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Culture

Pour en finir une bonne fois pour toutes avec The Asylum

Requins géants et assauts frontaux contre le concept même de propriété intellectuelle : comment les pires cinéastes du monde ont bâti leur étrange empire.
Image issue du film « Sharknado 3 »

Chaque été depuis 2013, la compagnie The Asylum et la chaîne SyFy unissent leurs forces du mal pour accoucher d'une nouvelle itération de la saga Sharknado. Des requins, des tornades, des requins-tornades à l'assaut de castings débiles et de spectateurs chair à canon de ces amateurs du travail mal fait.

Sharknado 5: Global Swarming sera diffusé le 6 août sur SyFy US, et dans la foulée sur sa franchise française. De guerre lasse, les États-Unis n'y existent plus, le fléau des requins-tornades touche désormais le reste du monde. Fin Shepard (Ian Ziering, en crise de dignité durable) et sa petite famille s'en vont exporter leur savoir-faire en la matière par-delà le globe. Une bonne occasion pour aligner moult caméos furtifs, à la façon des blockbusters hollywoodiens casant des vedettes chinoises le temps de trois répliques pour honorer des clauses de coproduction et racoler du public international. Le couple de YouTubeurs Natoo et Kemar, tout à leur état de grâce quasi macroniste avec la sortie en salle de la comédie horrifique Le Manoir le 21 juin, représentera ainsi les couleurs de la France dans une séquence tournée à Rome. Contrairement à Bruno Salomone dans Sharknado 3, ils n'ont pas tourné leurs scènes par Skype ; si ça se trouve, ils ont même été défrayés et apparaîtront plus de dix secondes – on croise les doigts très fort.

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Il n'est pas interdit d'espérer de ce cinquième opus un retour au respectable niveau de mongolerie atteint dans le troisième épisode, débuté pour mémoire par la destruction de la Maison Blanche, conclu dans l'espace, zébré d'apparitions inattendues de Lou Ferrigno, Lorenzo Lamas, David Hasselhoff, Jerry Springer, l'atroce éditorialiste conservatrice Ann Coulter ou le maniaque sexuel démocrate Anthony Wiener. Avec un peu de chance, le ventre mou du film n'excédera pas 30 minutes. Avec beaucoup de chance, le sentiment de honte ne durera pas plus longtemps. Avec les productions The Asylum, autant placer ses attentes le plus bas possible.

Fondée en 1997, entrée dans le jeu du cinéma d'exploitation par la toute petite porte deux ans plus tard, la compagnie The Asylum a au moins l'honnêteté de n'avoir jamais fait mystère de son absence d'ambition artistique. L'un de ses fondateurs confesse même en interview avoir été étonné, après avoir lancé l'une de ses productions en VOD, que le film ne soit « pas si horrible que ça ». Signe qui ne trompe jamais sur l'intégrité d'une boîte, son modèle économique est celui de la pyramide de Ponzi : emprunter des capitaux, produire chichement, emprunter plus et rembourser les premiers investisseurs au passage, produire plus et encore plus chichement, ad lib, ad nauseam. Le mouvement perpétuel de la série Z au rabais, du remplissage d'espace et de catalogue de contrebande tant que la magouille fonctionne.

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Et pour ça, un tout petit effort d'imagination suffit pour viser la rentabilité : surfer sur les tendances horrifiques du moment, tourner des adaptations d'œuvres tombées dans le domaine public en même temps que les gros studios ( La Guerre des Mondes) puis carrément piocher « l'inspiration » dans le calendrier des sorties avec des titres aussi évocateurs que Transmorphers, Snakes on a Train, The Da Vinci Treasure, Pirates of Treasure Island, Sunday School Musical, Atlantic Rim et autres candidats à ce genre fourre-tout, seule création originale de The Asylum, appelé le mockbuster.

Deuxième contribution à l'Histoire du cinéma avec du gros H, le retour de hype du film de requin tueur, déclinable à toutes les sauces à la disgrâce des effets numériques. Ainsi, dans Mega Shark vs Giant Octopus (2009), un immense requin peut choper sans souci un avion de ligne en plein vol. À force de concepts toujours plus grotesques, la saga Sharknado verra le jour quatre ans plus tard. Racontée de la sorte, tout en name-dropping de titres croquignolets, l'aventure The Asylum peut faire sourire – voire susciter un certain respect de par sa survie au long cours dans une industrie sinistrée. Or, pour tout Bartleby cinéphile qui se respecte, il ne vaudrait mieux pas.

Autant la férule d'un vieux grigou de la série B économe comme Roger Corman put faire école, en son temps, et révéler des talents en devenir devant et derrière la caméra, autant la valetaille de The Asylum ressemble à un cimetière des ambitions perdues, où viennent s'échouer des stars sur le retour du retour et des réalisateurs dont personne ne veut. Dans une production lambda de la compagnie, passé les pitchs déconneurs, les scènes Z aux effets spéciaux torchés, une dizaine de dialogues crétins (en gros, de quoi remplir un montage vidéo de cinq minutes pour YouTube), il ne reste rien. Des tunnels dialogués interminables dans des décors vides, ahanés par des acteurs pris en otage. Du champ/contrechamp éclairé systématiquement de la même façon, monté selon les mêmes schémas, les mêmes durées de plan, les mêmes artifices putassiers pour réveiller l'attention déclinante. La froideur de l'ère numérique dans toute son horreur dépersonnalisée, sans âme. Au risque de paraître raciste : tous ces putains de films se ressemblent.

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C'est le pire qui pouvait arriver aux amateurs de nanars : devenir une niche, les victimes de formules répétées dans l'espoir d'appâter les rieurs, les rigolards de groupe désireux de moquer tel has been contraint à l'auto-parodie, tel produit de mauvaise qualité. D'aucuns diront que les fans de nanars n'ont que ce qu'ils méritent, comme les binge watchers avec The Walking Dead, les téléspectateurs avec Hanouna, ou les consommateurs cinéphiles de masse avec Fast & Furious 8. C'est en partie vrai si l'on cantonne ce public aux seuls cyniques, et au global complètement faux dès lors que le passage de voyeur à spectateur curieux s'est opéré, que le rire comme mécanisme de défense face à l'inconnu devient fascination. Le champ du nanar demeure suffisamment large, aussi large que le cinéma « officiel » pour réserver d'infinies surprises à quiconque sait aller au-delà des produits d'appel les plus envahissants. Le blasé peut se voir récompensé de visions inédites. Y compris dans le catalogue de The Asylum, en cherchant bien.

Il faut guetter avec assiduité le moment où la machine se grippe. Titanic II et ses trente figurants sur un paquebot amarré, menés par un acteur / réalisateur en pleine crise de mégalomanie mal placée. La version française de Mega Python vs Gatoroid (de Mary Lambert, réalisatrice de Simetierre dans une autre vie), délicieuse rémanence des plus grands pétages de plomb de doubleurs des années 1980. La motivation inappropriée de Barry Bostwick dans Moby Dick: 2010. Même, en cherchant encore plus loin, Sharknado 3 et son étrange mélancolie derrière l'assemblage protéiforme gonzo, en grande partie imputable à la résignation douloureuse de son casting, d'un Ian Ziering en pleine acceptation tardive de ce revirement de carrière à Frankie « Malcolm » Muniz en plein schisme professionnel. Sharknado 3 et son énergie désespérée, son apparente soif d'absolu absurde, ses airs de truanderie cool qui aurait capté un air du temps malgré lui et au final, sa vista d'objet inconséquent, tonitruant, qui fonce tête baissée pour ne surtout pas réfléchir. Vu le contexte explosif de la politique américaine, il peut sembler hallucinant qu'un pur film d'exploitation comme celui-ci ait pu réunir dans son casting des personnalités aussi radicalement opposées et controversées qu'Ann Coulter et Anthony Wiener. Et pourtant, le film n'en fait strictement rien. Ils sont là, point, tels des acteurs chinois ou des YouTubeurs français.

Dans le même temps, le pitch de Sharknado 5: Global Swarming repose sur la destruction des États-Unis par des catastrophes qu'on qualifiera de naturelles, sur l'impact du désastre écologique actuel, quelques semaines après le retrait de Trump des accords de Paris, à un moment où l'Amérique apparaît plus clivée que jamais. Il est à parier que le film n'en fera rien non plus, comme il ne fera jamais rien de son casting, de son statut culte, et de ses possibilités cinématographiques au-delà de la simple surenchère. Triste, comme dirait l'actuel président américain. Pas aussi triste que de voir ce qu'il reste de Roger Corman marcher sur les plates-bandes de The Asylum dans ses dernières productions, mais pas loin.

François est sur Twitter.