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Etats-Unis

Comment les femmes de prisonniers se servent d'Instagram pour tenir le coup

Sur Instagram, une communauté de femmes liées par l'épineuse décision de rester fidèles à leurs compagnons incarcérés se soutiennent.
Illustration de Lia Kantrowitz/VICE

Cet article a d'abord été publié sur VICE US.

« Je ne me lève généralement pas à 5 heures du matin les samedis, » peut-on lire sur ce meme bien connu des Internets. « Mais quand c'est le cas, c'est pour aller rendre visite à mon homme. »

Cette image est l'une des dizaines postées sur le compte Instagram @prisonwifelife (que l'on peut traduire par « La vie des femmes de prisonniers »). Si les messages sont parfois sérieux (« Quand il a raison je me range de son côté, quand il a tort je suis encore de son côté, » peut-on lire au-dessus des barreaux d'une prison), d'autres sont plus légers. « La tête que tu fais quand il te touche les seins pendant une visite, » lit-on au-dessus d'une image de Mr. Bean, ou encore « Ne faites pas attention au taulard, méfiez-vous de sa femme, » est inscrit au-dessus d'un dessin de Blanche-Neige brandissant un M16.

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Bienvenue dans le monde des femmes de prisonniers sur Instagram – une communauté de femmes liées par l'épineuse décision de rester fidèles à leurs compagnons incarcérés, qui échangent chaque jour pour passer le temps.

Danielle Marcias gère le compte « Juste une femme emprisonnée avec lui » (@wedotimetoo), l'un des comptes les plus populaires avec 4 115 followers et près de 2 000 posts. Elle a lancé le compte, dit-elle, parce que la vie d'une femme de prisonnier peut devenir monotone, car rythmée par les visites au parloir. Elle a décidé de passer le temps en inventant ses propres memes, qui lui permettent de partager son expérience.

Ce qui était au début un passe-temps, est devenu au fil du temps une responsabilité. Un petit groupe de fidèles attend avec impatience ses nouvelles blagues. Son compte est en privé, consciente de poster des contenus parfois sensibles. Elle s'assure ainsi que ses posts soient vus par d'autres femmes de prisonniers ou des personnes animées par des intentions louables. « La plupart des gens sont juste curieux, mais quand je reçois un commentaire malveillant, tous mes followers le défoncent, » rigole Marcias.

Les memes naissent d'un certain désespoir. La frustration des femmes de prisonniers est restreinte à une communauté spécifique, mais elles ont trouvé de l'empathie dans leur propre division de l'humour Internet. « Depuis quelque temps, pour partager ses expériences, les gens passent par les réseaux sociaux, notamment Instagram, » expliquait à VICE asha bandele, une militante qui se bat pour une réforme du système pénitentiaire et auteur de The Prisoner's Wife. (bandele écrit son nom sans majuscules). « La prison semble pousser à l'isolement, mais pour les êtres humains, la chose naturelle est d'être connectés. » Les groupes comme celui de Marcias aident les femmes à sentir qu'elles ne sont pas seules à vivre cette situation. Si les memes sont parfois légers, les messages postés peuvent être profonds et sérieux.

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« Je travaille dans le secteur médical, et tous mes collègues savent où est mon mari, ils savent combien de temps il doit encore tirer, et ils sont très sympathiques et compréhensifs. Mais ils ne savent pas ce que je vis, » explique Marcias. « Après un moment, vous commencez à penser différemment, et la communauté en ligne des femmes de prisonniers est une aide précieuse. »

Marcias n'a pas ouvert son compte pour faire face à la situation. Mais pour d'autres, comme Cassy Wike, les memes l'aident vraiment à tenir le coup. Wike est une femme de prisonnier depuis un long moment – depuis 2007. Cette situation n'est pas simple à gérer.

« Je n'avais pas de soutien, ni d'aide, à cause ce qu'on lui reproche, » dit-elle. « Je suis tombée amoureuse de l'homme qu'il est, pas de ses erreurs. Il est bien plus que ça. Je suis tout le temps seule. J'ai le droit de lui parler au téléphone 15 minutes quand il en a l'autorisation, et je peux lui rendre visite pendant 6 heures toutes les semaines. Le voir si peu est très difficile. »

Wike s'est retrouvée dans un groupe Facebook intitulé « Tough Prison Wives » (Femmes de prisonniers solides), qu'elle décrit comme sa « deuxième famille ». La photo de couverture du groupe est un talon aiguille fait de fil barbelé, accompagné d'une question : « Vous pensez pouvoir marcher dans nos chaussures ? ». Aujourd'hui, Wike est responsable de plusieurs sections régionales des Tough Prison Wifes, elle met donc en relation toutes les femmes qui ont besoin d'aide. Comme Marcias, elle poste de nombreux memes, mais elle prend aussi le temps de poster de courtes punchlines. « Je suis forte et fière. Vous n'êtes pas mieux que moi parce que votre mec porte une cravate et le mien des rayures, » écrivait-elle le 11 juillet. Quelques mois plus tôt, elle a posté une image floue, comme celles qui ont été sauvegardées et redimensionnées des millions de fois : « J'aime un homme en uniforme, cela ne me dérange pas que ce soit l'État qui lui donne. »

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« Vous ne pouvez pas comprendre notre mode de vie, si vous n'avez pas vécu cette situation, » dit Wike. « Être une femme de prisonnier n'est pas simple. Comme dans toutes les relations, il y aura des hauts et des bas. J'ai remis en question ma relation de nombreuses fois au cours des dix dernières années. Mais heureusement, nous sommes encore ensemble. J'aime cet homme de tout mon être. »

Ces groupes Instagram et Facebook servent la communauté des femmes de prisonniers, et sont tous gérés par des femmes qui vivent cette situation. Elles distillent leurs espoirs, leurs rêves, leurs rires, par le biais de memes. Le mari de Marcias sera dehors dans une quinzaine d'années. Elle compte continuer à poster des messages sur Instagram une fois qu'il sera auprès d'elle. Mais sera-t-elle encore « une femme de prisonnier » ?

« Sans doute, parce qu'il y a des filles que je suis et leurs maris rentrent à la maison, et j'aime voir leur histoire, » dit-elle. « J'aime voir cet espoir. Beaucoup de gens ont l'impression de me connaître parce que je poste beaucoup de choses, et ils veulent savoir ce qui se passe. Donc je le garderai en ligne pendant un an. »

Les posts de Marcias sont drôles, directs, et un peu brusques, mais elle raconte aussi une histoire d'amour. Avec chacun de ses posts, elle montre aux femmes qui la suivent qu'elles aussi peuvent y arriver.


Suivez Luke Winkie sur Twitter : @luke_winkie