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Buddy, le robot français qui veut révolutionner notre vie domestique

Une équipe de roboticiens français a créé Buddy, un compagnon robotique autonome pour la maison aussi utile que mignon. Avec l'idée d'entraîner le grand public dans la révolution robotique.
Image : Blue Frog Robotics.

« Hello, Buddy ? Hello, Buddy ? » Sur l'écran LCD, les deux grands yeux modélisés clignent, mais rien ne se passe. Buddy est sourd, ou Buddy fait la gueule, on ne sait pas trop. « Hello, Buddy ? », renchérit l'homme, sa grande silhouette pliée en deux pour s'adresser à la machine. Le ton est doux, de ceux qu'on utilise pour communiquer avec un enfant. La stratégie fonctionne. L'écran s'illumine, vire au jaune, la bouche pixellisée se fend d'un sourire chaleureux. Buddy émerge avec un temps de latence mais est désormais à notre écoute. Bon, pour la démo, on aura droit au modèle qui repond en francais avec une voix anglaise métallisée, qui fait l'effet d'un Siri un peu bourré. Malgré ce léger détail, le robot fait admirablement son job et réagit parfaitement aux injonctions lancées – quelquefois, il faut répéter, un peu comme avec un enfant. Et s'il est certain qu'au début, avoir un petit robot sur trois roues en permanence derrière soi peut décontenancer, l'interaction émerge en quelques minutes et on comprend vite comment Buddy peut se rendre indispensable à la vie de famille. Non pas celle de demain, mais bien de tout à l'heure.

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Car au-delà de son aspect volontairement gadget, le robot français est surtout une véritable station de détection ambulante : caméra 3D et infrarouge, projecteur laser, caméra thermique, détection de mouvements, reconnaissance faciale et d'objets et surveillance d'objets connectés. Derrière la bouille mignonne qui fera marrer les gosses, les grandes personnes s'offrent un système de surveillance domestique redoutable, capable de gérer de manière autonome leur domotique, de les prévenir en cas d'urgence et, globalement, de leur faciliter la vie en analysant leurs habitudes de consommation.

Outre la prouesse technique, la plus grande réussite de l'équipe francaise de Blue Frog Robotics, qui bichonne le projet depuis 2007 dans des locaux perchés et exigüs près de Châtelet, est d'avoir fait de Buddy un robot profondément attachant. Même pour ceux qui ne voient la robotique domestique qu'au travers des aspirateurs autonomes de Dyson. Avec ses 56 centimètres de plastique blanc immaculé à la Eve de Wall-E , son visage de manga aux yeux surdimensionnés et ses humeurs sonores façon R2-D2, Buddy fait rentrer la robotique dans l'ère du cute. Difficile, en regardant ses yeux immenses et son sourire enfantin s'afficher sur la tablette 8 pouces qui lui sert de visage, de ne pas imaginer des hordes de japonaises en tenue kawaii posant pour des selfies avec le robot, ou des enfants en bas âge en faire immédiatement leur pote de jeu – et leur assistant aux devoirs d'école.

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Buddy en pleine action.

Pour Rodolphe Hasselvander, le patron de Blue Frog Robotics, démocratiser la robotique est à la fois la raison d'être de son produit et son plus grand défi. « Qu'est-ce qui fait que t'as un robot chez toi ? », interroge-t-il. « Voila ce à quoi on a essayé de répondre. On a beaucoup bossé sur le design et les mouvements, pour essayer de créer quelque chose, un lien, avec peu de mouvements. » Hors de question, pour lui, de tenter le robot humanoïde : le cinéma a déjà repeint l'imaginaire collectif à grands coups de C3PO et de Terminator. Un choix esthétique qui offrirait à Buddy un aller simple pour l' « uncanny valley » - « la vallée dérangeante », expression utilisée pour decrire la collusion perturbante entre robotique et espèce humaine. Pour lui, le robot doit etre « une nouvelle espèce », une sorte d'OS de compagnie, que les humains doivent encore apprendre à apprivoiser. « Buddy, c'est le premier pas », explique le concepteur. « On ne veut pas révolutionner la robotique mais l'usage qu'on en fait, on veut la mettre chez les gens. Pour l'instant, le robot va jouer avec tes gosses, passer ta musique, etc, et une fois que les gens seront réconciliés, ils viendront peut-etre nous dire que ce serait pas mal que le robot ramène les assiettes quand on a fini de bmanger, ou qu'il plie les fringues, par exemple…. Et dans un second temps, alors, on proposera un robot qui réalise des tâches plus complexes, et qui sera aussi plus cher. »

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Au détour d'un des minuscules couloirs de Blue Frog Robotics, un buste humanoïde semble empalé sur un gros socle à roulettes. C'est un autre projet, explique Hasselvander. Destiné aux professionnels, il est doté d'un bras et peut être contrôlé à distance par un opérateur via la technologie Kinect de Microsoft. Impressionnant… et carrément flippant. Ce modèle, pour le coup, a posé ses valises en plein dans l' « uncanny valley ». Et aucune famille au monde, aujourd'hui, n'oserait laisser un truc pareil se balader comme il l'entend dans sa maison pendant les congés d'été, et encore moins le laisser traîner près des gosses le reste de l'année. Hasselvander a raison : le monde n'est pas encore prêt.

Papa, maman, les filles et le robot flippant qui semble appeler à l'aide.

Et son approche semble fonctionner : au CES de Las Vegas – le « salon de l'auto de la technologie », selon Hasselvander-, où l'equipe avait son stand dans le carré French Tech , les concepteurs de Buddy ont pu évaluer la popularité de leur droïde. « On était les seuls à avoir un robot autonome. Il se baladait dans les allées et les gens venaient nous voir pour nous demander qui le contrôlait », se marre le PDG, qui avoue ne même pas avoir eu le temps d'aller s'extasier devant les dernières prouesses techno réunies sous les hangars de Vegas. Au-dela de l'opération de communication, Blue Frog Robotics était là pour chercher des financements. Presque une habitude. Après une première levée de fonds lors de sa création puis une seconde en juin dernier, l'entreprise s'enrichissait de 618 000 dollars sur Indiegogo en septembre, dont 100 000 récoltés en 24 heures.

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Aujourd'hui, la future ex start-up suit patiemment le chemin balisé des rounds d'injections de capitaux américains. Et prépare la mise sur le marché de son robot en mettant en place une chaîne de montage standardisée en Chine, où Rodolphe Hasselvander espère vendre des armées de Buddy : « Notre objectif, c'est d'en vendre plusieurs centaines de milliers dans le monde et en Chine, ils sont dingues de ça ! », se marre-t-il. « Là-bas, c'est le Japon puissance dix, il y a 150 millions de gens hyper branchés techno, ils sont fous de robots ! » Parallèlement, 40% des « backers » de la campagne Indiegogo sont français, preuve que le vieil Hexagone n'est pas aussi frileux que l'image technophobe qu'il renvoie.

"L'idée, c'est de suppléer, pas de remplacer"

Enfin, avec une sortie prévue « au deuxième semestre » 2016, la question du prix se pose fatalement. Réponse : 750 euros. La somme peut paraître élevée pour un produit destiné au grand public, mais est-ce objectivement excessif pour s'offrir un véritable robot compagnon ? « Si tu veux être sûr que ça se vende, faut être dans les 500 dollars. Et si t'as une putain d'expérience utilisateur, tu peux les mettre », détaille Rodolphe Hasselvander. Avant de confesser que «quand t'es au-dessus de 500 balles, t'es pas mainstream. » Buddy ne l'est donc pas. Ou du moins pas encore, car s'il inaugure un nouveau marché, les prix devraient baisser aussi rapidement que la concurrence émergera. Rappelons-nous qu'il y a quelque années, les écrans plats étaient un luxe absolu…

Et si, dans une quinzaine d'années, la robotique domestique était devenue la norme et que nous vivions tous dans un quotidien à la Asimov ? Pour Hasselvander, passé pendant dix ans par le Centre de robotique intégrée d'Ile-de-France (CRIIF) avant de lancer sa start-up, ça ne fait aucun doute : l'avènement des robots va remodeler en profondeur la société humaine. « Beaucoup d'emplois devront s'adapter, comme l'ont fait les guichetiers de banque quand les DAB sont arrivés », prophétise-t-il. Selon la dernière étude en date, publiée le 13 février, les machines pourraient mettre la moitié de la population mondiale au chômage technique dans les 30 ans à venir. Une perspective que le roboticien ne voit pas comme un cataclysme mais plutôt comme une transition sociétale, sans pour autant tomber dans l'angélisme. « Globalement, notre relation au travail sera différente. On se concentrera sur d'autres tâches, on ne gagnera peut-être pas notre vie en travaillant…» Lui qui s'est mis à construire des robots après avoir patiemment attendu en vain l'arrivée d'un R2-D2 dans la vraie vie se dit évidemment « partisan de la robotique, quand elle est utile. » Et d'arguer qu'à l'instar de Buddy, « l'idée c'est de suppléer, pas de remplacer. »

Sur le dépliant de communication de Buddy, une page entière est dédiée à l' « assistance aux seniors », autre clientèle potentiellement intéressée par un robot-compagnon. Buddy peut donc détecter les chutes et l'absence d'activité, prévenir en cas de besoin et même rappeler à Mamie quand elle doit prendre ses cachets. « J'ai une grand-mère en galère, et je ne peux pas passer 24 heures sur 24 avec elle », justifie Hasselvander pour évoquer la mission d'auxiliaire de vie confiée à son robot. Pas sûr, cependant, qu'un être humain de 80 ans soit hyper à l'aise à l'idée de tailler le bout de gras avec un robot. Tout le défi, aujourd'hui, est là : faire basculer la perception du grand public, des jeunes mamans aux grands-pères, en faveur du robot domestique et, même, lui faire confiance pour assurer l'intérim de l'être humain. En juin dernier, la Commission européenne rendait public un sondage d'ampleur pour tester la perception des Européens vis-à-vis des robots. 52% des Français en ont peur, l'un des taux les plus élevés de l'Union. Buddy a intérêt à être sacrément mignon, car il lui reste encore du boulot.