Le guide Motherboard des hystéries collectives
Illustration : Lucile Lissandre

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Le guide Motherboard des hystéries collectives

Crises de fou-rire à l'échelle d'un pays, pénis qui disparaissent, épidémies de danse et nonnes possédées : les hystéries collectives sont souvent aussi drôles qu'incompréhensibles.
Genono
par Genono

Les faits scientifiques les plus intriguants sont ceux qui n'ont justement aucune explication scientifique. Le phénomène d'hystérie collective en est le meilleur exemple : des centaines - voire des milliers - de personnes souffrant simultanément d'hallucinations, de comportements étranges, ou de crises de panique, et contaminant d'autres groupes de personnes sans que la moindre cause pathogène, environnementale, ou génétique n'entre manifestement en ligne de compte. Pour vous donner un exemple très concret et récent, une école malaisienne a été fermée le mois dernier pour hystérie collective, après qu'un petit groupe d'étudiants a cru croiser une silhouette sombre. Qu'il s'agisse de l'ombre d'un arbre, d'un oiseau, d'une mauvaise vanne de Laurence Rossignol, ou d'un véritable fantôme, la panique a rapidement gagné toute l'école. Tout le monde sentait une présence étrange, tandis que d'autres professeurs ou étudiants ont affirmé avoir aperçu cette silhouette effrayante. Une photo a même été publiée, et l'école a fini par fermer ses portes pendant quelques semaines.

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En attendant de voir l'enquête officielle lancée par les autorités malaisiennes aboutir sur des révélations fracassantes à propos de la présence de l'Antéchrist dans cette école, on peut logiquement conclure que la panique passagère d'un étudiant s'est répercutée sur les quelques camarades qui l'accompagnaient, et que la paranoïa l'a emporté sur la rationalité. Sur un petit groupe, les mécanismes en action sont plutôt simples à imaginer, mais que ces réactions s'étendent à des dizaines de personnes et à des professeurs - censés être plus cartésiens que leurs élèves - est assez ahurissant.

L'être humain étant ce qu'il est, à savoir aisément impressionnable, on peut tout de même comprendre qu'un phénomène de peur - qu'elle soit justifiée ou non - puisse s'étendre rapidement au sein d'une population. Pour prendre un exemple plus proche de nous, souvenez-vous du mouvement de panique lors du rassemblement de la place de la République, quelques jours après les attentats du 13 novembre dernier. Une simple ampoule qui éclate, et des centaines de moutons sans tête qui courent dans tous les sens, le palpitant à 200 à l'heure.

Mais les phénomènes d'hystérie collective sont souvent bien plus étranges qu'un simple mouvement de panique. Au XVIIème siècle, dans le Poitou, une religieuse se met subitement à se comporter comme un chat : sans que l'on sache trop pourquoi, elle commence à grimper sur les toits et sur les branches, à miauler, et à chercher le curé pour calmer ses chaleurs. Possession démoniaque ou simple relent de zoophilie refoulée, le mal finit par contaminer tout le couvent, si bien qu'on se retrouve rapidement avec vingt-sept nonnes en train de miauler. Évidement, on convoque les exorcistes les plus chevronnés pour régler le problème, mais ce n'est que l'intervention de grenadiers armés de fouets qui finit par calmer ces étonnantes chattes en chaleur. Dans un cas pareil, on peut bien formuler des dizaines d'hypothèses plus ou moins improbables, mais aucune n'est capable d'expliquer scientifiquement le déraillement comportemental d'autant de jeunes filles.

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L'hystérie collective n'ayant pas de cause médicale, sa définition varie d'un coin à l'autre du globe. Globalement, on peut cependant détacher trois critères essentiels : un symptôme - au moins - identique chez tous les individus touchés (miauler, avoir des convulsions, une hallucination…) ; un groupe social précis et délimité géographiquement (les étudiants de l'école malaisienne, les jeunes filles du couvent …) ; et un environnement culturel commun (religion, traditions, unité nationale…). En étant un peu relou, on peut aussi établir des protocoles à rallonge avec tout un tas de critères, mais la vie est trop courte pour appliquer une méthodologie scientifique à tous les cas de possession par le Démon - d'ailleurs, en étant vraiment relou, il faudrait cesser d'appeler ce phénomène "hystérie collective", pour le remplacer par "phénomène psychogénique de masse".

Et puis surtout, la plupart des cas d'hystérie collective sont suffisamment mongols - vus de l'extérieur, évidemment - pour qu'on leur fasse subir un triste désenchantement scientifico-médical. Prenez l'épidémie nigériane de disparition des pénis, par exemple. La scène prend place dans les années 90, du coté d'Ilechukwu. Personne ne sait quel a été l'élément déclencheur de la folie collective, mais le résultat est là : persuadés que certains étrangers sont capables de leur voler le pénis simplement en les frôlant, certains hommes se mettent à paniquer. Victimes d'hallucinations, nombre d'entre eux consultent les hôpitaux, qui constatent pourtant que tout est bien en place. Certains reprennent pied avec la réalité, mais d'autres restent persuadés que leur engin a bel et bien disparu, ou alors qu'il a été remplacé par celui d'un autre individu, voire même qu'on leur a greffé un pénis fantôme. L'histoire est déjà incroyable, mais le pire, c'est que l'épidémie s'étend, touchant d'autres villes, et atteignant Lagos, voire même, selon certaines sources, les pays voisins.

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Le problème devient national quand il s'empare des femmes, qui, à défaut d'avoir un pénis entre les jambes, voient leur poitrine dérobée par ces mêmes mystérieux étrangers. La situation devient intenable : certains hommes se blessent volontairement au niveau du sexe - pour être certains de ressentir la douleur -, d'autres se font soigner par des guérisseurs qui ne font qu'empirer les choses (aiguille et urètre ne font généralement pas bon ménage), et pire, certains vont jusqu'à s'amputer le membre-fantôme. Conséquence assez cocasse de toute cette histoire, on croise à cette époque, dans certains coins très touchés, des hommes qui marchent en se tenant le paquet de la même manière qu'une mamie tient son sac à main en passant dans une ruelle mal famée. Ce genre d'épidémie de disparition de pénis n'est pas un cas isolé, et on relate le même genre de phénomène assez régulièrement en Afrique - au moins une fois tous les quinze ans - et plus épisodiquement en Asie : c'est ce qu'on appelle le koro.

Dans un genre tout aussi burlesque - mais aux conséquences moins dramatiques -, le célèbre "syndrome X-files" prouve qu'il est tout à fait possible de créer soi-même sa propre petite hystérie collective, à condition d'être suffisamment persuasif et de tomber sur un groupe social influençable. Nous sommes en 1997 dans le Nord de la France, en pleine hype Mulder et Scully. Lors de la diffusion de la quatrième saison - le week-end sur M6 pendant "Les Samedi Fantastiques", souvenez-vous - un lycéen se frotte volontairement le visage et les mains pour créer des rougeurs semblables à celles aperçues sur un cobaye d'un épisode. Quelques jours plus tard, une trentaine d'élèves se présentent à l'infirmerie avec les mêmes symptômes - involontaires, cette fois. Personne n'est capable d'expliquer ces rougeurs et ces lésions cutanées, qui disparaissent chez tout le monde en quelques jours.

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Les vacances arrivent, et tout rentre dans l'ordre. Mais dès la reprise, le phénomène reprend de plus belle. Une fois, deux fois, puis trois, à chaque fois au même moment de la semaine. 178 consultations au total. On étudie toutes les pistes, on convoque les plus grands dermatologues, et on va même jusqu'à organiser une fouille des sacs des lycéens, afin d'éliminer tout risque de propagation par des agents pathogènes. Le recteur va même jusqu'à fermer l'établissement de manière temporaire pour le faire désinfecter entièrement… mais les choses ne rentrent toujours pas dans l'ordre. Il faut attendre la fin de la diffusion de la saison 4 de X-Files sur M6 pour que les symptômes disparaissent définitivement - et que le lien soit finalement fait.

Ce cas un peu particulier illustre bien l'aspect presque surnaturel du phénomène d'hystérie collective : un cas isolé crée dans son entourage proche une forme d'anxiété ; ici, la peur d'être contaminé. Cette anxiété - phénomène psychique - se traduit physiquement par une matérialisation concrète des symptômes redoutés. Chaque nouveau contaminé crée à nouveau de l'angoisse auprès de son entourage, et l'épidémie se propage sans le moindre agent infectieux. C'est assez fascinant, et c'est digne des meilleurs nanars de science-fiction.

Le pire avec les crises collectives d'hystérie, c'est qu'il n'existe pas forcément de moyen de les arrêter. Au contraire, elles auraient plutôt tendance à prendre de l'ampleur avec le temps, comme cela a été le cas en Tanzanie dans les années 1960, à l'échelle du pays entier ! A l'origine, un simple fou-rire entre trois écolières – une situation banale, qui arrive dans toutes les cours de récréation du monde, tous les jours. Comme dans les cas précédents, tout dégénère très vite : le fou-rire s'étend aux autres enfants et au personnel du pensionnat, situé dans un village sur la côte du lac Victoria. Les crises - qui alternent entre rires et pleurs, avec plus ou moins d'intensité selon les individus - durent parfois quelques heures, mais vont jusqu'à plusieurs jours dans les cas les plus graves. En deux mois, les deux-tiers des pensionnaires de l'école sont touchés. Évidemment, comme à chaque fois, on finit par fermer l'établissement, dans l'espoir que les choses se calment.

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Deux mois passent à nouveau, et lors de la réouverture, tout semble aller pour le mieux. Trois semaines plus tard, la moitié des élèves sont à nouveau touchés par ces curieuses crises à mi-chemin entre fou-rire et convulsions. La fermeture n'a donc servi à rien. Pire : les écolières -habituellement logées sur place - ont contaminé leurs familles en rentrant chez elles. L'épidémie s'étend petit à petit à toute la région. On doit fermer d'autres écoles, et la psychose s'étend à toute la population, augmentant ainsi les risques de propagation.

Comme face à tout autre type de maladie contagieuse, on sort alors les grands moyens : prises de sang, analyses médicales en tous genres… et même campagnes de prévention, bien que le seul conseil valable puisse être "n'approchez pas les individus touchés". Petit à petit, une solution se présente tout de même aux autorités locales : isoler chaque "malade" pendant une durée suffisante pour lui permettre de reprendre seul ses esprits - et ce, quelles que soient les souffrances éventuelles liées à l'isolement pour une personne souffrant de convulsions.

Aussi étonnante puisse être cette histoire, elle est loin d'être un cas isolé. De nombreuses épidémies de rire - plus ou moins fortes - ont frappé le continent africain durant le siècle dernier. Il est probable que les siècles précédents aient vu les mêmes types de cas se présenter, mais aucune documentation ne permet de le certifier.

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Il est assez amusant de constater que les cas historiques d'hystéries collectives sont souvent du même type, selon les régions du globe. Fous-rires et disparitions de pénis en Afrique, religieuses possédées et dévergondées en Europe, hallucinations collectives en Asie, troubles de la personnalité aux États-Unis… Un seul type de folie collective semble capable de franchir les continents et les époques sans jamais se soucier du background social, culturel ou religieux des victimes : la danse.

Le cas le mieux documenté est celui de la "Manie dansante" (ou "épidémie de danse de Saint-Guy"), un épisode survenu au XVIème siècle à Strasbourg. Une dénommée Frau Toffea - les parents n'ont pas fait un super effort au moment de choisir le prénom, je vous l'accorde - se met à danser en pleine rue, un beau jour de juillet. Le 14 juillet, très précisément. Peut-être qu'en fait, Frau voulait juste célébrer de manière tout à fait anachronique la prise de la Bastille.

Quoi qu'il en soit, la jeune dame ne s'arrête pas. Pieds en sang, crevée de fatigue, elle continue à danser. Pendant six jours et six nuits, s'écroulant de sommeil de temps à autre, et se relevant pour danser quelques minutes plus tard. Inutile de vous cacher qu'elle finit par succomber, son cœur n'arrivant plus à tenir ce rythme infernal. Pour l'anecdote, des écoles de danse ont même fini par porter son nom - ce qui est assez étrange, je le reconnais.

Bon, le sujet de l'article étant les hystéries collectives, il n'y a pas vraiment de suspense : en quelques jours, une cinquantaine de personnes ont suivi Frau dans sa triste obsession rythmique. Les autorités étant ce qu'elles sont - des entités stupides et possédées par Satan -, elles décident qu'encourager le phénomène est le meilleur moyen de l'éliminer. Un peu comme si vous décidiez de fumer trois paquets par jour pour éradiquer votre cancer du poumon. Orchestres, places réservées aux danseurs, spectateurs conviés à venir les soutenir… à la surprise des autorités, cela ne fait qu'empirer l'épidémie, si bien que la ville se retrouve à devoir gérer jusqu'à 400 danseurs en transe -dont la plupart finissent par mourir de crise cardiaque ou pire (enfin, je suppose), de déshydratation.

On a facilement tendance à se foutre de la gueule de ces gens en se disant que ce genre de choses n'arrivent qu'à des peuplades reculées, ou à des abrutis moyenâgeux qui n'ont jamais vu la couleur d'un iPhone, mais selon certains spécialistes, une crise majeure d'hystérie collective se déroule en ce moment même au sein de notre civilisation. Selon certains spécialistes, la fameuse allergie au gluten, très tendance chez certaines catégories boboïsées de la population, ne serait rien d'autre qu'un phénomène psychogénique de masse - autrement dit, un épisode d'hystérie collective.

Le patient zéro de l'épidémie aurait contaminé indirectement des centaines de personnes, jusqu'à toucher 1% de la population américaine. Et les symptômes, ainsi que le mode de propagation, ont en effet tout d'une simple hystérie collective : contamination sans le moindre agent infectieux ou environnemental ; groupe social et culturel bien défini ; et effets médicalement vérifiables - généralement nausées, fatigue et ballonnements.

Si vous croisez un intolérant au gluten, ne vous moquez donc pas de lui : il ne simule pas pour se rendre plus bobo qu'il ne l'est déjà : il souffre réellement, comme n'importe quel autre malade. Mais à défaut de pouvoir vous moquer (je sais, c'est frustrant), rattrapez-vous en le traitant d'hystérique.