Cet article est apparu originellement sur le site de Pierre Belmont, Nom de Zeus.Depuis sa création dans des temps pas si reculés, les contours d'Internet ont été redessinés. On est passé d'un monde ultra libertaire et naïf où l'on disait surfer et où l'on construisait sur les forums cette société horizontale tant désirée à celui du culte de l'auto-performance et de la course au like. Quant à celui qui se profile, il n'y est question que de surveillance, de Big Data et d'assujettissement aux algorithmes. Alors quoi, c'est tout ? Internet, c'était mieux avant ? Et ça sera pire après ? Pas si simple.
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« À chaque époque, ses défis et ses dangers, rappelle Tristan Nitot . Aujourd'hui, le danger c'est clairement la centralisation d'internet dans les mains d'énormes entreprises, la fin de la vie privée et l'utilisation des données personnelles. Et ça va être dur d'y faire face. » Tristan Nitot sait de quoi il parle. Hacktiviste de longue date, il fait partie de ceux qui ont toujours tenté de faire d'Internet un espace libre, de ses débuts à Netscape puis Mozilla, jusqu'à Cozy Cloud où il officie désormais. Dans son ouvrage Surveillance ://, il nous explique comment nous en sommes arrivés à cette situation. Et ce que nous devrons faire pour en sortir.Mais avant d'envisager une réponse à cette menace, il faut revenir un peu en arrière. Parce que « ce n'est pas la première fois qu'internet est menacé comme ça », estime celui qui se décrit comme « un vieux natif du numérique », qui a « commencé à bidouiller les micro-ordinateurs dans les années 80 » et a vu apparaître les premiers réseaux. « Ce n'était pas encore internet, mais Transpac, Minitel, etc. On a trouvé ça absolument génial ! Connecter des ordinateurs, ça voulait dire connecter des gens, on a immédiatement pris la mesure du caractère révolutionnaire de ce qui allait devenir internet. »Alors, dans les années 90, apparaît Netscape. Le navigateur web « grand public » était né. « Mais dans le même temps, il y avait Microsoft. Le mastodonte Microsoft. Trèèèès confortablement assis sur son double monopole : Windows (qui était alors le composant le plus cher, et obligatoire, de n'importe quel PC) et la suite Office. Et très vite, Microsoft prend conscience qu'Internet représente une menace pour son business model. Alors, Microsoft décrète qu'il faut tuer Internet. Et puisqu'en quelques années, tuer Internet n'était déjà plus possible en raison de sa popularité, alors ils ont tué Netscape. "Let's cut off the oxygen supply of Netscape" a-t-on annoncé du côté de Microsoft. Avec la création d'Internet Explorer et son intégration d'office à Windows, le monopole devient complet et Microsoft devient leader des navigateurs web. »
Le futur d'Internet a déjà été menacé
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Le futur numérique ne saurait être qu'open source et libre
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Data is law
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Évidemment, il y a un problème de taille : nous, individus, fonçons tête baissée dans la gueule du loup. Et le fait est que le numérique est devenu omniprésent, voire indispensable. « On se laisse faire parce que c'est très pratique. Et on se précipite pour acheter, très cher, un smartphone Androïd, avec Gmail, Gmap, Calendar, mais c'est une prison douce. » Nous avons du mal à nous sentir concernés, alors que cela affecte notre quotidien. « Je pense qu'en réalité, les gens qui disent "mais moi je m'en fous, je n'ai rien à cacher", c'est une certaine forme de faiblesse ou d'abandon, parce qu'en réalité, ce qu'ils veulent dire c'est "c'est trop compliqué pour moi, j'ai décroché". Il faut reconnecter les gens avec des valeurs numériques libératrices. »« La centralisation de nos données rend économiquement possible la surveillance de masse »
Le meilleur des mondes orwelliens
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D'aucuns estiment qu'Huxley avait bien mieux décrit notre monde connecté d'aujourd'hui. _« Malheureusement, je crois que _1984_ et le Meilleur des mondes sont parfaitement compatibles. Les agences nous surveillent car les GAFAM sont leurs idiots utiles, et nous, consommateurs, sommes les idiots utiles des GAFAM. Et se savoir surveillés, ça pousse à la conformité et ça éradique toute volonté de dissidence_. _»_ Big Brother est donc devenu tellement sexy que nous ne pouvons plus nous passer de lui.« Évidemment, si on laisse faire, si on laisse les GAFAM garder le contrôle et que leurs algorithmes sont opaques, on deviendra les jouets de l'algorithme. Et là, ça ne sera plus Huxley mais Kafka. On deviendra des individus Apple, Amazon, Google, etc. L'enfer, plus aucune vie privée ni libre arbitre… »Et ce futur dystopique, contre lequel se bat Tristan Nitot, nous avons déjà un pied dedans. « Si vous utilisez gmail, gmap, calendar, ça y est, c'est foutu. Google sait ce que vous faites, avec qui, quand, comment vous vous déplacez, etc. Pareil pour Facebook, vous donnez spontanément vos photos, vos vidéos, tout. Vous avez installé l'appli Facebook ? Vous vous êtes fait baiser. Vous avez donné votre vie à Google et Facebook. »« Si on fait un calcul rapide, on constate que Facebook fournit un service qui coûte environ 5 euros par an par individu. En gros, vous avez donné toutes vos données personnelles, toute votre vie, en échange de 5 euros par an ». Ce cercle vicieux de la donnée (vous donnez votre vie aux GAFAM, qui la donnent aux services de renseignements), créé un lien direct entre votre smartphone et une société totalitaire. Société totalitaire que l'on embrasse avec plaisir, ce que Philippe Vion-Dury nomme la nouvelle servitude volontaire.
« Vous avez installé l'appli Facebook ? Vous vous êtes fait baiser »
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Mais le clin d'œil à la servitude volontaire de La Boétie est provocateur, car nous ne décidons pas pleinement. Tristan Nitot rappelle que « Facebook a fait des expériences sur des gens ! Sans rien dire à personne, ils ont modifié les algorithmes de fils d'actualités en créant une version « positive » et une version « négative » pour analyser les réactions des gens. Et ils ont trouvé que quand les gens ne recevaient que des mauvaises nouvelles, alors ils cliquaient sur l'icône en colère etc. Et ils ont fait ça sur plus de 700 000 gugusses ! Et ils s'en sont vantés en plus ! Ils ont sorti un papier scientifique pour expliquer tout ça, mais c'est délirant ! Vous faites des expériences sur les gens, les gars ! »Mais cela pourrait aller beaucoup plus loin. Alors que l'on a beaucoup parlé de "bulles de filtres" lors de l'élection de Donald Trump, l'hacktiviste rappelle l'expérience "je vote". « Pendant les élections, Facebook a mis en place un bouton "Je vote". En cliquant dessus, ça incite vos amis à voter également, ce qui a été prouvé statistiquement. Et comme évidemment Facebook sait pour qui vous votez, qu'est-ce qui empêche de ne montrer ce bouton qu'aux utilisateurs qui votent pour le parti que vous soutenez et de montrer aux autres des vidéos de chatons ? Rien. Puisque leur algorithme est privé et opaque. C'est pour ça qu'il faut reprendre le contrôle sur les algorithmes ».
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Et la situation pourrait bien s'envenimer. Car « Google avait à l'origine des prétentions éthiques. Leur slogan "Don't be evil" disait qu'ils pouvaient faire du business en ayant des scrupules. Mais ils se font griller par Facebook depuis quelque temps. Du coup, Google et Facebook font la course vers le pire. » Par ailleurs, le nouveau slogan d'Alphabet, la maison mère de Google, Do the right thing, a remplacé Don't be evil.Devant notre incapacité à nous détacher de nos nouveaux maîtres numériques et l'absence de contrôle des algorithmes, difficile de croire que nous pourrons faire quelque chose. Mais Tristan Nitot, héritier des pionniers d'Internet se refuse à la fatalité et garde en mémoire l'expérience Mozilla. Pour son livre Surveillance ://, il a choisi comme sous-titre "Les libertés au défi du numérique : comprendre et agir".Comprendre d'abord. « Il faudra nous éduquer au numérique. Il faut admettre que 99,9% de la population est dépassée et donc faire preuve de beaucoup de pédagogie. Il y a des outils, des pratiques, que l'on peut changer. Pour que les gens réalisent qu'utiliser Qwant plutôt que Google, qu'acheter un smartphone Apple plutôt qu'Android, ça a des conséquences sur notre vie privée. On est des moutons, ok, mais si vous voulez un gardien, choisirez-vous un loup ou un berger ? Apple, ils vont vous tondre, c'est sûr. Ils vendent leurs produits à des prix exorbitants. Mais le loup, il n'y a pas de doute sur ses intentions ».
Comprendre et agir
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« Quand vous achetez un smartphone, vous choisissez qui vous gouverne. Si le maître, c'est Google, il faut avoir à l'esprit que 100% de ses revenus viennent de vos données personnelles. C'est un gigantesque cheval de Troie. Très joli, très sexy, très pratique. Mais le cheval de Troie, il n'est pas là pour décorer ».
Il existe des alternatives, comme Firefox pour Chrome. Et il est possible d'agir. Comme le suggèrent des initiatives comme Framasoft, dégoogler Internet est faisable.À écouter sur France Culture : "Surveillance sur le web : comment retrouver le pouvoir d'agir"Mais il faut avouer que ces géants ont su se rendre indispensables à nos yeux. « Justement, il faut réussir à séduire l'utilisateur pour les battre à leur propre jeu. Il faut être plus sexy que Google. C'est un défi énorme, mais pas infaisable. Il faut sortir de la résignation. Bien sûr, c'est difficile d'être plus sexy qu'un produit pratique et gratuit. C'est un des nœuds du problème. Il faudra probablement lutter contre la gratuité ». Des psychologues comme Dan Ariely ont montré l'impact du mot « gratuit » sur notre comportement. Nous nous ruons sans réfléchir sur un produit gratuit, même si un produit de qualité et très peu cher se trouve devant nous. Et Tristan Nitot le rappelle, cette gratuité a parfois un coût. Et le montant de la facture ne cesse de grimper.Chez Cozy Cloud où il travaille désormais, Tristan Nitot essaye de promouvoir un modèle économique viable, respectueux des données personnelles. « Une solution peut résider dans le cloud personnel. Toutes VOS données sont stockées dessus et vous êtes le seul à pouvoir agir. C'est un peu un troisième ordinateur chiffré. Plus sécurisé et privé. Vous avez la main sur vos données dans votre coffre-fort numérique, que vous pouvez héberger n'importe où. Chez vous si vous êtes un bon technicien ou chez un hébergeur indépendant ». Pour en savoir plus sur les possibilités du cloud personnel, c'est par là.
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