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Culture

Une brève histoire de la représentation des animaux au cinéma

J'ai ennuyé des zoologues sérieux pour savoir ce qu'ils pensaient des libertés prises par Hollywood au sujet de nos amis les bêtes.

Rien que dans les films prétendument réalistes, on ne compte plus les représentations fantasques de certains aspects du monde. Entre les informaticiens capables de hacker le système de sécurité du Pentagone en l'espace de trente secondes et les photos de scènes de crime zoomables à l'infini, de nombreux détails sont arrangés pour les besoins d'une intrigue. En revanche, on observe parfois l'inverse avec les films de science-fiction : quand une histoire est fondée sur un animal transformé en créature surnaturelle, le film a tendance à s'appuyer sur la version de l'animal qu'on connaît pour le rendre plus proche du public.

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Comme j'adore les animaux – dans les limites autorisées par la loi –, je suis allé ennuyer des gens tout à fait sérieux avec des questions tout à fait stupides, afin de savoir ce qu'ils pensaient des libertés prises par Hollywood quant à la représentation des animaux dans les films de SF.

KING KONG

VICE : A-t-on jamais entendu parler de gorille géant à un moment de l'Histoire ?
Shelly Masi, maître de conférences au Muséum National d¹Histoire Naturelle : Je pense que le gigantopithèque a inspiré King Kong. On a retrouvé des restes de mâchoires de grande taille, en Hongrie. On pense que le plus grand primate qui ait jamais existé pesait 500 kg et mesurait trois mètres. Ce qui peut expliquer sa disparition est très simple : une telle taille nécessite un apport d'énergie conséquent, ce qui rend difficile la survie d'une telle espèce sur le long terme. On peut également penser que l'homo erectus l'a tué – de nombreuses hypothèses sont possibles. Mais ce qui est sûr, c'est que tous les animaux de grande taille ont disparu à cause de l'environnement.

Les gorilles peuvent-ils exprimer une préférence pour les blondes ?
En milieu captif, un gorille peut effectivement préférer une humaine. Ce qui est certain, c'est qu'ils font la différence et qu'ils sont plus attirés par les femmes que par les hommes. Je travaille avec des Pygmées qui m'ont déjà dit que les gorilles préféraient les blanches. Mais n'importe qui peut se faire charger par un gorille s'il est de mauvaise humeur, évidemment. Je me suis déjà trouvée seule avec un gorille à dos argenté qui était très gentil avec moi. Je suis un peu blonde, donc peut-être que ça joue [rires].

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Est-ce que le comportement de King Kong correspond à celui d'un gorille en général ?
J'ai trouvé ça très bien fait, certains comportements sont exagérés mais ça reste réaliste. Il y a un bel effort, c'est un « vrai » gorille dans de nombreux aspects. Mais lors du combat contre le T-rex, ses gestes sont un peu trop élaborés. Un gorille se contente souvent de démonstration de force et de morsures. La lutte, c'est plus rare. En revanche, la vocalisation très forte pour impressionner ses adversaires, c'est une réalité. Et si on cumule l'agilité et l'intelligence de ce dérivé du gigantopithèque, il serait effectivement capable de terrasser un dinosaure.

Au niveau de la capture et de l'exploitation de King Kong en tant que bête de foire, voyez-vous une symbolique par rapport à ce qui se passe dans le monde réel ?
Non, heureusement, l'espèce est protégée. Mais cela rappelle l'utilisation de l'image des gorilles dans le divertissement. Je les étudie sur le terrain, et ils ne sont pas si agressifs. Après je vois aussi le côté positif : le gorille est une « espèce-drapeau », c'est-à-dire un animal charismatique qui peut attirer l'attention pour protéger le reste de la forêt.

LE LOUP-GAROU DE LONDRES

Si on fusionne les attributs d'un humain et d'un loup, ça correspond à ce qu'on voit dans Le Loup-Garou de Londres ?
Mathieu Fourmaux, chef adjoint du parc de Thoiry : En fait, il n'est pas nécessaire d'en arriver là. Il y a déjà énormément de points communs entre nos deux espèces. À commencer par la structure sociale : la meute peut être mise en parallèle avec une famille humaine. Les parents sont le couple alpha, ce sont eux qui chassent – ce qui équivaut à un couple qui va faire ses courses. Ce sont eux qui gèrent la discipline des plus jeunes également. Dans l'éducation des petits, les femelles qui ne sont pas encore en âge de procréer font office de « nounous » – comme des grandes sœurs.

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Les loups-garous sont traditionnellement opposés aux vampires. Est-ce qu'il existe une rivalité entre les loups et les chauve-souris dans la vraie vie ?
À ma connaissance non, mais ce sont des animaux de nuit dans les deux cas, qui font partie de la faune locale européenne. Mais le loup vit la nuit parce qu'il n'a pas le choix, alors que la chauve-souris est un animal nocturne pur et dur. D'où la supériorité et le mépris des vampires dans certaines histoires [rires].

LES GARDIENS DE LA GALAXIE

L'acteur Bradley Cooper vous rappelle-t-il un raton-laveur ? Au niveau de la voix et de l'attitude ?
Mathieu Fourmaux : Ahah, non, je ne me suis jamais dit ça. À la limite un ours, pour le côté barbu. Les ratons-laveurs n'ont pas de cordes vocales. En conséquence, ils émettent des sons dans un registre plutôt aigu, proches des jappements de chiots.

Le personnage de Rocket Raccoon vous rappelle ce que vous avez pu observer ?
Bien sûr que non. Les ratons-laveurs peuvent se tenir debout, mais sans marcher, simplement pour élargir leur champ de vision. Ils sont aussi très agiles de leurs mains – ils n'ont pas de pouces opposables, mais ils peuvent s'en servir comme un outil.

On est donc à des années-lumière d'un flingue de l'espace et du pilotage de vaisseau-spatial.
Consolez-vous : les ratons-laveurs grimpent très bien aux arbres, ça peut rappeler ce que fait Rocket avec Groot. Les ratons-laveurs sont très « speed », ils ont pas mal de caractère et aiment bien se chamailler. Leur comportement est un peu hargneux, ça part vite dans tous les sens. Ils sont joueurs, donc pour le coup ça colle avec le personnage.

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LA MOUCHE

Dans La Mouche, est-ce que vous trouvez que l'évolution du personnage principal stigmatise les mouches ? Après sa métamorphose, il devient asocial et complètement fou.
Paul De La Panouse, fondateur des parcs du groupe Thoiry : Le problème réside dans le regard des autres. Il est certain que les mouches ne sont pas présentés comme des animaux sociaux, ce ne sont pas des fourmis ou des abeilles, et le héros a raison quand il les décrit comme « non-sociales ».

Est-ce que son mode d'alimentation (vomir une matière qui fait fondre la nourriture avant de la manger) correspond vraiment à celui d'une mouche ?
Oui, et c'est le cas pour beaucoup d'insectes, qui balancent une matière pour rendre leur proie « liquide ». Par contre il y a une impossibilité physique dans l'idée d'avoir une mouche de taille humaine parce que la matière organique ne peut pas le supporter ; c'est pour cette raison qu'on a une colonne vertébrale ! C'est comme les oiseaux, ils ne peuvent pas dépasser une certaine taille, sinon ils ne volent plus. Une mouche géante s'effondrerait sur elle-même. L'autre souci, c'est leur manière de voir, qu'on appelle la vision en facettes : elle serait insupportable pour notre cerveau.

Que pensez-vous de la créature finale qu'on voit dans le film ?
D'un point de vue visuel, ça a vieilli. Si vous demandez un avis scientifique, il y a un gros problème, assez simple à comprendre. La créature a un sursaut d'humanité, mais il aurait fallu une tête d'homme et un corps de mouche pour qu'elle puisse réfléchir comme un humain.

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LES TORTUES NINJA

Paul De La Panouse : La tortue est un animal vulnérable, très vieux. Dans un milieu comme les égouts new-yorkais, elle serait très fragilisée. Mais je pense que la tortue de Floride pourrait très bien vivre dans les égouts d'une grande ville. Elle peut tout à fait s'adapter à un environnement urbain.

Concentrons-nous sur le principal : les tortues pourraient-elles aimer des pizzas ?
Je ne sais pas si elles mangeraient des pizzas, mais il existe des animaux assez opportunistes, avec un système d'adaptation dans la digestion. Ça reste tout à fait plausible.

Après un long entraînement, est-il possible de dresser une tortue au combat ? Notamment avec l'art ancestral du ninjustu ?
Personnellement, je ne connais pas de dresseur de tortue. Leur capacité est très réduite. C'est d'ailleurs puéril de ridiculiser des animaux sauvages en leur faisant faire tout et n'importe quoi – s'ils ne sont pas faits pour ça, c'est qu'il y a une raison.

ALIEN

Pour moi, les Aliens renvoient à la fois aux reptiles et aux insectes.
Oui, Alien emprunte à plusieurs espèces. Mais rien que le fait d'appeler la femelle reproductrice « reine », c'est de l'anthropomorphisme humain. En réalité, chez les insectes, la « reine » est incapable de bouger, c'est juste une machine à pondre, et elle ne gouverne rien.

Mais comme c'est l'organe de reproduction, elle est entièrement dépendante. Le point commun avec ce qu'on en voit dans Aliens, c'est que les « soldats » de plus petite taille se battent et meurent pour elle car ils sont programmés pour ça. Dans le film, elle est plus mobile et dangereuse que l'équivalent fourmi : il n'y a pas le côté « servie » et dépendante. Je trouve que c'est une carence dans l'imagination humaine, car quelqu'un qui a du pouvoir est en réalité très dépendant des autres.

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Sur le principe, les Aliens me rappellent plutôt des bactéries. Leur manière de se reproduire en passant par un hôte, en « pondant » à l'intérieur… ça me renvoie au fait qu'on ne pourrait pas manger sans des centaines de millions de bactéries qui assurent notre digestion. Concrètement, ce sont des êtres vivants autonomes qui agissent en nous. C'est une réalité, mais c'est repoussant de l'imaginer. C'est ça la vraie peur d'Alien : l'horreur quand on réalise qu'on a une vie grouillante en nous. Du coup, ces créatures provoquent un dégoût instinctif chez la plupart des gens.

BILBO LE HOBBIT

Parlons maintenant des dragons : c'est une sorte de reptile ultime, non ?
Je trouve cette créature très intéressante. À Thoiry, j'ai fait un labyrinthe avec toute une symbolique animale. Les hommes ont projeté leurs peurs à travers des créatures mythiques, lesquels changent selon les cultures. Mais dans toutes les civilisations, les symboles de l'inconscience sont les reptiles opposés aux oiseaux qui sont la conscience d'être. Le Dragon est effectivement le reptile ultime, physiquement. Nos ancêtres avaient cette intuition que le serpent vient de l'oiseau – évidemment, le dragon est une fusion des deux. Le cliché de la légende du chevalier qui délivre la princesse du dragon, ou qui découvre un trésor comme dans Bilbo, cela renvoie à l'homme qui libère sa propre conscience.

Merci beaucoup, Paul.

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