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Television

L'obsession des séries pour le suicide peut avoir des conséquences – dans la vraie vie

Plusieurs séries télévisées dont le suicide est un thème central – comme « 13 Reasons Why » – pourraient influencer les personnes à risque.
Image d'illustration. (Photo via Flickr/Mateus Lucena)

Le suicide n'a jamais vraiment été un sujet tabou à la télévision. Le premier épisode de la série « Urgences » (diffusé pour la première fois en 1994) se termine avec l'infirmière Hathaway sur un brancard après une tentative de suicide ; dans un épisode des « Sopranos » diffusé en 2007, AJ, le fils de Tony tente de se noyer dans la piscine familiale.

Cependant, un groupe de séries télé est en train de modifier notre perception du suicide à l'écran : elles ne parlent pas seulement du sujet, mais l'étudient en profondeur. Il y a « The Leftovers », et son protagoniste qui tente de se suicider deux fois ainsi que son ex-femme qui envisage de se noyer volontairement pendant une sortie de plongée sous-marine. Il y a aussi « Career Suicide », la série du comédien Chris Gethard diffusée sur HBO. Cette série est presque entièrement consacrée à observer (d'une manière qui vous fait en même temps rire et pleurer) la lutte continue entre Gethard et ses propres pensées suicidaires. Mais l'exemple peut-être le plus pertinent reste la série « 13 Reasons Why » diffusée sur Netflix et qui décrit de manière crue et détaillée le suicide de la narratrice.

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Ces séries ont déclenché des conversations sur le suicide dans de nombreux milieux : entre spécialistes de la santé mentale, mais aussi dans les écoles et les cercles familiaux. « 13 Reasons Why » en particulier, a influencé un public adolescent (son audience-cible).

Mais se contenter de lancer des conversations sur le suicide n'est plus suffisant pour justifier des représentations problématiques qui peuvent vraiment influencer les personnes à risque.

« Nous en parlons plus souvent, mais nous n'en parlons certainement pas mieux, » dit Dese'Rae L. Stage, une rescapée du suicide qui a créé « Live Through This », une initiative visant à raconter les histoires de survivants selon leurs propres termes. « Je me dis parfois que notre obsession pour le suicide, pas seulement dans l'art, mais aussi dans nos vies, vient de notre peur de la mort. »

Alors que de plus en plus de séries explorent le suicide en profondeur, les Américains sont aussi de plus en plus touchés, d'une manière ou d'une autre, par le suicide. Près de 43 000 personnes ont mis fin à leurs jours aux États-Unis en 2014. De plus, selon le Centers for Disease Control and Prevention, environ 1 million de personnes ont tenté de se suicider. Ces chiffres indiquent une augmentation de 24 pour cent depuis 1999, année à partir de laquelle le taux de suicide en Amérique avait commencé à augmenter, alors qu'il était en baisse depuis des décennies.

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Malgré ces tendances, le thème du suicide inspire une gêne si profonde chez le public que les rescapés ou ceux qui ont perdu un proche comprennent rapidement qu'ils ont mieux fait de garder leurs pensées pour eux.

Stage remarque aussi une présence grandissante des thèmes liés au suicide dans la culture populaire. « Je dirais que nous sommes obsédés par le suicide, » dit-elle en mentionnant des séries télé et films, mais aussi des livres et pièces de théâtre, comme pas exemple « Dear Evan Hansen ». Ce livre, adapté en comédie musicale, raconte l'histoire d'un adolescent suicidaire qui s'implique dans le destin tragique d'une autre famille après le suicide de leur fils.

Chaque année, de nouveaux exemples surgissent, mais ils n'ont pas tous un effet positif sur le milieu de la santé mentale. Bien que leur popularité sensibilise et déclenche des conversations importantes sur la prévention du suicide, ces séries peuvent aussi renforcer les stéréotypes sur les victimes et leur entourage. En effet, Stage peine à citer une série télé n'ayant jamais mal représenté le suicide.

Dans « 13 Reasons Why » par exemple, une adolescente transforme son suicide en une chasse au trésor posthume qui vise à rejeter la faute sur ses camarades de classe, dont les « crimes » incluent être « un mauvais ami » et commettre un viol. « Essentiellement, elle fait chanter les gens afin qu'ils lisent la lettre qu'elle a laissée pour eux, » explique Stage, incrédule. « Oui, j'imagine que nous sommes des connards/cons lorsqu'on est suicidaire, mais on ne peut pas réduire l'ensemble d'une vie à ses derniers moments. »

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Marie Dyak, la présidente et PDG de l'Entertainment Industry Council, et d'autres critiques, s'opposent aux portraits graphiques et normatifs du suicide (tel que celui proposé dans « 13 Reasons Why »), mais aussi à la manière dont la série propage l'idée (répandue chez les adolescents suicidaires) d'utiliser le suicide pour se venger.

« Cette idée peut être, en un sens, séduisante, presque inspirante. Cela semble être la conclusion qu'on peut tirer, » dit Dyak « Je trouve ça très perturbant. » Son organisation collabore avec des groupes comme la National Action Alliance for Suicide Prevention, afin d'éduquer l'industrie du divertissement sur les représentations du suicide – afin d'améliorer la situation plutôt que l'aggraver.

Pour Lisa Horowitz, une chercheuse et pédopsychiatre au National Institute of Mental Health, la série a aussi fait de dégâts en ne montrant que des adultes inutiles. « Dans la série, tous les adultes laissent tomber Hannah [la protagoniste], » dit-elle. « Cela renforce chez le jeune un sens de l'isolement et cette idée typique selon laquelle les adultes sont inutiles. »

Alors que doit-on faire, particulièrement lorsqu'une série a déjà diffusé son scénario inacceptable ?

Les experts en la matière suggèrent que l'éducation est la première étape dans la création d'une représentation authentique du suicide.

« Je n'ai aucun doute concernant les intentions des scénaristes : elles sont clairement bonnes et pures. Mais ils doivent s'éduquer, » dit Stage concernant « 13 Reasons Why ». « Il faut créer un personnage en trois dimensions afin de décrire ce genre de traumatisme. »

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On a tendance à critiquer les personnages suicidaires problématiques. Cependant, Dyak se concentre sur le renforcement positif. La partie cruciale de cette stratégie est d'inciter les « showrunners » à concevoir leurs séries comme des dialogues plutôt que des monologues. Construire un monde et des personnages qui dépassent leur acte ultime est nécessaire si l'on veut communiquer au public un message qui peut avoir un impact positif.

« L'important n'est pas seulement ce qui est dit, mais aussi ce qui est entendu, » ajoute Dyak. « Les représentations du suicide sont similaires aux maladies mentales. Nous ne voulons pas dire qu'une personne est bipolaire, mais ceci est juste une pièce du puzzle. L'ensemble contient bien plus qu'un diagnostic. Cette personne est un être à part entière. »

Il pourrait être utile de définir des directives standards, comme celles que les journalistes sont encouragés à suivre lorsqu'ils parlent du suicide. Ces règles pourraient aider les industries créatives à représenter les personnages suicidaires d'une manière plus responsable.

Les rescapés de suicides et les défenseurs des malades atteints de troubles mentaux espèrent aujourd'hui qu'une amélioration des représentations pourra les aider à parler de leurs souffrances avec leurs familles et amis, et même avec les professionnels de santé mentale. Les séries ne disent pas, elles montrent ; les personnages dans la plupart de ces séries ne se contentent pas d'offrir des réponses clichées à la question « Pourquoi as-tu fait ça ? » Elles permettent aussi aux spectateurs de suivre les personnages sur leurs chemins ténébreux.

Ces changements rendent les récits plus riches et le public plus empathique. Même s'il n'a jamais ressenti le besoin de mettre fin à ses jours, le spectateur peut, en observant l'agonie psychique d'un vétéran ou bien la destruction progressive d'un homme victime d'hallucinations, être mieux équipé pour aider quelqu'un dans le besoin.


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