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Comment j'ai signé dans deux équipes de Premier League sans être footballeur

À quoi servent le talent et le travail s’il est aussi facile de se faire recruter ?
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Après deux ans de loyaux services chez les Tottenham Hotspurs, le moment était venu pour Harry Redknapp de laisser sa trace dans l'histoire du prestigieux club du nord de Londres. Pendant l'été 2010, les Spurs étaient sur le point de commencer leur campagne européenne, leur première Ligue des champions. Redknapp allait avoir besoin d'un truc en plus pour passer à la phase suivante.

Mais le patron était serein, il savait qu'il pourrait bientôt compter sur un joueur qui allait pouvoir mener les Spurs vers la victoire. Il l'avait observé pendant des années. Il était fasciné par sa vitesse, sa technique, sa qualité de frappe. Il ne s'agissait pas de Gareth Bale, avec ses cinq excellentes saisons derrière lui. Mais bien de moi. C'est comme ça que ma carrière en Angleterre a commencé.

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Bon d'accord, pas vraiment : tout ça n'était qu'un mensonge. Mais ça n'a pas empêché tout un tas de gens de le répéter dans la presse, ou sur Internet.

Retour en arrière. Cinq ans plus tôt, je m'intéresse pour la première fois à la qualité des médias sportifs bulgares. Mes intentions étaient alors plus motivées par le narcissisme que par un désir authentique de recherche. À cette époque, jouer le mode « Be a pro » sur FIFA occupait au moins quatre à cinq heures de ma journée et je formais un duo terrible avec Dimitar Berbatov. Grâce à certaines publications de la presse sportive bulgare, ce rêve allait pouvoir devenir réalité, même si j'étais bien loin d'être professionnel.

En août 2010, j'envoie aux éditeurs de Sportal.bg, le site de sport le plus populaire de Bulgarie, un email ayant pour titre "Un talent du Slavia Sofia part faire un essai à Tottenham". Selon le mail, qui contenait trois phrases, Harry Redknapp avait personnellement regardé des vidéos d'une star bulgare de 16 ans appelée Peter Georgiev et avait été tellement impressionné qu'il avait décidé de l'inviter pour une période d'essai de deux semaines.

Ça me semblait absurde de penser qu'une information venant d'une source si suspicieuse puisse être publiée par un site réputé. Quoi qu'il en soit, une demi-heure plus tard Sportal.bg publie un éditorial racontant l'histoire de mon succès.

Ce fut le début éblouissant de ma carrière virtuelle.

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Bien sûr, mon exploit impressionnant ne pouvait pas passer inaperçu. Ça n'a pas pris beaucoup de temps pour que l'article se répande vers d'autres médias sportifs que je n'avais même pas contactés directement. Le lendemain, le Meridian Match imprime exactement le même article, recopié mot pour mot sur celui de Sportal qui était lui-même une copie de mon email. Peu après, Blitz.bg publie également l'histoire, citant le Meridian Match comme source.

Il y a quelques semaines, après quatre saisons très très discrètes à White Hart Lane, je décide qu'il est temps pour moi de changer le cours de ma carrière professionnelle. Cette fois, avec une stratégie améliorée, j'essaye de m'arranger un transfert incognito à Newcastle United. Il me suffit de dix minutes pour falsifier un tweet d'une page non-officielle de Newcastle qui annonce que le club a fait venir le jeune talent bulgare de 20 ans Peter Georgiev, en provenance de l'équipe de moins de 21 ans de Tottenham.

Je prends une capture d'écran de la fausse publication et l'envoie à cinq organes de presse sportive, en utilisant la même adresse suspicieuse. Je joint également un lien vers l'article de Sportal.bg de 2010, qui était encore accessible en ligne. Encore une fois, Sportal, accompagné de Novsport.bg et Topsport.bg, relaient le sujet presque immédiatement, et Football24 fait de même le lendemain. Topsport m'a même appelé Peter Dimitrov alors que ce nom de famille ne figurait pas dans mes mails. Par la suite, mon nom est apparu sur Blitz (encore), PlovdivNews.bg et Chernomore.bg.

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Presque tous les médias ont supprimé leur article lorsque j'ai révélé la supercherie le lundi suivant. Par contre, aucun d'eux ne s'est excusé auprès de ses lecteurs et n'a pas expliqué que leurs éditeurs s'étaient faits berner par quelque chose d'aussi simple qu'un faux tweet.

Certes l'intox était plutôt inoffensive, mais les résultats donnent une bonne leçon quant à la façon de gérer des contenus produits par des utilisateurs. La masse ahurissante d'informations sur le football circulant sur le Net a visiblement créé un désir insatiable pour les lecteurs de consommer de plus en plus d'infos quotidiennement. Pour répondre à ce besoin, les médias web maintiennent artificiellement un flot constant d'infos – dont une partie peut être spéculative, trompeuse voire carrément fausse – et souffrent régulièrement d'un manque total de principes. Au regard de cela, donner vie à une histoire inexistante ne semble pas si surprenant.

L'habitude profondément établie de beaucoup de médias bulgares de négliger le filtrage de leur contenu a causé beaucoup de dégâts à la réputation de leurs publications. Cette histoire devrait servir de piqûre de rappel à tous les journalistes afin qu'ils développent une sorte d'immunité contre la fausse information et ne se laissent pas prendre.

Quant à moi et ma carrière de football virtuelle, j'aurais sans doute besoin d'un peu plus de temps pour m'imposer comme une star en Premier League. Des attaquants comme Jamie Vardy et Charlie Austin ont travaillé des années afin de réussir à passer du football amateur à l'élite anglaise. Cependant, il semble qu'il existe un moyen plus simple. Peut-être que dans 10 ans, quand je déciderais de prendre ma retraite à Barcelone, j'essaierais de conclure l'affaire en ligne. Je verrai bien si la leçon a été retenue.

@GeorgievPeter