Une quarantaine de personnes ont manifesté devant une mosquée à cause d'une fausse nouvelle

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Une quarantaine de personnes ont manifesté devant une mosquée à cause d'une fausse nouvelle

« Moi, je veux pas me convertir à l’islam. »

Dans le froid mordant de décembre, des fidèles de la mosquée montréalaise Baitul Mukkaram sortent emmitouflés de leurs manteaux et, pour certains, d’un regard d’incompréhension. À la sortie, ils voient des journalistes, des caméras et, plus loin, une horde de policiers déployée autour de quelques dizaines de manifestants.

« Qu’est-ce qui se passe? », demande un des fidèles. Il n’est pas au courant qu’il se tient une manifestation devant la mosquée voisine pour « faire valoir la cause des femmes ». Il ignore tout du reportage de TVA Nouvelles diffusé mardi, dans lequel une journaliste avance que des dirigeants de la mosquée Ahl-ill Bait ont exigé que des femmes ne travaillent pas sur un chantier de construction à proximité, lors de la prière du vendredi.

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L’homme n’est pas non plus au courant que de nombreux médias ont depuis démenti cette nouvelle, et que le réseau TVA lui-même a aujourd’hui présenté formellement ses excuses, se rétractant sur l’entièreté du reportage.

« Ça ne fait pas de sens. Nous sommes musulmans, mais nous sommes tous pareils », lance le fidèle avant de quitter.

« Je ne comprends pas pourquoi ils sont là, ils ne devraient pas être ici. Le reportage est démenti, ce n’est pas vrai. […] Ce sont des profiteurs », s’indigne Ahmed, un autre fidèle, à la sortie de la mosquée.

À moins de 100 mètres de là, une quarantaine de personnes sont réunies pour manifester devant la mosquée au centre du reportage de TVA Nouvelles. Ils se tiennent debout, groupés, et par moments, quelqu’un hurle quelque chose à la quinzaine de manifestants antifascistes réunis de l’autre côté d’un cordon de sécurité. Et inversement.

Photo : Justine de l'Église

« Heille ! C’est même pas une vraie nouvelle! Vous croyez à des fausses nouvelles! »

« VOUS NE RESPECTEZ PAS LES FEMMES! » « BEN OUI JE RESPECTE LES FEMMES! »

« Vous brimez ma liberté! Je paie mes taxes! »

« Respectez les autres ! C’est pour ça qu’on est là ! Vous, vous êtes là parce que vous êtes des ostie de racistes! »

« Tu te rappelles de tes manifestations depuis une couple d’années pour faire valoir vos droits d’étudiants? Ben on fait la même câlisse d’affaire icitte! »

« C’est pas pantoute la même affaire! »

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Photo : Justine de l'Église

Peu importe aux manifestants que personne dans les médias ne défende la véracité du reportage de TVA Nouvelles. Pour certains, démentir la version originale du reportage ne représente rien d’autre qu’un complot pour étouffer l’affaire, et ils demeurent convaincus que des femmes ont été évincées du chantier de construction.

« Je crois que le reportage de TVA était vrai, a expliqué Georges Hallak, fondateur de la Coalition canadienne des citoyen(ne)s concerné(e)s (CCCC). Si je pensais qu’ils mentaient, je ne viendrais pas ici. Je n’ai pas de haine envers qui que ce soit, mais il faut protéger nos femmes. »

« Ça m’étonne que des employés qui se tiennent comme ça aient dit des faussetés de la sorte. Vous ne croyez pas que c’est parce qu’ils veulent éteindre le feu? », se questionne la retraitée Annette Dormoy, venue seule à la manifestation.

De l’autre côté du cordon de sécurité, du côté des manifestants antifascistes, deux hommes se tiennent à l’écart et observent la scène.

Essraa Daoui (Photo : Justine de l'Église)

« Je suis pas ici pour manifester, assure un retraité du domaine de la construction, Jean-Pierre Picard. Je suis ici pour appuyer les femmes que j’aime, crisse, qui nous ont donné des enfants pis y’ont bâti notre pays, câlisse. »

Croit-il que des femmes ont réellement été évincées du chantier de construction devant la mosquée? L’homme s’avance et chuchote.

-Si c’est pas vrai, là… Il y a certainement un petit peu de vrai. Dans un mensonge, il y a toujours un peu de…

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-Vérité, complète l’homme qui l’accompagne, Daniel Ayotte.

« ILS L’ONT DIT 24 HEURES PLUS TARD QUE C’ÉTAIT DES FAUSSES NOUVELLES », hurle plus loin un contre-manifestant de gauche, à cet instant précis.

« Moi, je veux pas me convertir à l’islam », poursuit M. Jean-Pierre Picard. VICE souligne que ce n’est pourtant pas de cela dont il est question. « Non, mais avec le temps! », renchérit M. Ayotte.

Il est difficile de savoir de quelle affiliation étaient les personnes présentes à la manifestation. Des groupes comme La Meute et Storm Alliance avaient appelé à manifester devant la mosquée montréalaise, pour ensuite se rétracter et conseiller aux membres qui voudraient s’y rendre de ne pas porter leurs couleurs officielles. Sur les réseaux sociaux, quelques personnes avaient indiqué qu’elles seraient tout de même présentes à la manifestation. Il a été possible d’observer dans la foule un homme avec un manteau à l’effigie du groupe ultranationaliste canadien Northern Guard. Un autre portait un drapeau des Patriotes.

« Ce ne sont pas des personnes qui ont une vision multiculturelle, a dénoncé le manifestant de gauche David Deladurantaye. C’est vraiment des individus qui prônent une culture de suprématie blanche en tant que telle. Même s’ils ne vont jamais l’avouer, c’est ça qu’ils prônent. »

Photo : Justine de l'Église

Une femme fréquentant la mosquée a également fait part de son incompréhension face à la situation. « On a encore les séquelles de l’attentat de Ste-Foy, et après on trouve des excuses pour remettre toute la misogynie du monde derrière une mosquée et au nom de l’islam, décrie Essraa Daoui. J’aimerais que ces gens-là dénoncent la misogynie dans toutes les institutions, ce serait plus crédible, parce que là, c’est vraiment ridicule. »

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« Je suis venue il y a un an donner un atelier sur le féminisme et j’ai plein d’amis filles qui fréquentent cette mosquée, elles sont très présentes sur le C.A. », ajoute Mme Daoui.

La jeune femme assure n’avoir pas cru à la nouvelle dès le départ. Pour elle, c’était complètement « irréaliste ».

À l’opposé, la manifestante Annette Dormoy n’était pas au courant que la version initiale du reportage de TVA avait été remise en question. Elle semblait prise au dépourvu que VICE le lui annonce.

« Si ce n’est pas fondé, je n’ai rien à voir ici, a-t-elle laissé tomber. Si c’est fondé, je crois au Bon Dieu, il va s’arranger. »

Au bout d’une heure trente, les manifestants, probablement frigorifiés, ont quitté les alentours de la mosquée en petits groupes.