Grafton9 : plongée dans les archives délirantes du cyberpunk italien
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Grafton9 : plongée dans les archives délirantes du cyberpunk italien

Dans les années 90, les Italiens ont eu une poussée cyberpunk certes tardive, mais de toute beauté.

Les éditeurs de Grafton9, des archives numériques consacrées aux fanzines sur l'activisme, l'autogestion et la culture underground italiens, ont réalisé une petite expérience : donner une seconde vie aux publications des centres sociaux italiens des années 90. D'ordinaire, ces documents sont introuvables : ils ne sont plus édités, et en-dehors des marchés aux puces et autres brocantes, ils sont jalousement gardés par les bibliothèques et les particuliers qui ont eu le bonheur de se les procurer durant cette période.

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Le succès de cette expérience dépendra bien sûr de la rareté de ces zines fabuleux au graphisme outrancier. Qui connaît à fond le cyberpunk italien, en-dehors des Italiens eux-mêmes et d'une poignée d'irréductibles ultra-nerds ? Bientôt vous, si vous prenez la peine de fouiner dans les merveilles de Grafton9 parmi Ufology Radical, Fikafutura, MicrosMegma et les autres.

Le projet est à l'initiative d'un groupe d'activistes de Bologne, qui se sont employés à numériser eux-mêmes ces magazines, page après page, au nom de la collectivisation des trésors culturels, mais aussi parce qu'ils estiment ces zines ont une esthétique sans nulle autre pareille. Ils espèrent également contribuer à la survie de l'underground bolonais. On leur a posé quelques questions.

Motherboard : Pourquoi "Grafton9" ?

Griffo : Le nom grafton9 provient d'un laboratoire d'édition de Bologne qui a été d'une importance vitale pour l'underground bolonais jusqu'à 2003 (le site est toujours en ligne, ici). La plupart des documents dont nous disposons aujourd'hui, nous les avons achetés là-bas. Le labo est situé à proximité du centre social Level 57, une référence pour la publication indépendante à Bologne et au niveau national.

Êtes-vous officiellement un collectif ou une association ? Avez-vous un nom ?

Nous sommes un groupe de potes qui a participé activement à ce mouvement, l'a vécu à fond. Pas besoin d'une autre étiquette. À l'époque, nous avons édité et diffusé nous-mêmes certaines parutions de Level 57. Plus tard, on s'est aperçus qu'elles n'avaient jamais quitté le stade de la clandestinité, qu'elles étaient quasiment inconnues. Les nouvelles générations ont perdu une partie de cette histoire parce que le contenu n'avait jamais été publié sur le Web. Notre objectif principal était de publier nos collections privées afin qu'elles soient lisibles gratuitement par quiconque, sans besoin d'une technologie particulière : un navigateur suffit pour parcourir les scans. On a choisi d'héberger tout ça sur Internet Archive, pour le projet continue de vivre lorsque nous ne bosserons plus dessus. Si le site grafton9.net devait fermer un jour, tous les textes resteront disponibles et téléchargeables.

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Sur le site, vous précisez que vous n'êtes que des archivistes amateurs. Pourquoi ?

Dans le langage courant, le mot archive est très large. Les archivistes pro disposent de techniques et d'outils complexes que nous ne maîtrisons pas, et les archives au sens strict ne désignent pas seulement des endroits où l'on a accumulé des documents : elles supposent l'existence d'un espace physique, d'un collectif de personnes, d'une vision politique, de règles de sélection et de catalogage définies, et d'une certaine pérennité économique. Grafton9 se rapproche plutôt du concept de kiosque à journaux ; par choix, il n'existe aucun système de recherche sur notre site, seulement une mosaïque de couvertures d'ouvrages et de magazines sur lesquelles on peut cliquer pour consulter leur contenu. L'idée est d'appâter les gens qui aiment parcourir des revues inconnues et perdre du temps en parcourant leurs pages.

Sur quels critères avez-vous sélectionné les magazines archivés ?

La rareté du document, la facilité de la numérisation et l'intérêt que suscite sa lecture. Les bulletins d'information d'ECN Milan sont les mieux conservés de tous et illustrent des contenus très différents, englobant les principaux thèmes des mouvements alternatifs bolonais : l'anonymat, la cryptographie, l'antiprohibitionnisme, l'antimilitarisme, le rejet du travail, etc. Parmi les collections les plus spécifiques, on trouve la collection Luther Blisset, l'organe d'expression d'un mouvement proche du situationnisme et de Wu Ming. Aujourd'hui, c'est la collection la plus recherchée.

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Il faut également citer la collection Decoder, un magazine milanais publié en 12 numéros, qui était une sorte de journal officiel du cyberpunk italien. Il a été publié par les éditions Shake, l'éditeur qui a fait connaître les grands romans cyberpunk en Italie. C'est le fanzine le plus directement lié aux thèmes numériques, à la musique électronique, à la rave, et aux contre-cultures en général. C'est le plus demandé par les étudiants en thèse et les chercheurs. Ensuite, il existe une collection variée de livres et de magazines plus génériques. Nous essayons de numériser les documents les plus rares, les plus surprenants et les plus influents. Nous prenons également en compte l'aspect technique : nous évitons d'avoir recours à des technologies propriétaires.

Avez-vous sélectionné les archives sur la base d'une périodisation stricte ?

Non, pas vraiment. Certains textes remontent à la fin des années 80, mais la plupart ont été publiés au début des années 90, jusqu'au milieu des années 2000. Ce type de contenu était le premier à être entièrement produit par ordinateur. À l'époque, les mouvements sociaux italiens ne connaissaient que les vieilles technologies d'impression (du cyclostyle au copieur, un instrument à part entière de la culture punk). Avec les ordinateurs, tout le processus, de l'écriture à la pagination, est devenu numérique. Aujourd'hui, paradoxalement, nous sommes avons apprivoisés le numérique qui nous permet d'être distribués en papier en retour.

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Par quels circuits avez-vous été distribués au cours de toutes ces années ?

Des fanzines, principalement. On les imprimait en A4, on les pliait et on les distribuait au public. On parle d'une période où l'accès web n'était pas très répandu en Italie. On avait déjà le BBS, quand même. Ici, les centres sociaux ont été parmi les premiers à adopter ces technologies, ils en avaient compris la portée révolutionnaire. Le réseau a été utilisé comme support de distribution, le contenu a été diffusé, puis imprimé et distribué localement.

L'idée selon laquelle Internet était une arme à double tranchant était-elle déjà répandue ? Vous exploitiez son potentiel révolutionnaire, mais vous aviez également conscience de son potentiel de contrôle. Comment concilier cela ?

Nous avons été très clairs là-dessus. En lisant le contenu des bulletins, on comprend que, à nos yeux, Internet n'a jamais rien eu d'un lieu idyllique. Le propre de notre travail était d'évoquer les thèmes de la surveillance, de la vie privée, de la liberté d'expression et de l'anonymat de manière nouvelle. Le mouvement littéraire cyberpunk est rapidement devenu un mouvement de sensibilisation politique aux problèmes liés aux nouvelles technologies, et a illustré la nécessité de développer des outils propres ou d'utiliser le chiffrement. À cette période sont nées des expériences telles que ECN et autistici/inventati, et autres réalités collectives qui font partie de la galaxie italienne du piratage liée à l'activisme social.

Pensez-vous que votre message est passé ?

À l'époque, nous n'avions pas compris que nous nous adressions à un public qui n'était pas encore passionné par l'utilisation des technologies. Nous voulions acquérir les connaissances nécessaires pour développer nos propres outils sans avoir à compter sur les multinationales de logiciels. Les fanzines étaient une façon de répandre des connaissances techniques pour prévenir certains risques.

Pensez-vous que les mouvements de ce genre ont connu un effondrement tragique aujourd'hui ?

Les centres sociaux ne sont pas des ghettos de la société, ils changent avec elle. Il est normal que certaines choses aient changé. Le charme des centres sociaux italiens des années 90 a été perdu, c'est certain, et il n'y a pas eu de véritable remplacement générationnel. La créativité de cette époque se reflète dans ces documents : expérimentation sur le langage, les images et la composante visuelle (même les affiches militantes collées dans la rue étaient de pures œuvres d'art). Aujourd'hui, le numérique nous a habitués à des outils plus faciles à utiliser, mais, dans un certain sens, il a aplani la qualité et l'originalité des publications alternatives.