Le Jour où les soldats de Guantánamo ont découvert « Pokémon GO »
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Le Jour où les soldats de Guantánamo ont découvert « Pokémon GO »

Comment l'arrivée de la 4G a chamboulé la vie d'un personnel auparavant habitué aux jeux de société.

Cet article a été initialement publié sur Waypoint.

Au cours de l'été 2016, j'étais obnubilée par le fait de finaliser ma thèse portant sur la librairie/vidéothèque accessible aux détenus de la prison de Guantánamo. Je n'avais qu'une hâte : faire de nouveau partie de la société, de celle qui accueille des gens susceptibles de s'amuser – tandis que je contentais de m'arracher les cheveux sur des notes de bas de page. À peu près à la même époque, la vague Pokémon GO a déferlé – comme on dit dans les médias – sur l'ensemble du monde, et notamment Boston, ma ville d'adoption. Malgré cela, j'ai tenu à rester sérieuse et me suis emparée de cette thématique en accord avec mes recherches.

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J'ai tapé sur Google plusieurs entrées, toutes liées aux termes « Pokémon GO » et « Guantánamo ». J'ai rapidement découvert une carte suggérant que deux Mewtwo passaient leur temps à se balader autour de la base navale, et je suis tombée sur un thread Reddit affirmant que le jeu n'était pas disponible dans les bases militaires américaines (aujourd'hui, je réalise que de telles recherches étaient ma définition du fun à l'époque).

Près d'un an après ces recherches passionnantes, je me retrouve à Guantánamo, à la table de vrais joueurs. Là, tout un tas d'employés ou de soldats de l'US Navy me parlent de leur amour d'un jeu de société nommé Codenames. Très vite, j'oriente la discussion vers Pokémon GO, et sa possible présence dans l'enceinte hyper-sécurisée. J'ai devant moi le panel de consommateurs idéal pour répondre à mes interrogations.

Maegann Foster, l'une des quatre personnes chargées de m'escorter, bosse au service des relations publiques de la base navale. Elle m'explique que les unités en charge de la surveillance de la baie de Guantánamo ont, pendant des mois, régulièrement trouvé des Pokémon dans les eaux entourant le site, durant des patrouilles sur la mer des Caraïbes. « Lorsqu'ils partaient à la recherche de types violents, ils ne trouvaient que des Pokémon », se souvient-elle en riant.

L'une des autres personnes présentes autour de la table, le deuxième classe Zachary Anderson, en charge des communications à l'intérieur du site de Guantánamo, intervient alors. « Je me souviens que ces types passaient leur temps vissés sur leur téléphone à chercher des Pokémon, sans se soucier d'où ils allaient. J'étais obligé de leur gueuler dessus pour qu'ils arrêtent. »

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L'arrivée d'un service Internet et téléphonique de qualité a complètement transformé la vie à Guantánamo.

Avant de s'appesantir longuement sur les règles de Codenames, Foster m'en dit plus sur son expérience des jeux. « Je suis une débutante, même si je connais tout au sujet du Monopoly, parce que mon père était un immense fan. Après, mon jeu de société préféré reste Hit the Beach, un jeu des années 1960 revenant sur la Seconde Guerre mondiale. Avec du recul, ce jeu me fait beaucoup rire, vu qu'il véhiculait tout un tas de clichés au sujet des Japonais. »

Peu à peu, la discussion s'oriente sur leur amour des jeux de société guerriers, de ceux qui, comme Risk, prennent des heures à se finir. Là, je leur demande s'ils connaissent l'éditeur de jeux GMT Games, à l'origine de A Distant Plain et Virgin Queen. Un ange passe et l'on m'explique gentiment que par ici, GMT signifie « General Military Training » – soit quelque chose que ces militaires n'apprécient pas trop.

Tout cela me rappelle que je ne suis absolument pas au fait de l'ensemble des réalités du monde militaire américain, même si cette rencontre me permet de mieux comprendre ce qu'il en est du quotidien de ces soldats. Même si je suis suivie de près par quatre militaires, l'ambiance est étonnamment détendue. George Parker, un contractuel qui ne fait pas partie de l'armée mais bosse tout de même dans l'enceinte de la base, prend la parole. « Je suis arrivé ici il y a un an, en août dernier. Disons qu'il y avait Internet, mais pas vraiment. Il était impossible de faire quoi que ce soit jusqu'au mois de novembre, et j'ai donc passé pas mal de temps à jouer à des jeux de société. » Il marque une pause, et poursuit, presque avec nostalgie : « On passait vraiment beaucoup plus de temps à être actifs à cette époque. Aujourd'hui, les fournisseurs d'accès permettent à tout un chacun de rester chez lui le samedi soir pour mater la télévision plutôt que de sortir. C'est comme ça. »

Plus tard dans la semaine, un officier m'a confié que l'un de ses amis gardait son téléphone éteint pendant la nuit parce que des Racaillou n'arrêtaient pas de traîner dans sa chambre.

L'arrivée d'un service Internet et téléphonique de qualité a complètement transformé la vie à Guantánamo, en connectant le personnel au continent américain [la base navale de Guantánamo est située sur l'île de Cuba, ndlr]. D'un seul coup, les troupes ont eu accès à de nombreuses ressources, notamment celles critiquant fortement les activités de l'armée américaine – et son comportement vis-à-vis des prisonniers du camp de Guantánamo. Cela a également permis au personnel de communiquer avec d'autres soldats américains un peu partout dans le monde.

Du jour au lendemain, des soldats de la Navy ont échangé avec les troupes basées à Bahreïn, ou sur l'île de Guam. Si les soldats n'ont toujours pas le droit de ramener leurs iPhone dans les lieux de détention, ils peuvent désormais se détendre en échangeant au sujet de leur vie quotidienne avec des soldats, ou leur famille. Et les militaires ont désormais la possibilité de s'adonner à la chasse aux Pokémon, comme n'importe quel Américain « normal », alors que leur job ne l'est en rien.