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De l'art de se faire péter au nez en jouant : on a testé le Nosulus Rift

Ubisoft a mis au point une technologie capable de vous envoyer des pets à la gueule. Mais rassurez-vous, ils ne vous la feront pas payer.

Depuis le temps que des mecs se branlent sur la numérisation des odeurs, Ubisoft a surpris son monde à la dernière Gamescom en présentant un périphérique pour le moins confondant : le Nosulus Rift. Soit un appareil accompagnant leur nouveau jeu South Park et permettant de retranscrire olfactivement l'odeur des pets produits par son héros. Je n'ai pas tilté au début, ayant déjà essayé divers principes d'Odorama tous plus foireux les uns que les autres (de la carte à gratter accompagnant le Polyester de John Waters au diffuseur d'odeurs branché en HDMI à votre ampli télé) et au-delà du manque d'intérêt, je pensais, comme tout le monde, qu'il s'agissait d'une grosse connerie, jusqu'à ce que je tombe sur un article qui retranscrivait au mieux l'expérience de la journaliste qui l'avait essayé et qui précisait qu'Ubisoft ne comptait pas vendre son appareil avec le jeu. Il s'agissait juste d'un outil qui accompagnerait la démo de L'Annale du Destin. Troublé, j'ai immédiatement contacté le sympathique RP du studio qui fait la fierté de la France au niveau mondial en lui en demandant plus. Bonne synchro, il présentait l'appareil à la presse quelques jours plus tard. En en parlant à un pote, ce dernier s'est foutu de ma gueule en me disant que j'étais tombé dans un piège de communicant sensationnaliste. Bien emmerdé, j'ai fini par le croire, prêt à passer pour un crétin fini – comme ça avait pu m'arriver au moment de la sortie du DVD de JX Williams – le jour de la dite présentation, à l'occasion de laquelle je ne découvrirais en fait que le nouveau jeu South Park, pour lequel je ne me serais pas forcément précipité, il faut le reconnaître. J'étais du coup aussi convaincu que la journaliste de Polygon était de mèche avec Ubisoft pour faire croire à ses lecteurs que le Nosulus Rift existait bel et bien. Ou de l'art de fomenter un bon hoax.

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Arrivé dans les bureaux de la boîte de com responsable de cette machination rocambolesque, j'ai bien dû me rendre à l'évidence : le Nosulus Rift existait. Et il fonctionnait. Fièrement présenté par une petite dizaine de personnes, galvanisés par un sujet aussi « pop, sympa et engageant » que « les 19 saisons de créativité pure à l'humour corrosif » signées Stone et Parker – dixit le responsable de l'agence Buzzman - quelques prototypes du masque à gaz trônaient sur une grande table en bois, prêts à l'emploi. Autour du périphérique olfactif, les chefs d'orchestre de cette opération tape-à-l'œil : les boss de l'agence de com – qui profite du coup autant qu'Ubisoft eux-mêmes, puisqu'après tout, ils ont permis de confectionner un appareil et une technologie qui, aussi inattendue soient-ils, fonctionne bel et bien – l'équipe de RP d'Ubisoft particulièrement hilare et surtout 3 des cerveaux derrière la conception de l'appareil : le designer Benjamin Sabourin, l'ingénieur hardware Valentin Squirelo – qui s'était déjà illustré il y a 2 ans en bossant sur une clope électronique au cannabis et Sarah Burri, nez responsable de l'odeur du « pet universel » censée se dégager du Nosulus. Tous étaient convaincus d'un truc : si le Nosulus Rift ne restait qu'une blague dans une vidéo postée sur YouTube, ça n'avait aucun sens.

J'ai passé l'âge des blagues potaches, mais le sérieux avec lequel le Nosulus Rift a été élaboré m'a sidéré au point que je n'ai même pas eu envie de critiquer le caprice de petit prince friqué qu'il représentait. Penser à une connerie, c'est une chose. La réaliser, c'en est une autre. Refuser de commercialiser l'objet issu de cette pensée conne alors qu'il s'agit d'une relative avancée technologique qui pourrait, par le biais d'une campagne bien orchestrée, faire dire au tout venant qui s'est déjà jeté sur un cendrier connecté ou une télé incurvée, qu'il s'agit bel et bien de LA révolution qui va lui permettre de franchir 2016 en étant assuré d'être à la pointe de la technologie, c'est pousser un peu plus loin encore le seuil de l'abus. Je n'ai pas énormément de respect pour les jeux Ubisoft – en grande partie parce que je ne me suis jamais remis de l'affront visuel de Rayman – et leur qualité générale jamais à la hauteur du discours qui les accompagne. Mais je dois reconnaître que dépenser comme ils l'ont fait une somme a priori importante – évidemment non communiquée – pour aboutir à un truc qui ne servira qu'à des fins promotionnelles alors qu'il pourrait donner lieu à des revenus bien plus conséquents, ça m'a un peu redonné foi en une industrie capable de capitaliser sur la première invention débile venue sans avoir préalablement tenté d'en comprendre les fondements.

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En l'état, le Nosulus Rift ressemble à un de ces objets « jolis » qui pullulent dans les boutiques hi-tech au quatrième sous-sol des Halles. Un truc qui vous plonge directement dans un futur cauchemardesque où nous serons tous obligés de nous balader avec un masque à gaz sur le nez. « Il fallait le penser aussi sérieusement que s'il s'agissait d'un casque Oculus ou qu'une manette Playstation, mais en y ajoutant le côté blague du masque à gaz qui vous donnera l'air ridicule quand vous l'aurez sur le nez », précise Benjamin Sabourin, designer du Nosulus, qui pourrait en effet être un prop tiré d'un futur Avengers. Sauf que ce truc existe, et qu'il est fonctionnel. En gros, voilà comment ça marche : chaque extrémité du tube protège un certain nombre de capsules de polymère odorantes de deux types, un pet à droite, un pet à gauche, qui permettent d'en créer un troisième – en fonction du pet lancé par le joueur - en croisant les deux premier. L'odeur, encapsulée, est dégagée par une pompe qui exerce un courant d'air entre l'entrée (à l'extérieur) et la sortie (sous votre nez) de ces containers à pets. Celle-ci est activée par des ultrasons déclenchés dans le jeu.

Evidemment, la première question qu'on pose à Valentin Squilero, c'est « mais si je joue avec des écouteurs ? ». Pas d'angoisse, visiblement, vous pourrez toujours vous faire vomir parce que « c'est la carte mère de votre console ou de votre ordinateur qui émet ces ultrasons », répond-il, visiblement très heureux d'avoir réussi à shunter la carte son des machines. Si Valentin a directement travaillé avec les développeurs du jeu – avec l'aval de Trey Parker et Matt Stone – il a aussi lutté pour faire entrer toute sa petite électronique dans la machine dessinée par Benjamin Sabourin. « Le plus gros obstacle, ça a été de réussir à miniaturiser le tout. Des nuits blanches à tester, pour dormir le temps que le nouveau prototype de carte nous revienne », confie-t-il, pas spécialement traumatisé que tout ce travail ne soit finalement que peu reconnu, puisque même si toute la campagne de L'Annale du Destin se fera autour de cette ingénierie sans faille, ce qui aurait pu aboutir à un événement commercial à grande échelle ne finira que par être testé sur des salons. Pas plus de frustration du côté de Benjamin, qui a vu en l'exercice une manière de faire avancer d'autres de ces projets, et encore moins du côté de Sarah Burri, qui se demande encore si elle doit parler de ce travail en particulier sur son CV de nez très prisé par l'industrie.

C'est sur les épaules de cette dernière que reposait l'ultime accomplissement du Nosulus Rift, puisqu'elle était responsable de trouver l'odeur de ce pet qui allait punir tous ceux qui oseraient foutre l'appareil au-dessus de leur bouche. Pour ce faire, elle est allée piocher dans des palettes de senteurs assez peu communes, puisque ce n'est pas demain que Dior mettra de l'œuf dans ses parfums. Mélangé à l'oignon, à la viande ou encore au soufre, vous obtenez une odeur qui n'est pas à proprement parler une odeur de pet – « On ne pouvait pas utiliser de méthane, parce que c'est un gaz explosif », précise Sarah - mais qui est assez désagréable pour vous rappeler votre Poubellos préféré - ouais, tout le monde n'a pas eu la chance de grandir dans les années 80.

Il devait aussi y avoir un peu de vomi de chat dans le cocktail, parce que cette odeur particulière de croquette rance m'a tenu toute la journée qui a suivi l'expérience. Une expérience plutôt convaincante qui m'a fait regretter que le jeu sorte sans cette coquetterie, puisqu'elle apporte bon an mal an un vrai atout au gameplay. Le héros de L'Annale du Destin devant péter pour looter tout ce que le jeu met à sa disposition, le Nosulus offrait au pillage un sens de la punition assez rafraîchissant. A chaque nouveau coffre, ou nouvelle serviette à faire virevolter, je devais me demander si oui, ou non, j'avais vraiment envie ou besoin de récupérer ce qui se cachait derrière. Une punition qu'à part en balançant des décharges par le biais d'un accessoire type chaise électrique de salon, un jeu vidéo était dans l'incapacité d'offrir. Aujourd'hui, à l'instar des mécaniques savantes mises en place par William Castle pour présenter ses films, un jeu peut enfin vous punir physiquement. Une avancée très louable à mon sens. Evidemment, si le Nosulus avait émis des odeurs de jasmin, j'aurais trouvé ça moins intéressant. De fait, j'ai fini par demander aux mecs de chez Ubisoft si cette sinistre invention était une manière déguisée de faire passer un message à Vincent Bolloré, avec qui la direction du studio tient un bras de fer serré depuis quelques mois. « Non, pas du tout », m'a-t-on assuré poliment.

In fine, le Nosulus Rift va faire parler de lui, de la boîte de com qui a permis de le concrétiser, d'Ubisoft – qui, sous la houlette de Vivendi, aura permis l'invention de la machine à prouts individuel - et de South Park : L'Annale du Destin. Est-ce qu'elle fera vendre des jeux ? Rien n'est moins sûr, puisqu'une fois que vous aurez essayé le Nosulus Rift sur un salon, vous ne pourrez pas vous en amuser chez vous, ni en faire profiter vos potes. Vous pourrez penser que je suis candide, mais je trouve le geste extrêmement réglo.