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La société est trop complexe pour un président, quel qu'il soit

C'est en tout cas ce que nous disent des modèles mathématiques de l'Institut des Systèmes Complexes de Nouvelle Angleterre.

En cette période particulièrement agitée d'élections islandaises, américaines, et bientôt françaises, un constat s'impose : les gens en ont gros. Les deux-tiers des Américains estiment que leur pays « s'engage dans une mauvaise direction » par exemple, et on ne saurait les contredire, surtout après avoir pris connaissance du résultat des élections au saut du lit. Tandis que nos amis ricains ont voté pour les deux candidats à la présidentielle les moins populaires de l'histoire de leur pays, la droite et la gauche françaises s'évertuent à clamer sur tous les tons sur le gouvernement est, et demeure inefficace.

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Y aurait-il une raison à cela ? Oui. Les sociétés humaines sont trop complexes pour que la démocratie représentative puisse fonctionner correctement. C'est en tout cas ce que pensent des mathématiciens de l'Institut des Systèmes Complexes de Nouvelle Angleterre (NECSI). Selon eux, les États-Unis ne devraient même plus élire de président, et nous non plus.

La NECSI est un organisme de recherche qui utilise des modèles mathématiques issus de l'étude des systèmes physiques et chimiques. Il brasse des ensembles massifs de données économiques, sociales, démographiques, etc., afin de nous aider à expliquer comment les événements qui adviennent dans telle partie du monde pourrait affecter telle autre partie du monde, sans que ces territoires n'aient en apparence de lien particulier.

Le directeur de l'institut, Yaneer Bar-Yam, est connu pour avoir prédit le Printemps arabe plusieurs semaines avant le début des événements. Il avait en effet constaté que des décisions politiques sans rapport les unes avec les autres en apparence - les subventions à l'éthanol aux États-Unis et la déréglementation des marchés des produits consommation courante - avaient entraîné une flambée des prix de l'alimentaire en 2008 et en 2011. Or, il s'avère qu'il existe une corrélation très nette entre l'indice des prix des produits alimentaires et les troubles politiques. Seul Bar-Yam avait alors observé ce phénomène.

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Les pays énumérés ici correspondent à ceux où les émeutes ont eu lieu. Les nombres entre parenthèses correspondent au nombre de décès liés aux violences. Image: Yaneer Bar-Yam

En considérant le système américain, le lien entre ces décisions politiques et la violence dans le monde est éloquent : en outre, Bar-Yam a été en mesure de décrire ces corrélations de manière raffinée car il a examiné des inputs et des outputs très spécifiques au sein de son modèle, des indicateurs précis permettant d'expliquer des phénomènes ponctuels au sein des sociétés humaines.

Selon lui, il est absurde de penser que la concentration du pouvoir entre les mains d'un ou de plusieurs individus à la tête d'une démocratie représentative organisée de manière hiérarchique est susceptible de mener à des décisions politiques optimales, dans la mesure où ces décisions interviennent au sein d'un tissu d'enjeux complexes, interconnectés. Dans ces conditions, toute décision politique aura toujours des conséquences importantes, possiblement dramatiques, et non anticipées.

« La complexification croissante de la société est un processus naturel » confie Bar-Yam. « À un moment donné, cette croissance entre en conflit avec la complexité des individus eux-mêmes. C'est à ce moment là que les organisations hiérarchiques échouent à agir de manière rationnelle. »

« Nous avons été éduqués à penser que la démocratie est un système intrinsèquement bon, quoique imparfait » ajoute-t-il. Mais ici, ce n'est pas seulement la démocratie qui échoue. « Les organisations hiérarchiques en général ne permettent plus de prendre les bonnes décisions. Cela est universellement vrai aujourd'hui, que nous parlions de dictatures, du communisme qui avait des processus de contrôle très centralisés, ou encore des démocraties représentatives. Les démocraties représentatives concentrent toujours le pouvoir sur un ou plusieurs individus. Et cette concentration du contrôle et de la prise de décision rend ces systèmes totalement inefficaces. »

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La « complexité » des sociétés humaine

La société n'a fait que gagner en complexité depuis l'aube de la civilisation. Image: Yaneer Bar-Yam

Cette idée d'une « complexité » quantifiable et mesurable renvoie immédiatement à la difficulté qu'il y a à décrire ce qui se passe au sein d'un système complexe. Mais selon Bar-Yam, la société humaine demeure un système comme un autre, qui se comporte en suivant certaines lois.

Un humain est composé d'atomes, qui eux-mêmes constituent des molécules qui forment des cellules, qui composent les organes, et ainsi de suite. Décrire le comportement de chaque atome est incroyablement difficile ; celui des organes, un peu moins. Ce qui est sûr, c'est qu'il est possible de décrire précisément ce que font nos organes en un temps t, car les comportements collectifs sont toujours plus « simples » à décrire que les comportements individuels, selon Bar-Yam.

Pour lui, réductionniste invétéré, cette analogie peut également s'appliquer aux êtres humains vivant en collectivité. En bref, prédire le comportement d'un ouvrier dans une usine de production automobile est beaucoup plus difficile que de prédire le comportement global de l'ensemble des ouvriers de cette même usine.

« Dans les organisations humaines, la coordination des comportements émerge parce que les individus s'influencent les uns les autres » explique Bar-Yam. « À l'inverse, une hiérarchie est conçue pour permettre à un seul individu de contrôler le comportement collectif. »

« À l'époque des anciens empires, à grande échelle, les systèmes humains exhibaient des comportements relativement simples, car les individus effectuaient des tâches individuelles triviales répétées de génération en génération sur un temps long » ajoute-t-il.

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C-individu correspond au point où une personne ne peut plus prendre des décisions efficacement. Les démocraties représentatives ne sont pas des hiérarchies strictes, mais elles centralisent toujours le pouvoir chez quelques individus (le modèle « hybride »). Bar-Yam suggère que la société devra évoluer vers un processus décisionnel axé sur l'esprit d'équipe afin de faire face à la complexité de la société humaine.

Bar-Yam estime que la nature relativement simple du monde, durant l'Antiquité, autorisait une seule personne à être en charge de tous les aspects de la gouvernance. De plus, le comportement collectif de l'ensemble d'une ville, d'un village ou d'un empire était descriptible en termes simples, car la plupart des individus effectuaient des activités stéréotypées.

Les théories physiques suggèrent que la complexité de tous les systèmes, dont les systèmes sociaux, augmente avec le temps. C'est ce que nous constatons aujourd'hui en examinant l'histoire de nos sociétés.

« Nous n'arrivons plus à comprendre la nature des décisions, et surtout, nous ne parvenons plus à prédire leurs conséquences. »

Les progrès technologiques réalisés au cours de la révolution industrielle ont permis d'automatiser les activités domestiques et de diversifier le nombre de tâches que l'être humain pouvait accomplir. La révolution industrielle a conduit à des progrès dans les transports et le fret, reliant des régions isolées les unes aux autres. Quant à l'Internet, aux ordinateurs et aux smartphones, évidemment, ils ont permis de tisser ce réseau connecté dans les endroits les plus reculés de la planète.

« La société humaine » est désormais un système complexe géant, qui possède des traits communs avec un organisme.

C'est dans ce cadre ci que des décisions sur l'éthanol, au début des années 90, ont pu avoir un effet sur les tensions politiques des années plus tard. Or, chaque jour, un nombre incalculable de décisions sont prises, et un nombre incalculable d'événements ont des effets sur le monde.

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La complexité et la présidence

La complexité de notre système de gouvernance doit rester au-dessus de la ligne « survie/échec ».

Un cadre théorique proposé par le pionnier de la cybernétique Ross Ashby dans les années 50 a servi de base au travail de Bar-Yam. Il suggère que les organisations échouent lorsque le niveau de complexité de ce que l'on attend d'elles dépasse la complexité de ladite organisation. Lorsqu'elle concentre le pouvoir dans les mains d'une ou plusieurs personnes situées au sommet de la hiérarchie, cela signifie que les exigences imposées à la structure ne doivent pas être plus complexes que ce qu'une seule personne peut comprendre et gérer.

Dans le cas de la démocratie représentative, nous attendons du président de la République et du gouvernement qu'ils prennent des décisions dans un environnement bien trop complexe pour eux. En d'autres termes, la démocratie telle que nous la connaissons vient de trouver ses limites. Elle ne peut plus fonctionner.

« Nous ne pouvons plus attendre d'un seul individu qu'il soit capable de comprendre notre monde et d'en relever les défis, » explique Bar-Yam. « Que l'on parle d'un candidat ou d'une autre, de droite ou de gauche, la question demeure : sera-t-il capable de changer le système ? Non. »

« Nous n'arrivons plus à comprendre la nature des décisions, et leurs conséquences. Nous ne parvenons même plus à déterminer ce qui les relie » ajoute-t-il. « Cela est vrai pour tous les gouvernants, tous les décideurs. Ils sont incapables d'apprécier l'ensemble des conséquences de leurs actions. »

Bar-Yam propose un système de gouvernance alternatif, organisé de manière plus horizontale, et dans au sein duquel une multitude de petites équipes se spécialiseraient dans une gamme de domaines et de sujets, avant de collaborer pour prendre des décisions.

« Nous nous retrouvons avec des gens qui diront 'Je vais faire ça, et les choses iront mieux', chacun de leur côté, sans qu'il soit possible d'évaluer lequel sera le plus efficace. Actuellement, le danger est de choisir des stratégies destructrices, en attendant d'avoir les moyens de prendre de meilleures décisions. »

Lorsque vous voterez en 2017, ne votez pas dans le but de « détruire le système » vous dira Bar-Yam. Ce dernier est en faveur de changements progressifs vers un système de gouvernance plus horizontal. Selon lui, chercher la destruction des organisations existantes ne produira jamais un effet vertueux à long terme.