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Culture

Comment Howard Hughes a aidé la CIA à tenter de voler un sous-marin nucléaire russe

À la poursuite du K-129 : retour sur l’une des opérations secrètes les plus étranges – et coûteuses – de l’Histoire.
À gauche : Howard Hughes en 1936. (Bettmann/Contributor/Getty Images) À droite : Dave Pasho et d’autres personnes œuvrant à la dissimulation du projet de la CIA, 1972. Photo publiée avec l’aimable autorisation de Dave Pasho.

Au début des années 1960, en pleine Guerre froide, les tensions entre l'URSS et les États-Unis sont à leur paroxysme. Si l'épisode le plus célèbre de cette période reste la crise des missiles de Cuba en 1962, les deux blocs frôlent plusieurs fois la catastrophe. Alors que des sous-marins nucléaires et des bombardiers patrouillent le monde entier, le sort de l'humanité peut basculer à cause d'une simple erreur humaine ou mécanique.

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Quelques années plus tard, c'est dans un climat de détente (relative), peu de temps avant la fin du mandat de Lyndon Johnson en 1968, qu'un sous-marin russe K-129 armé de trois missiles nucléaires explose et coule. Cet accident n'a rien à voir avec un complot visant à répandre la terreur au sein de la société américaine. Il s'agit simplement d'un hasard, résultat d'un merdier innommable qu'aucun des deux camps n'a intérêt à rendre public. Les Soviétiques ne veulent pas passer pour des incompétents et abandonnent très vite l'idée de retrouver le sous-marin. Lorsque les Américains ont vent de cette disparition (et de l'absence d'efforts déployés par le camp adverse pour récupérer le sous-marin), ils se mettent en tête de le retrouver pour des besoins de renseignements.

C'est à ce moment-là que le milliardaire Howard Hughes débarque.

À la demande du Pentagone, la CIA entame une mission de six ans, qui lui coûtera 800 millions de dollars et qui sera un retentissant échec, dans le seul et unique but de retrouver le sous-marin K-129. La CIA fait donc appel à Hughes – et à son supposé intérêt pour l'exploitation minière sous-marine – pour qu'il fasse office de couverture.

Dans son nouveau livre, The Taking of K-129: How the CIA Used Howard Hughes to Steal a Russian Sub in the Most Daring Covert Operation in History, qui sort le 5 septembre, l'auteur Josh Dean embarque les lecteurs dans un voyage fascinant. J'ai pu lui poser quelques questions sur cette mission, officiellement connue sous le nom de Projet Azorian.

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VICE : Quand avez-vous entendu parler du Projet Azorian pour la première fois et qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire un livre à ce sujet ?
Josh Dean : Ce n'est pas comme si j'avais personnellement découvert cette histoire – ça fait un moment qu'on en parle. C'est un secret pas si bien gardé du monde des renseignements, que les gens connaissent superficiellement. J'avais le sentiment qu'il y avait tellement de choses à propos de cette histoire qui n'avaient pas été racontées. Aujourd'hui, après avoir passé trois ans à étudier le sujet, il est toujours difficile pour moi de croire que la majeure partie de l'histoire est vraie.

Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans vos recherches après avoir eu accès à de nombreux documents officiels – nouveaux et anciens – et avoir relié les éléments entre eux ?
Je n'avais aucune idée de l'ampleur de cette mission, de son audace – voire de son côté ridicule. Je savais que la CIA avait essayé de voler un sous-marin qui était au fond de l'océan, et c'est tout. La complexité technique d'une telle entreprise est difficile à apprécier. Même aujourd'hui, les ingénieurs auraient du mal à gérer un tel projet. Au début des années 1970, la construction de nombreux bâtiments pour mener à bien cette mission a totalement redéfini ce qu'il était possible de faire sur les océans. Ça m'a pris un moment pour assimiler la complexité technique de ce projet – et ensuite, j'ai dû retranscrire cela sans ennuyer les lecteurs. C'est une histoire d'espionnage, évidemment, mais aussi de science, de technologie et d'ingénierie.

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À quel point était-il vraiment important pour le gouvernement américain de retrouver ce sous-marin ?
C'était une opportunité sans précédent. Énormément de personnes se demandent, aujourd'hui, pourquoi le gouvernement a dépensé autant d'argent. C'était compliqué et coûteux, certes, mais il faut avoir en tête qu'aux yeux des Américains, l'Apocalypse était une réelle possibilité. Si les États-Unis et l'Union soviétique étaient plus ou moins capables de se renseigner sur la présence de missiles dans d'autres pays via leurs services de renseignements, les sous-marins étaient le facteur X. On essayait constamment de traquer les sous-marins des deux camps.

Quand les Russes en ont perdu un – ce que personne ne pouvait croire – ces derniers se sont dit que personne n'était capable de récupérer la carcasse à cinq kilomètres de profondeur. Pourtant, le Pentagone a tenté le coup – c'était une opportunité unique d'étudier trois missiles balistiques et un sous-marin soviétiques.

La CIA, l'US Navy et le Pentagone ont estimé que l'opération avait une chance de réussite assez faible – autour de 10 %. Malgré ça, ils se sont lancés : en cas de réussite, les conséquences auraient pu être énormes – à la hauteur des enjeux.

Pouvez-vous m'expliquer en quoi Hughes était la couverture idéale ?
Après avoir résolu le problème d'ingénierie, immense, les Américains ont compris qu'il serait difficile de justifier la présence d'un énorme bâtiment militaire au milieu du Pacifique, à quelques encablures de l'endroit où un sous-marin soviétique avait coulé. Ils avaient donc besoin d'une couverture pour ne pas déclencher une guerre.

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Quelqu'un a alors eu l'idée d'utiliser l'activité minière sous-marine comme couverture. Elle commençait à peine à se développer dans le monde entier. Il était plausible que quelqu'un se lance dans l'exploration dans cette région du monde, mais la CIA ne pouvait pas s'adresser à n'importe quelle entreprise. En effet, s'il s'agissait d'une compagnie publique, les dirigeants auraient dû expliquer aux actionnaires ce qu'ils faisaient. Choisir Hughes était presque logique, vu son histoire de collaboration avec la CIA, et son côté « vieux magnat fou et excentrique ». Construire un bateau qui coûte très cher, aller dans le Pacifique et dépenser sans connaître la facture finale était invraisemblable – sauf pour Howard Hughes. Tout le monde était en mode : « Ah oui, il est complètement fou. »

L'opération a pourtant fini par être évoquée par certains journalistes dès les années 1970. Que s'est-il passé ?
En effet, le Projet Azorian a été évoqué dès 1975 à la radio et à la télévision. La réaction de la CIA a été fidèle à sa tradition : elle n'a jamais réagi, et s'est murée dans le silence. Le plus probable est que Kissinger et certains membres haut placés de la sécurité nationale se sont mis d'accord pour ne plus jamais parler de cette mission.

Cette tactique a superbement fonctionné. Les gens ont fini par croire qu'il s'agissait d'un simple mythe.

Y a-t-il un vrai héros dans cette histoire, malgré l'échec de la mission ?
Oui, les scientifiques et les ingénieurs de la CIA. Il y a toute une division de la CIA qui s'est développée via d'audacieux concepts d'ingénierie. En moins de 15 ans, cette division a construit le U-2 – l'avion espion capable d'atteindre la plus haute altitude, toujours en service aujourd'hui –, le SR-71 Blackbird – toujours l'avion le plus rapide –, le premier satellite espion, et, donc, le Glomar Explorer, le bateau utilisé pour se rendre sur la zone du sous-marin.

Cliquez ici pour en savoir plus sur le livre de Josh Dean.

Seth Ferranti est sur Twitter.