Les planètes habitables n’existent pas

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Les planètes habitables n’existent pas

On nous présente l’exploration spatiale comme un futur inévitable et nécessaire, vers lequel nos technologies nous mèneront tout naturellement. Un fantasme dont l'utilité politique est de plus en plus évidente.

Une première version de cet article a été publiée dans l'édition de mars 2017 de VICE Magazine.

Tous les six mois ou peu s'en faut, c'est la même cérémonie : la NASA annonce une conférence de presse imminente, les médias s'affolent, on s'attend à une découverte fracassante, Jacques Cheminade tient sa cuillère de céréales en suspension.

Pendant quelques jours, on spécule à tour de bras sur la découverte possible de biosignatures à la surface d'un objet céleste, sur un signe infime permettant d'espérer que des organismes multicellulaires nous attendent quelque part, frétillants. Les plus romantiques espèrent secrètement que grâce à la découverte d'une nouvelle forme de vie, l'humanité sera enfin arrachée à sa misérable condition et accèdera à des secrets supérieurs. Ou du moins, à un potager galactique qui lui permettra d'établir ses quartiers loin du FN et des pics de pollution.

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Puis la sentence tombe. On a découvert une nouvelle exoplanète, potentiellement habitable ! Dans les heures qui suivent, les concept artists esquissent des panoramas de la surface de la planète à l'aide des maigres données dont ils disposent, en insistant un peu sur les contrastes de couleur, les dégradés de rose et les soleils doubles. La NASA, qui fait tout pour étoffer un récit héroïque et unifié de la conquête spatiale (quitte à s'attribuer par omission le crédit de découvertes récentes lors de ses communications, comme celle du système planétaire Trappist-1 par l'équipe belge du projet Speculoos) est très friande de cette mythologie de « l'après-Terre ». Tout est fait pour que l'exploration de l'espace soit représentée comme un futur non seulement inévitable, mais nécessaire – vers lequel nos technologies nous mèneront tout naturellement.

Ce récit imprègne bien sûr les esprits, tant chez les entrepreneurs que les décideurs. Trump a annoncé à plusieurs reprises qu'il comptait recentrer les activités de la NASA sur des missions à gros budget orientées vers l'exploration de l'espace, au détriment des missions d'études de la Terre en orbite terrestre basse. Le budget alloué à ces dernières a donc été coupé à hauteur de 102 millions de dollars pour l'année 2018, notamment en ce qui concerne le projet OCO-3 ou le projet PACE. En bref, il s'agit de délaisser la surveillance de l'atmosphère et des océans (le changement climatique est une invention des médias après tout), au profit d'une activité plus noble, l'exploration spatiale. Avec à la clé, pourquoi pas, l'établissement de colonies martiennes.

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Croit-il vraiment à ce rêve ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c'est que présenter les voyages robotiques et humains dans l'espace lointain comme une perspective réaliste s'intègre dans une stratégie politique à part entière, où l'espace est présenté comme le champ de bataille ultime de la compétitivité. « L'Administration nationale de l'aéronautique et de l'espace a pour mission première d'accroître la compréhension de l'univers et faire de l'Amérique le leader de la technologie aérospatiale. Notre nation doit ouvrir la frontière de l'espace", a déclaré le Bureau de la gestion et du budget américain à la mi-mars.

L'un des nombreuses représentations spéculatives de TRAPPIST-1. Crédits : driver Photographer/Flickr

Les décideurs aiment qu'on leur présente le progrès technologique comme un phénomène linéaire, constant, sans crépuscule possible. Malheureusement, il ne suffit pas d'investir des milliards dans un projet scientifique grâce à des partenariats public-privé pour repousser les limites de la technique et de l'entendement humain, comme nous l'ont montré le Human Genome Project et le Human Brain Project.

La machine médiatique joue depuis longtemps sur l'ambiguïté du concept d'habitabilité – un terme d'astronomie – pour fortifier nos fantasmes sur le futur de l'humanité dans l'espace. À chaque nouvelle découverte d'une exoplanète partageant quelques traits communs avec la Terre, l'émerveillement se mue en quelques heures en récit prospectiviste qui a moins à voir avec la recherche de la vie extraterrestre qu'avec le mythe d'un destin galactique annoncé. Ce n'est pas pour rien si la campagne de com' organisée autour de la découverte des sept exoplanètes du système Trappist-1 par la NASA mettait à l'honneur une fausse publicité touristique enjoignant le public à visiter ses exocollines en astrobus.

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Peu à peu, toutes nos représentations sont conditionnées par cette idée qu'une planète habitable est une planète sur laquelle l'on peut et doit poser le pied, trouver des sortes de paramécies qui barbotent puis construire des environnements artificiels sous des dômes géodésiques – comme nous y encourageait le futur des années 80, qui est peu ou prou le même que celui d'Elon Musk.

Pourtant à l'heure actuelle, les Super-Terre, Terre jumelle et autres analogues de la planète bleue ne sont pas habitables au sens que l'on voudrait qu'elles soient, c'est-à-dire visitables par des humains. Ce ne sont que des exoplanètes hors de notre portée, et nous en découvrons de nouvelles chaque semaine, ou presque. Dans quelques rares cas, ce sont des planètes telluriques situées dans la zone habitable de leur étoile, comme chez nous. Cela signifie que leur surface est solide, et qu'elles possèdent des températures compatibles avec la présence d'eau liquide censée favoriser l'apparition de la vie. La ressemblance avec la Terre s'arrête là. Elles sont d'ailleurs trop loin de nous pour que nous puissions leur tirer le portrait avec une précision suffisante.

Pour qu'une planète soit habitable au sens strict – c'est-à-dire pour que la vie telle qu'on la connait actuellement puisse apparaître à sa surface et s'y maintenir – la liste des prérequis est longue comme le bras. Elle doit par exemple posséder une atmosphère (non toxique), des traits géologiques et géodynamiques favorables, la magnétosphère qui va bien, des caractéristiques orbitales impeccables, une position idoine par rapport au centre de la galaxie, un axe de rotation parfait, etc. Elle doit aussi être habitable au moment où nous l'observons, car les données atmosphériques et biochimiques d'une planète évoluent considérablement tout au long de sa vie.

Or, vu l'aspect des exoplanètes observées jusqu'ici - et même si d'autres objets célestes tels que les lunes Europe et Encélade sont pleines de promesses - les mathématiques ne jouent pas en notre faveur. L'astronome américain Sean Caroll, chercheur à Caltech, explique que selon les extrapolations les plus consensuelles à l'heure actuelle, la probabilité qu'il existe une planète qui abrite la vie à des dizaines, centaines, milliers d'années-lumière de nous est de 10^100. C'est très peu. C'est aussi suffisant pour rêver et espérer.

D'ailleurs, peut-être qu'après maintes découvertes et révisions de nos modèles astronomiques et astrobiologiques, un consensus scientifique sur la probabilité de la découverte de la vie extraterrestre émergera, et qu'il sera optimiste. Peut-être qu'un jour, l'humanité aura acquis une stabilité géopolitique et économique favorable à l'organisation de grands voyages spatiaux. Peut-être qu'à terme nous posséderons les technologies qui nous permettront de planter un drapeau en-dehors du système solaire. En attendant, la possibilité d'une telle prouesse technologique est de l'ordre du voeu pieu – une croyance qui peut être instrumentalisée à souhait. Et la Terre demeure la seule planète que nous savons habiter.

Avant d'essayer de terraformer le premier caillou venu, de créer des écosystèmes de toutes pièces et de se protéger des rayons cosmiques, on pourrait peut-être se sortir le nez des grands fantasmes épiques qui nous détournent trop souvent de la triste réalité : notre planète se porte mal et elle ne peut pas être remplacée. Nous sommes infoutus de diminuer la quantité de dioxyde de carbone dans l'atmosphère afin d'infléchir le réchauffement climatique, et aucun rêve d'échappatoire galactique ne pourra y remédier.