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Drogue

Être héroïnomane n’est pas digne d’une dame

La dépendance est en contradiction avec ce que la société attend de nous. Elle n'est pas « féminine ».
Une statue au Hell Garden. Image de l'auteure
Une statue au Hell Garden. Image de l'auteure

Cet article a été initialement publié sur VICE Australie.

Steph ne veut pas se faire masser.

« Je ne supporte pas que des inconnus me touchent, dit-elle. J’ai eu ma dose quand j’étais escort. »

Steph a 20 ans. C’est le bébé de Hope Rehab, le centre de désintoxication qui m'accueille. Elle vient de Vancouver et est accro à la meth. Elle sait jouer du piano et apprend la guitare. Elle a le sens du rythme et adore les animaux. « J’aime vraiment les hiboux », dit-elle. Un soir, elle trouve une grenouille et la berce dans ses paumes de mains pendant des heures. Elle l’appelle Egg.

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Steph est très belle. Elle a les cheveux bruns, des lèvres roses, le sourire facile. Ses bras, ses épaules, ses mollets et ses cuisses sont recouverts de cicatrices blanches, longues de 5 à 10 cm. Elle se scarifie depuis qu’elle a 13 ans.

« Tu fais une entaille et là, c’est la montée d’adrénaline. Tu ne ressens même pas la douleur. C’est très addictif ». Elle soupire, rigole, tire sur sa vapoteuse. « J’ai dû arrêter quand je suis devenue escort. Aucun client ne veut d’une fille qui a des cicatrices. »

Steph est l'une des huit femmes qui séjournent actuellement au centre. Il y a 23 hommes. Cela ne veut pas nécessairement dire que les femmes se droguent moins que les hommes, mais qu’elles sont moins susceptibles d’être traitées pour leur dépendance.

Je regarde les statistiques, je lis les recherches. Simon, le fondateur de Hope Rehab, m'envoie un article intitulé Les obstacles auxquels les femmes font face dans le traitement contre la toxicomanie. Cela correspond à ce que j'ai observé au sujet des femmes et de la dépendance au cours de mes 19 admissions en cure de désintoxication ces trois dernières années.

L’article commence ainsi : « L’abus de substances psychoactives a toujours été considéré comme un problème essentiellement masculin ». La recherche et le traitement restent « axés sur les hommes ». La dépendance est en contradiction avec ce que l'on attend de nous. Elle n'est pas féminine. « Afin d'éviter d’être jugées trop sévèrement par leurs proches et la société en général, les femmes tendent à minimiser leur consommation. » Nous « décompressons ». Nous « gérons le stress ».

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« Le nombre de femmes toxicomanes augmente, tout comme le nombre de consommatrices enceintes ou de mères de famille », indique le rapport. « Quitter ses enfants pour surmonter sa dépendance n’est généralement pas une option envisageable. »

Souvent, les femmes qui finissent en cure ont déjà perdu la garde de leurs enfants : « La perte de la garde est la principale motivation du traitement ». « La dépendance des femmes devient perceptible au moment où elles n’arrivent plus à remplir le rôle que leur impose la société : celui de pourvoyeuses de soins… ».

Seules deux des huit femmes du centre ont des enfants. Charlotte a 60 ans, ses enfants sont adultes. Le fils d’Ellie a 11 ans. Son ex s’occupe de lui pendant son absence.

Elle pleure beaucoup, surtout quand son fils est dehors, trop occupé à jouer avec ses amis pour parler avec sa mère au téléphone. D'autres fois, elle finit par se disputer amèrement avec son ex, qui n'aime pas qu'elle boive.

Parce que sommes en cure, nous pouvons nous considérer comme chanceuses. Nous nous réunissons tous les mercredis à 16 heures. Au fil des semaines, je suis triste, mais pas choquée, d’apprendre que nous avons toutes été victimes de maltraitance physique ou sexuelle. « Je ne me souviens pas de son visage, mais je me souviens de sa voix comme si c’était hier », dit-elle. « Je savais que quelque chose de grave s'était passé, mais je ne savais pas à quel point c'était grave », dit une autre.

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Akiko se sent mal. Elle a séjourné à Hope il y a un an, pendant douze semaines. La voilà de retour. Elle est restée clean pendant neuf mois, mais a rechuté quand elle était à Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande. Elle a 22 ans, elle est petite, blonde et mignonne, avec un piercing au nez. Elle a une grosse bosse rouge au poignet gauche, à l’endroit où elle se shootait du Subutex, un opiacé de substitut qui n’est pas censé se prendre en intraveineuse, même si tout le monde le fait. Elle a cette bosse depuis une semaine déjà et s’en inquiète beaucoup.

Nous nous ressemblons beaucoup Akiko et moi. Nous aspirons à quelque chose en dehors de nous-mêmes. Nous sommes dépendantes de la drogue, du sucre et des hommes. Nous essayons de ne pas acheter de tablettes de chocolat lors de nos sorties nocturnes. Nous envoyons les mecs chercher nos cigarettes, car nous avons trop peur d’approcher du comptoir. Souvent, nous craquons et nous nous gavons. Je me réveille couverte d'emballages avec une migraine et je promets de ne plus jamais manger de sucre.

« Quand je suis clean, je ressens un vide, explique Akiko. Je me sens vide, perdue et confuse. Je suis malade et j'attire les hommes malades. Ils ont quelque chose que je veux, j’ai quelque chose qu’ils veulent, et nous nous utilisons les uns les autres. Chaque fois, ça me ramène à la drogue. Je continue de penser qu'un homme va me sauver. Le dernier ne pouvait pas mais le nouveau le fera. » Lors de sa première cure de désintoxication, elle a couché avec deux hommes. Elle est partie avec le dernier et ils ont rechuté ensemble.

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Steph sourit, plonge sa sucette dans un pot de sorbet. Steph a deux petits amis et bien qu’ils aient un « gentleman’s agreement », elle a des problèmes avec les deux. Numéro 1 a 43 ans. Il la tient « en laisse ». C’est lui qui a payé sa cure à Hope. Elle l'aime, mais elle aime aussi son autre petit ami. Numéro 1 a encouragé Steph à prendre un deuxième petit ami parce qu'il ne voulait pas qu’elle soit seule le jour de son anniversaire ou de Noël, c’est-à-dire quand il est avec sa femme. Puis il s’est rendu compte que Steph aime peut-être un peu trop Numéro 2.

« Consommer, c’est ma façon de gérer la culpabilité »

Numéro 2 a 26 ans, la différence d’âge est moins grande, mais Steph ne peut pas être avec lui exclusivement car il n’est pas riche comme Numéro 1. Comment pourrait-elle subvenir à ses besoins sinon ? Si elle quitte Numéro 1, elle n’aura aucun soutien financier et devra retravailler comme escort. Et se remettre à la méthamphétamine. « Je ne peux pas voir les clients sans être défoncée », dit-elle.

Rose est une directrice créative britannique de 43 ans. Elle est accro à la cocaïne, aux benzodiazépines et à la weed. Elle porte un bikini sans bretelle et danse les mains en l'air, comme si elle était à Ibiza, où elle doit justement aller juste après sa cure de désintoxication.

Rose a trois enfants. Elle a snifé de la cocaïne pendant ses trois grossesses. Lorsqu'elle a appris qu'elle était enceinte de son premier enfant depuis quatre mois, son mari a continué à prendre de la coke devant elle, tout comme ses amis. Elle a donc continué à en consommer aussi. Personne ne l'en a dissuadée.

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Pendant des mois, elle a eu peur que quelque chose n’aille pas avec son bébé. Elle avait subi un avortement à l’âge de 18 ans, ce qui lui a provoqué un placenta praevia, une maladie potentiellement grave [le placenta ne s’insère pas correctement dans la cavité utérine, ndlr]. « Il était hors de question que j'abandonne l'enfant, dit Rose. Je le voulais. »

Son premier bébé étant en bonne santé, ça lui a donné la confiance nécessaire pour consommer davantage de cocaïne, ce qu'elle a fait avant de retomber enceinte. « Lorsque j'ai eu mon deuxième enfant, j'ai trouvé un gramme dans mon sac, alors que j'étais à la maternité de l'hôpital, explique-elle. Une heure après sa naissance, je me suis dit "Et puis merde, j’ai vraiment envie de cette trace". Alors, j'en ai snifé une pendant que j'allaitais. L’enfant devait avoir cinq heures et avait déjà de la coke dans son système. Pas étonnant qu'il soit fou maintenant. » « C’est malsain, poursuit-elle. C’est putain de malsain. Consommer, c’est ma façon de gérer la culpabilité. »

Je décide de faire une sortie dans un endroit appelé Hell Garden. Je ne sais pas ce que c'est, mais je m'inscris parce que j'aime le nom. Il s’avère que c’est à la fois un monastère et un parc d’attractions. Il y a des statues construites par des moines qui représentent les visions bouddhistes de l’enfer. Il y a un personnage moitié homme, moitié crustacé. Le panneau indique : « Ceux qui se livrent à la drogue et aux substances intoxicantes sont punis en enfer. On les appelle les crustacés ». Aucun de nous ne comprend le rapport entre les crustacés et la toxicomanie.

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D'autres sont plus spécifiques. « La peine encourue pour avoir tué un bébé dans l’ovule » est représentée par deux hommes de chaque côté d'une femme aux seins nus. Les hommes pointent un grand tire-bouchon au centre de son ventre. Une autre scène montre un homme qui pousse un grand pieux noir dans le vagin d’une femme allongée, du sang gicle sur sa joue et ses cheveux noirs : « La peine encourue pour l’injection, l’avortement, le contrôle des naissances ».

Hell Garden nous permet de discuter. Je suis sur le point de partir quand un homme de 23 ans, blanc et toxicomane, commence à me dire que seules les femmes de moins de 18 ans devraient être autorisées à avorter.

Gardez-moi une place en Enfer.

Hannah est sur Instagram . Lors de la rédaction de cet article, elle séjournait au centre Hope Rehab, en Thaïlande.

Vous pouvez lire les deux premiers épisodes de la série ici.

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