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Vos amis sont plus heureux et plus populaires que vous

Des chercheurs ont observé pour la première fois le « paradoxe du bonheur », ce phénomène selon lequel vos amis vous semblent plus heureux que vous ne l’êtes vous mêmes.
Image: Daniel Oberhaus/Facebook screecap

Je sais depuis très longtemps que mes amis sont plus cool que moi. C'est un fait établi. Cette attitude cool qu'ils possèdent et dont je suis dépourvu se traduit nécessairement en popularité, et comme tout le monde le sait, les gens populaires sont plus heureux que les pauvres hères comme moi. Je suis très conscient de tout cela, et je me suis résigné à me complaire dans ma propre nullité.

Parfois, mes amis heureux et populaires essaient de me réconforter en m'expliquant que mon manque de popularité n'existe que dans ma tête. Même si j'apprécie l'intention, je sais qu'ils ont tort. Mais il est difficile de prouver cela avec des faits objectifs. Heureusement, grâce aux possibles formidables déployés par l'analyse des Big Data, des chercheurs peuvent maintenant quantifier précisément à quel point je suis nul.

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Une équipe de l'Université d'Indiana dirigée par Johan Bollen a récemment publié un article dans arXiv qui relate l'étude de l'activité de quelque 10 000 utilisateurs de Twitter. Pour la première fois, les chercheurs ont réussi à observer le paradoxe du bonheur, le phénomène selon lequel en moyenne, un utilisateur d'un réseau social se sent moins heureux que ses amis.

« Nous résultats montrent que l'utilisation massive des médias sociaux peut augmenter l'insatisfaction sociale et la mélancolie, car les individus sont enclins à comparer défavorablement leur popularité et leur niveau de bonheur à ceux de leurs contacts, » écrivent les chercheurs.

Ces dernières années, les indices selon lesquels les réseaux sociaux aggravaient la solitude, l'anxiété et la dépression se sont accumulés ; pourtant, ces observations contredisent notre intuition selon laquelle les interactions sociales permettent d'élever le niveau de bonheur et de bien-être des individus. Les mécanismes à l'œuvre dans ce paradoxe apparent ne sont pas bien connus, mais comme les chercheurs le suspectent, la réponse pourrait résider dans les patterns relationnels des utilisateurs des réseaux sociaux.

L'équipe a donc commencé son investigation par l'analyse du paradoxe de l'amitié, qui correspond à l'observation suivante : les utilisateurs ont moins d'amis que leurs amis en moyenne (si l'on mesure le nombre de connexions avec autrui au sein du réseau). Ce paradoxe est lié à un biais structurel des médias sociaux eux-mêmes, qui tendent à favoriser les individus populaires. Ce derniers ont, par définition, plus de chances d'appartenir au cercle social d'autrui, ce qui augmente la probabilité que vos amis aient plus d'amis que vous.

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Si la popularité était favorablement corrélée à des niveaux de bonheur plus élevés, cela pourrait expliquer pourquoi l'utilisation des réseaux sociaux favorise la dépression et l'insatisfaction. Le problème est que, jusque là, personne n'a été capable de montrer que les individus populaires étaient réellement plus heureux que les individus peu populaires.

En outre, cette étude est la première à établir un lien convaincant entre la popularité et le bonheur, avec quelques intéressantes réserves.

Distribution of individual Happiness (x-axis) vs. average Happiness of one's friend's average (y-axis). Image: Johan Bollen, et al.

Si les individus populaires sont plus heureux, selon l'hypothèse en question, alors le paradoxe de l'amitié devrait produire le paradoxe du bonheur, l'expérience selon laquelle vos amis ont l'air en moyenne plus heureux que vous. Ceci s'explique par un phénomène très simple : les individus populaires sont plus visibles sur les réseaux sociaux, et par extension le bonheur de ces individus est également plus visible. Il irradie.

La prévalence du bonheur de ces individus particulièrement populaires affecte négativement la façon dont les autres personnes évaluent leur propre bonheur. En d'autres termes, quand tout le monde a l'air beaucoup très heureux dans votre cercle social, cela a de grandes chances de vous miner le moral.

Pour tester cette hypothèse (=le paradoxe de popularité conduit au paradoxe du bonheur), les chercheurs ont examiné les 3000 tweets les plus récents de 39 100 utilisateurs. À cette fin, ils ont utilisé un algorithme qui analyse chacun de ces tweets pour déterminer s'ils exprimaient une attitude positive ou négative, afin de situer l'état de satisfaction de l'utilisateur en question. L'équipe a ensuite divisé les utilisateurs en deux groupes, un groupe montrant une attitude plutôt positive, et un groupe montrant une attitude plutôt négative, afin de déterminer s'il y avait une corrélation entre la popularité et le bonheur.

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Les résultats de cette analyse sont très surprenants. Dans les deux groupes, les utilisateurs percevaient leurs amis comme plus heureux qu'eux-mêmes, mais pour des raisons complètement différentes. Les membres du groupe « heureux » estimaient qu'en moyenne, leurs amis étaient plus populaires qu'eux, et donc plus heureux, ce qui correspond à l'hypothèse des chercheurs.

En revanche, les membres du groupe « malheureux » n'avaient pas le sentiment que leurs amis étaient plus populaires, seulement qu'ils étaient plus heureux qu'eux. Enfin, l'écart entre le niveau de bonheur et celui des autres était beaucoup plus fort chez le groupe « malheureux « que chez le groupe « heureux », même si dans les faits, les gens « malheureux » étaient structurellement entourés de plus d'individus « malheureux ». Vous me suivez ?

Les chercheurs en ont déduit que la popularité n'est pas la seule variable à prendre en compte en matière d'analyse de la perception du bonheur d'autrui.

« Cet effet montre peut-être que le paradoxe du bonheur a plusieurs autres origines, » précise l'article. « Dans certains cas, ce n'est peut-être pas la prévalence des individus heureux et populaires qui importe ; peut-être que tout simplement, le paradoxe émerge d'interactions sociales complexes entre les individus et leurs amis. »

Pour le moment, il est difficile de déterminer en quoi consisteraient ces « interactions sociales complexes », qui n'étaient pas le sujet de l'étude en question. Cependant, les chercheurs évoquent deux coupables potentiels : l' « expression de la commisération » (exprimer sa tristesse pour les problèmes d'autrui) et de la contagion de l'humeur, qui laisse entendre que le malheur serait plus contagieux que le bonheur chez certains individus.

Comme le note l'équipe, l'étude a ses limites ; leur plus grande incertitude concerne la pertinence qu'il y a à évaluer le bonheur d'un utilisateur à partir de la connotation positive ou négative de ses tweets. Malgré tout, les chercheurs estiment que leurs résultats nous fournissent des informations essentielles à la compréhension de l'influence des réseaux sociaux sur notre humeur et notre bien-être. Une influence que l'on ne peut plus négliger à l'heure où le taux de pénétration d'Internet monte en flèche.

Les chercheurs ont donc pris le soin de nous mettre en garde : « Les utilisateurs des réseaux sociaux généralement heureux ont tendance à penser que leurs amis sont bien plus populaires et un peu plus heureux qu'eux, tandis que les utilisateurs plutôt malheureux auront des amis tout aussi malheureux qui leur paraitront plus heureux et plus populaires qu'eux, en moyenne. Cela suffit à mettre en garde contre l'utilisation compulsive des réseaux sociaux, qui de toute évidence contribuent à décroitre le bien-être des groupes les plus vulnérables dans la population. »