L'artise néerlandais Daan Roosegaarde veut sensibiliser le public aux débris spatiaux — mais est-ce bien utile ?
Photo : Daan Roosegaarde

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Les débris spatiaux vous concernent aussi... Mais pas tant que ça

Aux Pays-Bas, le designer Daan Roosegaarde vient d’inaugurer le Space Waste Lab, une installation d’art numérique censée interpeller les masses sur la question urgente des débris spatiaux. Enfin, peut-être pas si urgente que ça.

Début octobre, l’artiste numérique et designer néerlandais Daan Roosegaarde inaugurait sa nouvelle installation près d’Amsterdam dans la ville d’Almere. Intitulée Space Waste Lab, l’oeuvre d'art numérique vise à nous faire prendre conscience d’un phénomène méconnu : les débris spatiaux. Car oui, l’être humain est une créature à ce point dégueulasse que non content de pourrir la planète, il a aussi trouvé le moyen de polluer l’espace.

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L’installation consiste en des lasers censés pointer en temps réel vers de véritables débris spatiaux grâce à « des logiciels et une caméra de haute technologie ». « Depuis mon projet Smog Free, j’ai été fasciné par l’idée de nettoyer l’environnement. Il y a 8,1 millions de kilos de débris spatiaux. Peut-on les utiliser comme ingrédient ? » s’est demandé le designer. Au sol, le projet montre également un débris spatial ayant fini sa course sur Terre, afin de rendre la chose plus concrète aux yeux des visiteurs et de les pousser à agir : « Dans une des pièces, les gens peuvent écrire leur propre idée de ce qu’on pourrait faire » explique le designer, qui parle même d’« appel à l’action » : « Si on continue comme ça, dans 30 ans, nous ne pourrons plus lancer de satellites. En tant que société, nous devons décider comment nous allons gérer cette question. Nous avons besoin d’un débat public. Sinon nous sommes coincés ».

Une urgence relative

Les débris spatiaux entourant la planète représentent-ils un enjeu crucial, voire un danger pour l’humanité ? Christophe Bonnal, expert des débris spatiaux au Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), est plus nuancé, et rappelle : « Il existe environ 30 000 débris de l’ordre de 10 centimètres, dont 20 000 sont catalogués. On en a environ 750 000 de 1 cm. Puis 135 millions de 1 mm ». Or, ce sont surtout ces derniers qui sont dangereux, mais uniquement pour les satellites : « Étant donné que c’est en orbite, soit à 30 000 km/h, une bille de 1 mm a la même énergie qu’une boule de bowling lancée à 100 km/h. Les objets en orbite ne dérangent personne, sauf quand il y a collisions avec des satellites utiles. L’impact est avant tout économique ou en perte de capacités ».

Aujourd’hui, un nouveau satellite aurait environ 5% de chance de mourir d’un impact pendant sa vie. Et si l’enjeu est à prendre au sérieux — car ces satellites nous servent au quotidien ne serait-ce que pour les GPS, la météo et les télécommunications —, il n’en va pas de la survie de l’humanité : « Il ne doit y avoir aucun catastrophisme. On n’est dans rien de comparable au réchauffement climatique » explique le spécialiste. « Le citoyen va pouvoir dire "C’est pas bien, il faut faire quelque chose !" mais les professionnels travaillent déjà dessus de façon internationale ».

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L'équipe du Space Waste Lab à l'ouvrage. Photo : Daan Roosegaarde

Des règles de bonne conduite

Plus qu’une grande mobilisation citoyenne, la solution résiderait donc plutôt dans des normes, standards et guides de bonnes conduites internationaux, moins excitants mais plus adaptés. Grâce au travail de l’Inter-Agency Space Debris Coordination Committee (IADC), des règles ont été votées par plus de 160 pays afin de réduire la pollution spatiale lors des prochaines expéditions : « Au niveau politique, tous les pays s’en sont bien saisis. Il n’y a pas d’opposition politique puisque les débris gênent tout le monde » analyse l’expert. Aller nettoyer l’espace n’est pas non plus pour tout de suite : les solutions immédiates consistent surtout à éviter les explosions en orbite ou les collisions, à limiter la durée de vie en orbite, et à désorbiter les engins en fin de vie au dessus de zones terrestres vides, afin de limiter les risques d’accident liés aux matériaux réfractaires — ceux qui ne fondent pas lors de leur entrée dans l’atmosphère. Même si, là encore, le risque pour l’humain lambda reste faible, la surface de la Terre étant composée majoritairement d’océans et de déserts : « En 60 ans d’opérations spatiales, personne n’a jamais été touché » précise Christophe Bonnal.

Alors, circulez, y a rien à voir ? Pas si sûr, car pour l’instant, les textes restent mal appliqués. « En 20 ans, on n’est pas aussi avancés qu’on l’aurait voulu » admet le spécialiste. « Or on prévoit 20 000 nouveaux satellites dans les dix ans qui viennent, pour 1700 satellites actifs actuellement. Ce boom nous inquiète. On va voir fleurir des méga-constellations, des satellites coordonnés qui permettent d’avoir Internet partout sur la planète, des milliers de télescopes qui observent la Terre en permanence ». Et si, plus que sur la sensibilisation des masses à une pollution spatiale en partie fantasmée, la question portait plutôt sur ce que nous autres humains envoyons dans l’espace, et surtout à quelles fins — les satellites étant en partie liés à des technologies militaires ou de surveillance et au coeur d’enjeux géopolitiques, écologiques et économiques majeurs ?

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Le Space Waste Lab en action. Photo : Daan Roosegaarde

Art et science, pas toujours réconciliables

En attendant, l’installation de Daan Roosegaarde est un petit succès : plus de 8 000 personnes l’ont déjà visitée depuis son lancement. Et malgré ce que peuvent en penser les spécialistes, lui entend bien continuer de mobiliser les foules. Le 19 janvier, Studio Roosegaarde révèlera d’ailleurs les différentes solutions imaginées par le public sur la gestion des débris spatiaux, et livre déjà les siennes : attirer les débris vers la terre pour en faire des sortes de feux d'artifice, utiliser les débris pour imprimer en 3D des bâtiments sur la Lune ou Mars, ou faire entrer volontairement les débris en collision afin de produire de l’énergie. Pour le designer, la question va même plus loin que les simples débris spatiaux : « L’enjeu, c’est l’air propre, un espace propre, l’eau propre. Et c’est aussi très fun : nous avons besoin de l’art pour penser de façon différente, ouvrir de nouvelles perspectives. Ce projet, je le commence avec une question. Ça va être un voyage ».

Manque de chance, les pistes émises pour l’instant par le studio ne semblent pas séduire davantage notre spécialiste mal luné. Pour l’impression 3D, la solution a déjà été étudiée et en partie disqualifiée par Christophe Bonnal : « Les débris ne sont pas à l’endroit où se trouve l’imprimante, il faut aller les chercher, faire un rendez-vous spatial puis un transfert orbital. C’est très coûteux d’un point de vue énergétique comme opérationnel ». Ce à quoi s’ajoutent des problèmes concernant la transformation des débris, et la qualité de matériaux ayant passé plus de vingt ans dans l’espace. « C’est faisable en théorie, mais pas très intéressant et très contraignant dans la pratique » conclut-il. Quant à l’idée de faire entrer volontairement en collision des débris, l’expert n’est pas plus enthousiaste… au contraire : « Dans ces cas de collisions hypervéloces, le matériau se comporte presque comme du liquide. Vous pulvérisez des milliers de débris de taille diverses et variées, c’est vraiment ça qu’on cherche à éviter par tous les moyens ! » Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’il reste encore trois mois à Roosegaarde pour que d’autres idées émergent, peut-être un poil plus terre-à-terre.

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