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La matinée surréaliste de la télé américaine le matin du 11 septembre

Il y a quelque chose d'étrange à revoir ce qui passait à la télé américaine dans les heures précédant les attentats, comme si tout le monde avait un pressentiment.

On dit parfois que les programmes télévisés du matin brossent un portrait assez précis d'une culture. Si c'est le cas, alors les programmes diffusés le matin du 11 septembre à la télévision américaine, juste avant que les avions ne frappent les tours du World Trade Center, avec leurs présentateurs enjoués et leurs images d'une superbe matinée d'automne, ont tout d'une capsule temporelle nous transportant tout droit vers une autre époque.

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En 2011, le producteur vidéo de Motherboard Chris O'Coin et moi-même nous sommes plongés dans l'Internet Archive et avons regardé des heures et des heures d'images de cette matinée, juste avant les attentats. Nous n'étions pas tellement intéressés par la couverture des attaques en direct par les différentes chaînes ; il serait presque impossible de visionner l'intégralité des images des attaques diffusées à partir de 8h46 ce jour-là, de CNN à NBC puis sur toutes les chaînes de Pékin à Bagdad.

Non. Ce qui nous intéressait, c'était de voir à quoi ressemblait cette matinée, moins d'une heure avant que tout ne bascule définitivement. Et ce que nous avons vu nous est apparu encore plus étrange et déroutant que nous ne l'avions envisagé.

Au cours de cette heure ordinaire et parfaitement innocente, il est difficile de ne pas entendre le tic-tac de l'horloge et l'Histoire qui frappe à la porte. On a presque une sorte de pressentiment.

À New York, c'était à la fois un jour de primaire et le coup d'envoi de la Fashion Week, tandis que le nouveau Président était sorti faire un jogging en Floride et qu'une foule enjouée s'était amassée devant les locaux du Today show.

Mais à plusieurs reprises au cours de la matinée, présentateurs, reportages et publicités semblèrent annoncer en quelque sorte les terribles événements qui allaient suivre.

  • Un drone-espion américain avait été abattu en Irak "pour la deuxième fois en deux semaines", rapporte Ann Curry au début de son journal.
  • "Il y a quelque chose dans l'air", dit un présentateur de CNN (il parle en réalité de la rumeur d'un retour de Michael Jordan).
  • En faisant la promotion du journal du soir, Tom Brokaw évoque "trois chiffres qui pourraient vous sauver la vie : 9-1-1."
  • Un journaliste d'une chaîne locale de New York raconte qu'à l'occasion d'un quiz organisé lors de la Fashion Week, la plupart des mannequins ont été incapables de répondre à la question "que s'est-il passé le 7 décembre 1941 ?"
  • "Quoi qu'il arrive, n'ouvrez pas cette porte !", dit le présentateur météo Mark McEwen, citant un sketch de Gene Wilder, juste avant d'annoncer que Ray Romano se trouve dans le studio et de raconter qu'il a regardé l'intégralité de Tout le monde aime Raymond "dans l'avion sur Americain Airlines".
  • "There is something in the air," says a CNN anchor at the top of the hour. (He is referring to Michael Jordan's rumored comeback.)
  • À la fin de sa météo, McEwen ajoute "tout est calme aujourd'hui. C'est bien quand c'est calme. C'est presque trop calme."

Au fond, il n'y a rien dans tout cela qui préfigure vraiment la tournure sinistre qu'allaient prendre les événements. Si je souligne ces étranges coïncidences, c'est parce qu'elles font partie de l'histoire angoissante de cette journée et des suivantes.

Il y a quelque chose d'inexprimable dans les événements de cette journée qui nous pousse à aller chercher des explications irrationnelles, à établir des connexions entre des choses qui ne sont pas liées, dans l'espoir d'y voir plus clair dans l'obscurité. J'ai toujours pensé que ces coïncidences, qui servent souvent de terreau aux théories du complot, étaient regrettables dans la mesure où elles nous empêchaient de voir des connexions moins évidentes qui pourraient bien nous permettre de mieux comprendre ce qui s'est réellement passé.

Après tout, c'est précisément cette inaptitude à établir des liens entre des faits isolés, à traiter les renseignements dont nous disposions, qui a conduit les Etats-Unis à passer à côté d'indices cruciaux concernant la préparation de ces attaques et à commettre de nombreuses autres erreurs dans les mois et les années qui ont suivi. Et dans la foulée, les dirigeants américains sont eux-mêmes tombés dans le piège de leurs propres théories du complot, mélangeant des choses qui n'étaient pas liées jusqu'à entrer en guerre pour de mauvaises raisons.

Ce qui choque en revoyant ces images, ce n'est pas seulement ce sentiment bizarre que quelque chose d'horrible et d'inévitable est sur le point de se produire - on a presque envie de les prévenir ! -, ni même l'aspect quasi-prémonitoire de certaines phrases. Quinze ans plus tard, ce qui choque, c'est à quel point tout cela nous paraît encore familier.