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"En 2200, nous decongèlerons des humains d'aujourd'hui"

Pour Roland Missonnier, fondateur de l’association Cryonics France, la cryogénisation n'a rien d'un fantasme de science-fiction. Et la révolution est déjà en marche.

À l'heure actuelle, près de 300 personnes attendent dans des caissons réfrigérés de la société Alcor, dans l'espoir qu'un jour la science puisse les ramener à la vie (cool). Car oui, on ne peut conserver à l'heure actuelle que le corps de personnes décédées. Ou plutôt uniquement leurs têtes (moins cool). « Trois quarts des membres d'Alcor Life Extension Foundation souhaitent qu'on ne cryogénise que leur tête à leur mort clinique. On les appelle les « neuros », explique Roland Missonnier, fondateur de l'association Cryonics France. Ils pensent que leur chance de revivre un jour sur Terre est beaucoup plus grande si on ne cryogénise que leur tête et leur cerveau ». Certains tiennent tout de même à être vitrifiés (attention : vitrifiés, pas congelés) avec leur corps.

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Si l'on est mort, alors à quoi sert la cryogénisation ? Pour Roland Missonnier, également éditeur du magazine Cryonics News, il faut la voir comme « l'ambulance du futur pour les malades en phase terminale, qui décident de se faire conserver à basse température dans l'azote liquide à -196°C après leur mort clinique dans l'espoir que les médecines du futur pourront soigner les causes de leur décès (cancer, etc…) et leur redonner une vie normale ». On pourrait considérer l'initiative comme utopique, mais les « cryonics » se présentent au contraire comme « des gens très pragmatiques, selon Roland Missonnier. Naître pour mourir nous paraît un peu bête et l'on se dit que s'il existe une chance, même infime, d'y échapper, alors cela vaut mieux que pas du tout ».

C'est cette idée qui pousse des gens comme le mathématicien Torsten Nahm ou Kim Suozzi, étudiante en neurosciences, à demander leur cryogénisation après leur mort. Des profils loin des illuminés ou des savants fous. Pourtant, le sujet n'est toujours pas pris au sérieux, au moins en Europe, alors que la cryogénisation est évoquée depuis plus de 50 ans. Pour le fondateur de l'association Cryonics France, c'est parce que « les recherches sont difficiles et imprévisibles. L'avancée dans un domaine dépend des moyens que les États et les entreprises veulent bien donner pour une recherche donnée et la recherche dans le domaine de la cryobiologie, la mise au point de la cryogénisation et de l'animation suspendue [voir plus bas] n'est pas une priorité et ne l'a jamais été. A l'heure actuelle seuls les Américains et les Russes essaient d'améliorer les techniques de cryogénisation d'aujourd'hui et font de la recherche fondamentale ».

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2025 : décongélation de souris

À l'heure actuelle, les avancées ne sont guère encourageantes, même si les découvertes d'organismes et de virus congelés (et toujours vivants) pourraient relancer l'intérêt de la communauté scientifique européenne pour le sujet. « Le mieux que l'on sache faire reste encore les reins de lapins qui sont fonctionnels après cryopréservation puis transplantation », déplore Roland Missonnier.

"Les êtres humains de leur vivant pourront se déplacer à travers les siècles selon leur volonté en faisant suspendre leurs fonctions biologiques."

Mais il lance un pari : « d'ici 2025, des cryobiologistes américains ressusciteront une souris conservée à -130°C pendant plusieurs mois et celle-ci reprendra une vie normale. Puis la souris pourrait être un lapin. Un pas important sera franchi ». Il donne même des noms : « les cryobiologistes susceptibles d'accomplir cet exploit pourraient être Gregory Fahy et Brian Wowk. » Ils auront alors prouvé que « la cryogénisation ça marche ». Parallèlement, on peut penser « qu'en 2020, la prothétique arrivera à un tel niveau que les neuros patients seront pourvus d'un corps de substitution ».

À lire aussi : Belle journée pour ne pas mourir

Et en Europe ? « Pour que cela change il faudrait que s'ouvre un Institut de cryogénisation qui mobilise l'attention du public européen, estime-t-il. Cela créera un pôle de pression pour avoir des fonds pour la recherche et incitera des scientifiques à y investir leur temps et leur énergie. Et cela incitera les sociétés privées à investir dans ce domaine ».

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Car hors de l'Europe, des sociétés comme Alcor ou KrioRus se sont déjà positionnées. Cette dernière estime d'ailleurs que d'ici 2050/2060, elle sera capable de conserver des corps pendant des millions d'années. Roland Missonnier est plus sceptique. « D'après les cryobiologistes, un corps ne peut rester dans l'azote liquide que 11000 mille ans environ ».

D'ici 2100-2150 : cryogéniser des vivants

Pour l'heure, on ne peut conserver que des personnes décédées dans l'espoir d'un potentiel retour. « Il est évident que l'on ne pourra avoir le droit de cryogéniser des humains vivants que quand on sera sûr de pouvoir les ramener à la vie sans séquelles après réchauffement, n'importe quand. Pour cela il faudra l'avoir fait avec des singes de façon très reproductible. Cryogéniser des personnes vivantes, cela s'appelle l'animation suspendue », explique-t-il. C'est évidemment le stade ultime de la cryogénisation : l'hibernation que l'on voit dans Interstellar ou Alien.

Pour le cryoniste, cette révolution interviendra probablement au siècle prochain. Entre 2100 et 2150, « des scientifiques américains mettront au point l'animation suspendue pour les êtres humains. Les êtres humains de leur vivant pourront se déplacer à travers les siècles selon leur volonté en faisant suspendre leurs fonctions biologiques ».

Des cuves cryogéniques dans lesquelles sont conservées des corps humains, chez Alcor, dans l'Arizona (photo : Daniel Oberhaus/Motherboard).

Et si la science n'a alors pas suffisamment avancé, l'animation suspendue pourrait, comme le procédé actuel « attendre de pouvoir guérir dans le futur une maladie incurable, d'être capable de ne plus vieillir ou de rajeunir ».

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Si un « neuro » est ressuscité, au XXIIe siècle donc, Roland Missonnier se prête au jeu : « on lui donnerait un corps artificiel comme dans le film Robocop avec des pouvoirs stupéfiants. Il pourrait soulever des tonnes voire voler comme superman [Bon d'accord, là c'est peut-être un peu too much. Niveau vol, on en est là. Mais c'est déjà encourageant, non ?]. Par la suite, on lui redonnera un corps de chair en utilisant des cellules souches développées sur une large structure biodégradable ».

2200 : la cryogénisation pour coloniser l'espace

Évidemment, pour les cryonistes on retrouve en filigrane derrière la cryogénisation les notions chères aux transhumanistes : immortalité et colonisation spatiale. « Cela permettra aux êtres humains de faire de longs voyages dans l'espace comme dans 2001, l'Odyssée de l'espace, de fuir les maladies que leurs gênes leur ont programmées ou d'attendre que le temps soit venu où ils pourront vivre plusieurs siècles pour poursuivre leur quête d'immortalité à travers le développement des sciences et des technologies ».

Cryogenic Sleep Will Be the Future of Space Travel Museum of Sci-FiAugust 26, 2015

En estimant que les sciences le permettront, Roland Missonnier estime qu'auXXIIIe siècle, « les laboratoires américains pourront ressusciter des cryogénisés des années 2015-2020 qui avaient demandé que leur corps soit cryopréserversés à 196°C à leur mort clinique ».

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Mais accéder à l'immortalité pourrait nous causer quelques problèmes. « Il est évident que si on vivait de nombreux siècles il faudrait ne presque plus avoir d'enfants. On devrait donc agir sur terre pour réduire considérablement la natalité. Personnellement je considère que la vie éventuelle de ceux qui n'existent pas encore n'a aucune importance par rapport à celle de ceux qui existent déjà et que par conséquent on peut moralement réduire la natalité autant que l'on veut ».

"Nous serons obligés de contrôler le taux de natalité"

Sans parler d'immortalité, l'explosion démographique mondiale sera problématique. « Nous serons de toute façon un jour obligés de contrôler le taux de natalité de la population humaine sur Terre qui est la principale source de pollution. Chaque humain pollue et demande de plus en plus d'énergie sous toutes ses formes. Combien la Terre peut-elle accueillir d'êtres d'humains sans que cela nuise à la vie des autres espèces et sans que cela nuise à l'humanité elle-même, voilà la vraie question », estime Roland Missonnier. Avant d'ajouter : « de toute façon le développement de l'immortalité passera par la conquête des espaces infinis, à notre expansion dans l'univers ».

Les adeptes de la cryogénisation ne sont pas dupes : rien n'indique que cela marchera demain. Ni même que cela marchera un jour. Mais ils préfèrent faire le pari que les avancées scientifiques et technologiques le permettront un jour. Et ce jour là, il leur faudra être prêts pour la décongélation.

Cet article a été originellement publié sur Nom de Zeus, le site de Pierre Belmont.