques Atain-Kouadio. Mais il y a un effet de mode. Pour être dans l'air du temps, certaines entreprises se disent que ce serait bien d'intégrer un exosquelette. Ne pas en avoir serait être has-been. Cette technologie fait naitre de grands espoirs mais il y a beaucoup de confusion autour des exosquelettes. En réalité, leur champ d'application est beaucoup plus précis qu’il n’en a l’air », relativise l’ergonome de l’IRNS.

Les TMS sont en réalité des pathologies multifactorielles. Il y a bien sûr le facteur biomécanique qui entre en jeu mais également le facteur psycho-social, l’environnement, l’organisation, la cadence et la répétitivité de la tâche à effectuer. « Il n'y a rien qui prouve un apport en matière de répétitivité, l'un des facteurs de risques des TMS. Les travaux en laboratoire et les analyses sur le terrain montrent que la contribution d'un exosquelette pourrait avoir un effet sur les efforts effectifs et/ou sur le travail statique en fonction de l'activité. Rien n'est mis en avant sur la répétitivité ou les positions extrêmes », explique le chercheur. Les exosquelettes pourraient donc constituer une solution si la cause des TMS était unique, mais ce n’est pas le cas.

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Quand l’entreprise ne s’est pas questionnée sur le fonctionnement de ces nouvelles technologies et sur leurs apports, l’utilisation de l’exosquelette pourrait bien être une fausse bonne idée. En effet, il faut que le problème fonctionnel de l’opérateur soit exclusivement biomécanique pour que la contribution de l’exosquelette soit significative.

« Imaginons qu’une entreprise découvre un exosquelette des membres supérieurs lors d'un salon, explique l’ergonome de l’IRNS . Elle se dit que cela va réduire la problématique du port de charges. Après intégration, les opérateurs rapportent que cela ne leur apporte rien, car la gêne se situe au niveau du dos et non des bras. Il est rare qu’un exosquelette sélectionné sans évaluation corresponde au problème décrit. Pire, intégrer un exosquelette à un poste où il n’est pas nécessaire peut avoir des effets extrêmement négatifs. » De fait, l’intégration d’un exosquelette ne se résume pas à son simple achat. D’une valeur de 6 000$ pour le modèle choisi par Ford, il suscite aussi des frais parfois inattendus et peut nécessiter d’ajuster les locaux de l’entreprise. Enfin, une période d'adaptation et d'apprentissage est à prévoir pour l’opérateur, ce qui nécessite de le remplacer le temps qu’il soit formé.

Il faudra également prévoir des changements d'organisation et d'environnement de travail. « Imaginons un poste où l'opérateur est dans un milieu étroit. Ajoutez-lui un exosquelette des membres supérieurs à structure externe. Cela change la forme et la géométrie de l'ouvrier en mouvement, explique Jean-Jacques Atain-Kouadio. L’opérateur et son exosquelette ne peuvent plus évoluer dans la configuration du poste de travail qu'il avait auparavant. Ça peut sembler évident, mais toutes les entreprises ne se posent pas la question. Elles l'intègrent au même titre qu'un nouveau transpalette. » En bref, il faut prendre garde de ne pas déplacer le problème. S’il est situé au niveau des membres supérieurs, il ne faut pas qu’il migre au niveau du dos ou des genoux. De même, il ne faut pas que l’opérateur de se retrouve dans de nouvelles positions extrêmes avec sa combinaison coquée parce que son poste de travail ne serait plus adapté.

Dernier facteur à prendre en compte avant d’équiper l’ouvrier d’un lourd exosquelette : les perturbations sensorielles. Le port du dispositif a lui-même des effets sur la motricité et les sensations, un peu comme quand on adopte la démarche du cowboy juste après une longue balade à vélo. « À partir du moment où vous avez tout un appareillage fixé sur le corps, vous bougez différemment. Si vous devez faire une autre activité qui nécessite d'être déséquipé, rien ne dit que votre proprioception va faire son retour dans les secondes qui suivent », explique le chercheur de l’IRNS. Les dimensions du corps ayant changé, le risque de choc est plus important. Prendre un coup de bras appareillé est plus douloureux qu’un coup de bras non équipé dont la tendresse des chairs amortirait le choc.

Qui dit exosquelette, dit nouvelles capacités physiques. Les outils doivent suivre la nouvelle cadence. « Prenez un ouvrier dans une fonderie qui doit ébarber, retirer du métal avec une meuleuse, illustre l’ergonome de l’IRNS. Si l'exosquelette lui permet d'avoir un peu plus de force, il faut que le disque pour meuler ait les caractéristiques techniques pour résister à la nouvelle puissance de l'opérateur accompagné de son assistance physique. L’entreprise doit aller jusque-là. Ce n’est pas anodin d’intégrer ce type d’appareillage. Avant de conclure : « Les exosquelettes ne sont qu'une contribution à la réduction des TMS, et cette contribution se fait sous conditions. »