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Ce que l'on sait de "Blue Whale", le jeu qui pousse les ados au suicide

Depuis plus de deux ans, un étrange "jeu" sur Internet aurait poussé des dizaines d'adolescents au suicide, notamment en Russie. Mais qu'est-ce qui se cache vraiment derrière le "Blue Whale Challenge" ?

Ces derniers temps, on a pas mal parlé du Blue Whale Game (ou Challenge), une sorte de jeu né sur internet et plus particulièrement sur des forums et groupes sur VK, le principal réseau social russe, qui consiste à partager sur les réseaux sociaux une série d'actes d'automutilation de plus en plus graves.

Selon une enquête du journal russe Novaya Gazeta, le jeu serait lié à de nombreux cas de suicides d'adolescents en Russie, au Kazakhstan et au Kyrgyzstan entre 2015 et 2016, dont les victimes auraient fait partie d'un groupe consacré au jeu. Cependant, dans au moins l'un des cas - le suicide de Marat Aitkazin, un Kazakh de 19 ans - rien n'aurait permis d'établir avec certitude un lien entre le jeu et la mort du jeune homme.

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L'affaire a rapidement attiré l'attention des médias, et a été traitée en Europe sur un ton alarmiste, à tel point que certaines émissions populaires en ont parlé. Reste à définir ce qui, dans ce cas précis, relève de l'hystérie collective ou de la dangerosité réelle du phénomène.

Image via Siberian Times

L'une des premières occurrences du jeu remonterait à 2015, quand une jeune fille russe de 17 ans nommée Rina Palenkova avait publié un selfie sur VKontakte, le principal réseau social russe, avant de se jeter sous un train. Le cas de Palenkova date d'avant que l'on commence à entendre vraiment parler du jeu et que ses règles soient édictées sur Internet, mais elle est tout de même devenue une sorte de mème répandu sur certains forums consacrés à la dépression et au suicide.

C'est en 2016, après une enquête du journal russe Novaya Gazeta - selon qui le jeu aurait été directement à l'origine de plus de 130 suicides d'adolescents russes - que Blue Whale a commencé à faire les gros titres en Russie.

Le cas qui a eu le plus grand retentissement est celui de Yulia Konstantinova, 15 ans, et Veronika Volkova, 16 ans, qui, à la fin du mois de février, se sont jetées d'un immeuble de 14 étages à Ust-Ilimsk, dans la région d'Irkoutsk. Quelques jours plus tôt, Yulia avait publié sur Instagram l'image d'une baleine bleue, tandis que Veronika avait publié des messages dépressifs.

L'un des initiateurs présumés du jeu - un étudiant en psychologie de 21 ans nommé Philipp Budeikin - a été arrêté en novembre dernier, accusé d'incitation au suicide. Dans une interview, Budeikin aurait démenti le chiffre de 130 suicides avancé par Novaya Gazeta, tout en reconnaissant avoir personnellement poussé 17 personnes au suicide.

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" Il faut distinguer les gens biens et la vermine, la racaille, c'est-à-dire tous ceux qui n'apportent rien à la société et qui ne font que du mal. J'ai purgé la société de ces gens, aurait déclaré Budeikin. Ça a commencé en 2013. J'ai créé F57 [l'un des groupes sur VK où serait né le jeu] pour voir si ça marcherait. J'ai rempli le groupe de contenus choquants et ça a commencé à attirer des gens. En 2014, le groupe a été banni. Pendant un bon moment, je me suis marré en voyant plein de gens tentait de comprendre ce que voulait dire "F57". En fait, c'est tout simple : le F c'est pour Philipp, mon prénom, et 57 était le dernier chiffre de mon numéro de téléphone à l'époque. J'ai réfléchi à cette idée pendant cinq ans. On peut dire que je me suis préparé. J'ai bien conçu mon projet, les différentes étapes. C'était nécessaire pour séparer les personnes normales et la vermine."

Outre Novaya Gazeta, d'autres journaux russes se sont emparés du sujet. le journal Meduza, notamment, a critiqué l'article de Novaya Gazeta en affirmant que la corrélation entre le jeu et les suicides était difficile à démontrer, et qu'il n'y avait rien d'étonnant en soi à constater que des adolescents dépressifs et suicidaires finissent par fréquenter les mêmes groupes sur Internet. Cependant, étant donné l'attention que lui avait porté la presse russe, l'histoire a ensuite été reprise par de nombreux médias internationaux - à commencer par le quotidien anglais The Sun - jusqu'à ce qu'on en parle un peu partout dans le monde, souvent de manière assez racoleuse.

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C'est à peu près à ce moment-là qu'ont commencé à apparaître sur Reddit les règles complètes du jeu. Apparemment, pour commencer à jouer, il suffit de manifester sur Internet sa volonté de prendre part au jeu en utilisant le hashtag #f57 - du nom du groupe VK dédié à l'automutilation et à l'incitation au suicide où serait né le jeu - et attendre ensuite d'être contacté par un "master".

À partir de là, il faut se soumettre pendant 50 jours à une série de missions, au terme desquelles le joueur doit se suicider en se jetant du bâtiment le plus haut de sa ville. Les défis qu'il faut relever - selon plusieurs journaux qui ont traité le sujet récemment et des posts sur Reddit - sont plus ou moins graves, comme regarder des films d'horreur, écouter des sons terrifiants, s'automutiler (par exemple en se gravant une baleine dans la peau), tuer des animaux ou se réveiller toutes les nuits à 4h20 (ce qui donne son autre nom au jeu, "Wake me up at 4:20"), dans une sorte de lavage de cerveau épuisant.

Pour chaque mission, le joueur doit envoyer une photo ou une vidéo à l'administrateur avec qui il est en contact, qui lui fait du chantage émotionnel en le menaçant de faire du mal à ses proches. D'après d'autres théories qui circulent sur Internet, le jeu pourrait aussi impliquer une application spécifique qui "hacke" le téléphone de la victime, mais cette hypothèse semble avoir été déjà discréditée. Il est en revanche possible que certaines victimes aient volontairement confié leurs mots de passe et autres données à leur "master".

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Comme le rapporte le site TheSubmarine, c'est en février 2017 que le Blue Whale Game se serait véritablement diffusé en occident, étant cité dans plusieurs cas de suicide en Espagne, en Italie, en Argentine et au Brésil.

Il y a quelques jours, l'émission italienne Le Iene évoquait le cas d'un jeune italien de 15 ans qui, en mars dernier, s'est jeté d'un immeuble de 26 étages à Livourne. Peu après, l'un de ses camarades de lycée a expliqué que sa mort était liée au jeu, ce qui ferait a priori du jeune homme la première victime italienne du Blue Whale.

Hors de la Russie, les modes de diffusion principaux du jeu semblent être Instagram et Tumblr, où l'on a vu récemment apparaître le hashtag #f57. Mais il semble que des mesures aient déjà été prises sur les deux réseaux pour empêcher la diffusion du jeu et des hashtags associés. Quand on tape #f57 sur Instagram, par exemple, on voit apparaître un message proposant de l'aide.

Entre février et avril, le collectif de hackers Anonymous a décidé d'agir contre les organisateurs de ce jeu sadique, en lançant #OpBlueWhale et en appelant expressément à plusieurs reprises les adolescents à ne pas se laisser embarquer dans cette triste affaire.

Ce n'est pas la première fois qu'un jeu né - ou au moins diffusé - sur internet et basé sur la manipulation psychologique a des conséquences graves, surtout auprès des jeunes. Le jeu "Fire Fairy", par exemple, qui semble lui aussi être né en Russie, a poussé une fillette de 5 ans à laisser le gaz ouvert toute la nuit, contre la promesse qu'elle se serait transformée en "fée" le matin venu.

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Il y a quelques années, on avait également parlé du "Choking Game" - ou "jeu du foulard", un jeu qui consistait à s'étouffer ou se faire étouffer volontairement pour priver le cerveau d'oxygène pour provoquer un "trip" sans consommer de drogue ni d'alcool. À l'époque, le jeu avait été présenté par les médias comme "la dernière mode sur Internet" parmi les jeunes, alors qu'en réalité il s'agissait d'un jeu assez vieux : comme le rapportait alors VICE, les premiers cas de décès liés à cette pratique remontent en fait aux années 30.

On pourrait également citer Slender Man - un personnage de fiction créé en 2009 dans le cadre d'un concours sur le forum Something Awful et rapidement devenu une sorte de légende du web - et cité comme mobile dans un cas de tentative d'homicide en 2014 dans le Wisconsin, quand deux enfants de 12 ans ont attiré une de leurs camarades dans la forêt et lui ont donné 19 coups de couteau pour " impressionner Slender Man."

Sur Reddit - là où les règles du jeu sont apparues pour la première fois - les internautes les plus sceptiques ont d'abord estimé qu'il s'agissait simplement d'une légende macabre ou d'un Creepypasta comparable à Slender Man. Mais les vidéos et photos des suicides, ajoutées aux déclarations de Budeikin - qui a avoué avoir agi pour " purger la société" des " déchets biologiques" qui étaient " contents de mourir" - rendent peu probable l'hypothèse selon laquelle le jeu ne serait rien d'autre qu'une légende ou que les suicides ne seraient pas liés entre eux.

"Il faut distinguer les gens biens et la vermine, la racaille, c'est-à-dire tous ceux qui n'apportent rien à la société et qui ne font que du mal. J'ai purgé la société de ces gens", aurait déclaré Budeikin.

En ce sens, la manière dont Blue Whale exploite et alimente les sentiments d'insécurité et de dépression chez les plus jeunes pour les pousser au suicide semble inédite, au moins sur le web "visible", celui des réseaux sociaux. Notons tout de même que dans la plupart des cas recensés en dehors de la Russie, rien n'a formellement démontré que le jeu était la cause directe des suicides.

Plus globalement, parmi toutes les informations que l'on peut trouver sur le sujet, il est difficile de distinguer ce qui concerne effectivement le jeu en lui-même, et ce qui relève davantage d'imitateurs, de fausses rumeurs ou de simples groupes pro-suicide comme il en existe sur le dark net.

Comme le souligne encore le site TheSubmarine, et comme nous l'avions également écrit sur Motherboard, il existe des recoins du deep web où l'on discute ouvertement du suicide, et où chacun est libre d'appeler à l'aide ou tout simplement d'extérioriser ses pensées morbides. En tout cas, il s'agit d'un thème délicat sur lequel il y a lieu de débattre, et pas seulement de déclencher des hystéries médiatiques comme celle qui entoure depuis quelque temps Blue Whale.