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L’Internet des objets parle de vous dans votre dos

Votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone portable et votre pèse-personne connecté sont capables de dresser un portrait adéquat de votre personne et de votre vie.
Image: Shutterstock

SilverPush est une start-up indienne capable de détecter l'ensemble des appareils informatiques que vous possédez. Elle intègre la lecture de sons inaudibles aux pages web que vous visitez et aux spots publicitaires que vous regardez. Son logiciel, secrètement embarqué sur votre ordinateur, votre tablette et votre téléphone portable, détecte le fameux son inaudible, puis transmet les informations sur l'appareil en question au système central de SilverPush. Ainsi, l'entreprise peut suivre votre activité à la trace sur tous les appareils que vous utilisez. Elle mesure l'effet des publicités que vous regardez à la télé sur vos recherches Google. Elle compare l'activité que vous avez sur votre tablette à celle que vous avez sur votre ordinateur professionnel.

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Vos appareils électroniques communiquent entre eux quand vous avez le dos tourné. Et vous ne pouvez rien y faire. Ni savoir comment sont utilisées les données ainsi récoltées.

Tout cela n'a rien de nouveau, mais le phénomène prend des proportions sans précédent.

La surveillance est désormais au cœur du business model d'Internet. Plus ces entreprises en apprennent sur votre vie, et notamment sur les détails intimes de celle-ci, plus elles peuvent en tirer profit. Plusieurs dizaines d'entre elles espionnent déjà votre activité Internet, comparant votre comportement sur les sites Internet que vous visitez et utilisant ces informations pour calibrer les publicités qu'elles vous proposent. Vous en avaez déjà mesuré les effets : lorsque vous vous documentez sur Hawaii, il y a de bonnes chances que des pubs vous proposent des vols vers cette destination pendant plusieurs semaines. Google ou Facebook, quant à eux, tirent des revenus énormes de la vente des informations vous concernant (ce que vous écrivez, ce que vous aimez) à des entreprises tierces.

« Il est temps de penser l'économie de la surveillance de manière éthique »

En l'occurrence, la surveillance multi-appareils obsède les spécialistes du marketing. Vous utilisez probablement Internet sur plusieurs appareils : ordinateur, smartphone, tablette, télévision, et peut-être pour certains d'entre vous, à travers les objets domestiques qui constituent « l'Internet des Objets », comme les thermostats connectés ou les appareils électroménagers. Tous ces appareils vous espionnent, mais jusque là, les espions ne communiquaient pas entre eux.

Des start-ups comme SilverPush, 4Info, Drawbridgen Flurry, et Cross Screen Consultants, voire des grosses entreprises comme Google, Facebook et Yahoo, sont en train de tester des technologies permettant de régler « ce petit problème. »

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La grande distribution serait ravie d'obtenir les informations issues de cette surveillance multi-appareils. Elle aimerait savoir quels spots publicitaires poussent les gens à chercher les produits sur Internet. Faire des corrélations entre les recherches sur smartphone et les comportements d'achat sur ordinateur. Suivre la localisation des utilisateurs et leur envoyer des publicités ciblées géographiquement. En résumé, utiliser les données issues de la surveillance pour les comparer avec tout et n'importe quoi.

L'Internet des objets, malheureusement, amplifie ce phénomène et l'aggrave. Nos ordinateurs sont de plus en plus souvent synchronisés avec des objets que nous utilisons au quotidien, et ces derniers tiennent une place de plus en plus importante dans nos vies. Aussi, un nombre croissant d'entreprises cherchent à les utiliser pour surveiller nos comportements sans que nous en ayons conscience, et surtout, sans notre consentement.

Il est vrai que techniquement, nous avons consenti. À travers des accords de licence que nous ne lisons pas, mais que nous approuvons après avoir cliqué sur « I agree » sans y penser. Nous faisons cela à tout bout de champ, sans y penser, en achetant un produit sur notre navigateur ou en téléchargeant une application smartphone, par exemple. Par la même, nous donnons à ces entreprises l'autorisation de nous surveiller dans un cadre légal.

Ce webinaire, destiné aux spécialistes du marketing d'affiliation, nous donne un aperçu de la raison pour laquelle la surveillance multi-appareils est d'un tel intérêt pour les entreprises de marketing Internet. L'objectif est de suivre le comportement de l'utilisateur sur toutes les plateformes possibles.

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Nous n'acceptons d'être surveillés sur Internet que parce que nous ne prenons jamais la peine de songer aux enjeux de cette surveillance. Si toute une équipe de spécialistes marketing prenait des notes et dessinait des schémas par-dessus notre épaule en permanence, la plupart d'entre nous se sentirait mal à l'aise. Nous serions disposés à réagir. Si les entreprises qui développent nos applications préférées nous suivaient tout le jour durant, nous leur demanderions d'arrêter leur manège. Enfin, si nos télévisions, ordinateurs, téléphones communiquaient entre eux spontanément en émettant des bruits audibles, nous serions terrifiés.

Aux Etats-Unis, la Federal Trade Commission envisage enfin de réguler les technologies de surveillance. Mais il y a de grandes chances pour que cette régulation soit mineure et inefficace pour combattre un système qui est d'ores et déjà généralisé.

Nous devons absolument réagir, et lancer un débat public sur les implications de la surveillance multi-appareils pour notre vie privée. Il est grand temps de penser l'économie de la surveillance de manière éthique. A-t-on vraiment envie que des organisations privées connaissent les détails les plus intimes de nos vies, et les gardent au chaud sur leurs serveurs pour des décennies ? Ou sommes-nous déjà résignés à n'avoir aucun droit sur les données personnelles collectées par des tiers ? Des données qui, en l'occurrence, peuvent être embarrassantes, compromettantes, ou simplement mensongères.

La moindre des choses est de définir des limites à la collecte de données comportementales, réalisée jusque là en toute légalité, de décider combien de temps elles peuvent être conservées, et d'exiger que nous puissions les consulter et les télécharger. Enfin, il faut bannir le suivi des services publicitaires. C'est sans doute la mesure à prendre la plus essentielle : ces entreprises nous espionnent de site web en site web, d'appareil en appareil ; ce sont elles qui fragilisent le plus notre vie privée.

L'économie de la surveillance a 20 ans à peine. Elle a profité du manque de régulations sur Internet pour émerger paisiblement. À présent, c'est une industrie extrêmement puissante, dont les ramifications s'étendent à chacun des aspects de notre existence. Il est grand temps que nous définissions nous-mêmes qui a la légitimité de collecter des informations sur ce que nous faisons de nos vies.

Bruce Schneier et expert en sécurité informatique et auteur. Il est directeur de la technologie chez Resilient Systems, Inc., et son dernier ouvrage s'intitule Data and Goliath: The Hidden Battles to Collect Your Data and Control Your World. On peut le retrouver sur schneier.com.