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Non, je n’arrêterai pas avec « mon putain de Game of Thrones »

C’est OK d’écrire sur une série qu’on n'a même pas pris la peine de regarder, mais quand on ne connaît rien à la fantasy, il est plus sage de la...

Des cosplayers fans de Game of Thrones. Photo via

Cher Clive Martin,

Alors comme ça, tu détestes une série que tu n’as même pas pris la peine de regarder. Ça ne me dérange pas que tu écrives un article particulièrement détaillé pour nous expliquer à quel point tu détestes Game of Thrones – mais quand je suis arrivé au passage où tu dis être « allergique à tout ce qui touche au domaine de la fantasy », je me suis dit qu’il fallait que quelqu’un te remette à ta place.

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Pour être honnête, je ne regarde pas la série non plus. J'ai dévoré les premiers tomes du Trône de Fer quand j'étais au lycée, et je savais déjà ce qu’il allait se passer dans les deux premières saisons. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir trop de retard pour tout rattraper.

En revanche, je m'y connais un peu en culture nerd. À l'époque où l'adolescent angoissé que j'étais se réfugiait dans les rayons obscurs des libraires, je lisais énormément de fantasy. À en croire ton article, tu ne connais pas beaucoup de bouquins de ce genre en dehors de la trilogie duSeigneur des Anneaux, mais je peux t'assurer que j'ai pu en lire beaucoup d'autres. Par exemple, la saga incroyablement complexe de La Roue du Temps de Robert Jordan, l'excellente série de L'Arcane des épées de Tad Williams, le Royaume Magique de Landover de Terry Brooks, mais aussi les très mauvais tomes de L'épée de Vérité de Terry Goodkind, les romans Belgariade et Mallorée de David Eddings et les histoires misogynes du Xanth de Piers Anthony – et je pourrais continuer longtemps.

Ce qui différence George R.R. Martin de tous ces auteurs, c’est que son Westeros est bien plus « réaliste » que la Terre du Milieu de Tolkien ou que les Quatre Terres de Terry Brooks. Il y a très peu de magie dans ses livres, et quand quelque chose de surnaturel se produit, tout le monde est flippé et se demande ce qu’il se passe. Les personnages ont des relations sexuelles (dont la plupart seraient illégales aujourd'hui), se font torturer, se trahissent et meurent souvent pour rien – comme dans n'importe quelle guerre médiévale, en fait. Dès les premiers chapitres, un enfant est jeté d'une tour et perd l'usage de ses jambes parce qu'il a été témoin d'une relation incestueuse. Un personnage important se fait tuer alors qu'il est aux toilettes et défèque partout au moment de sa mort. Quiconque, dans l'univers de R.R. Martin, cherche à acquérir un titre, des honneurs ou toute chose habituellement valorisée dans les romans de fantasy finit inévitablement empalé, mutilé ou humilié par des individus amoraux qui parviennent toujours à leurs fins.

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Évidemment, une série inspirée de livres bourrés de rebondissements, de retournements de situation, de batailles sanglantes et de trahisons en tout genre ne peut que cartonner. Ajoutons à ça les moyens d'HBO, chaîne réputée pour son audimat élevé (et sa propension à montrer des gens nus), et on obtient une franchise taillée pour le succès. Clive, tu fais également remarquer que tu n'arrives pas « à apprécier la profondeur, la richesse narrative et l'humour subtil qui sont caractéristiques de l’univers de la fantasy» mais il n'y a pas besoin de comprendre ce genre de détail pour trouver de l'intérêt à Game of Thrones. Il y a suffisamment de rebondissements – type :  « C'EST QUOI CE BORDEL IL VA SE FAIRE BUTER LUI AUSSI ? » et de « WOOOW MEC ILS LUI ONT COUPÉ LA BITE !! » – pour avoir envie de s’y pencher. D'ailleurs, je n'ai toujours pas compris pourquoi tu ne voulais pas lire les bouquins. Parce que ça se passe dans un univers un peu médiéval ? Parce qu'il y a des dragons ? Je ne sais vraiment plus quoi te dire.

Des livres incroyables que Clive Martin refuse de lire. Photo via

À vrai dire, je me fiche de savoir ce que tu lis. Ce qui me dérange, c'est que tu justifies ton aversion pour la fantasy à partir de stéréotypes datés et de références au Seigneur des Anneaux, ce qui revient à peu près à décrire les Anglais comme des disciples de Winston Churchill qui se sustenteraient exclusivement de saucisses informes et de bière tiède. Pour t'aider à comprendre, j'ai isolé quelques-uns de tes « arguments » :

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« J'ai toujours considéré que cette culture appartenait aux gens incapables d’affronter le monde réel, ses génocides, ses déceptions amoureuses, ses modes qui changent sans cesse, ses gens sexuellement actifs et ses intégristes religieux. »

Si tu passais moins de temps à éviter de lire ou de regarder des choses, tu te serais peut-être rendu compte que les génocides, les déceptions amoureuses et l'intégrisme religieux étaient des thèmes fréquemment abordés dans les œuvres de fantasy. Tu aimerais peut-être que cette littérature traite plus souvent de gens ayant une vie sexuelle un peu osée ? Dans ce cas, je te conseille de lire les romans uchroniques de Harry Turtledove, dont les personnages font constamment l’amour en public.

« Il y a aussi le problème du sexe. Malgré la présence de Viggo Mortensen, Orlando Bloom et Liv Tyler, Le Seigneur des anneaux se garde de toute référence sexuelle, et se contente de quelques scènes de baisers particulièrement chastes. »

Hé, bravo, tu as remarqué qu'il n'y avait pas de sexe dans la saga : quand tu finis par accepter de regarder quelque chose, tu es capable de le décrire correctement. Les livres de Tolkien manquent de personnages féminins et laissent globalement de côté tout romantisme ; à vrai dire, Peter Jackson s'est donné du mal pour essayer de mettre en valeur la relation entre Aragorn et Arwen dans les films. Mais tu ne devrais pas appuyer ton jugement sur une saga vieille de 60 ans. Il y a tout un tas d'autres romans de fantasy qui comportent plus de scènes lubriques – et le plus souvent, on comprend rapidement qu’il s’agit juste d’un moyen pour l’auteur d’assouvir son fantasme de coucher avec des demi-elfes.

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« Tout ça ne m’évoque rien de plus que des ménestrels titulaires du BAFA qui travaillent au Puy du Fou, des barmans qui portent des pantalons en velours côtelé et, plus généralement, Philippe de Villiers. »

Là, tu n’as pas complètement tort : la plupart des romans de fantasy sont écrits par des Blancs qui adorent les trucs de Blancs, comme l'histoire militaire de l'Europe et la mythologie celte. Certains auteurs sont même assez conservateurs, et le genre n'est pas réputé pour donner une très bonne image des femmes. En revanche, je ne comprends pas ce que tu reproches à cette matière noble qu'est le velours côtelé.

« Et puis, où sont les minorités ethniques dans Le Seigneur des anneaux ? »

Encore une fois, oui, la fantasy est un genre dominé par les hommes blancs, même si on peut trouver quelques exceptions. Mais ce n'est pas comme si le problème était spécifique à ce genre : deux des auteurs « cool » que tu évoques, Salinger et Kerouac, ne se sont jamais vraiment penchés sur la question de la race non plus, et ils n'ont pas vraiment d'excuse.

« Selon moi, les livres, films, chansons et autres séries qui traitent de personnages arborant des oreilles pointues ont été créés par des individus présentant de gros troubles relationnels. »

Tu soulèves un point intéressant, c'est dommage que tu l'interprètes mal. Les fans de fantasy sont parfois des gens qui se sentent incompris – notamment parce que des bouffons ignorants pensent avoir le droit de parler de leur genre de prédilection comme s'ils étaient experts en la matière — mais aussi parce qu'ils se sentent souvent exclus. S'il existe autant de lecteurs désireux de s'évader dans des mondes mystérieux où n'importe quel personnage peut devenir un héros, c'est peut-être parce qu'ils se sont parfois sentis à l'écart des autres – et qui pourrait leur en vouloir de chercher une échappatoire ?

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Je tiens à préciser que je ne lis plus trop de romans de fantasy. Ce sont des livres un peu longs, au style parfois mauvais, dont les personnages peuvent manquer d'épaisseur psychologique. (Aux fans de fantasy : je sais que ce jugement ne s'applique pas au genre dans son ensemble, mais je n'ai plus le temps de chercher les véritables romans qui sortent du lot). En vieillissant, j'ai commencé à m'intéresser à de nouvelles choses dans les fictions que je lisais ou regardais, et c'est pour cette raison je n'ai pas vraiment envie de me replonger dans Le Trône de Fer ou de finir La Roue du Temps. Mais je suis suffisamment bien placé pour savoir qu'il y a plein de gens qui adorent ces livres, et que c'est franchement chiant de voir des gens se moquer d’eux en disant : « Tu lis un livre sur les orques ? Gros nul, LOL. »

Bref, tu ferais mieux d'aller te faire foutre.

Amitiés,

Harry

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