Et si Nestlé puisait toute l’eau qu’on lui a permis de puiser?

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Et si Nestlé puisait toute l’eau qu’on lui a permis de puiser?

Au moment où le gouvernement de l'Ontario s’apprête à renouveler le permis de l'entreprise, la question se pose.

L'Ontario est gorgée d'eau. Les lacs, rivières et nappes phréatiques de la province sont si abondants qu'on pourrait avoir l'impression que jamais on ne pourrait les épuiser. D'ailleurs, jusqu'à récemment, le gouvernement provincial donnait cette eau à des sociétés privées pour trois fois rien le litre.

Nestlé Waters Canada puise de l'eau souterraine à son site d'Aberfoyle, près de Guelph depuis 1980, pour l'embouteiller et la vendre. La compagnie a reçu l'autorisation de puiser plus de trois millions de litres d'eau par jour à ce site, mais n'en a toujours puisé qu'un peu plus de la moitié.

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Quelles seraient les conséquences environnementales si Nestlé puisait jour après jour toute l'eau que le gouvernement de l'Ontario lui a permis de puiser? Cette question se fait plus urgente, car la province réévalue actuellement les demandes de renouvellement de permis. Des citoyens, des militants et des politiciens ont fait part de leurs préoccupations à propos des effets des activités de la compagnie sur les réserves d'eau potable.

Une évaluation interne approuvée par le Ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l'Ontario, dont nous avons récemment obtenu copie en vertu de la loi sur l'accès à l'information, dresse un portrait inquiétant de la situation : il y a un risque d'élévation de la température des cours d'eau et de contamination de l'eau souterraine, selon les experts. Le Ministère n'en dit cependant pas plus sur les effets pour l'environnement.

Voici comment sont actuellement établies les limites : le volume maximal d'eau puisée est proposé par le demandeur de permis, qui doit soumettre son évaluation scientifique démontrant que ce volume est sans danger.

Entre 2002 et 2010, Nestlé puisait en moyenne 61 % du volume d'eau auquel elle est autorisée et planifiait d'augmenter la quantité jusqu'au volume total, peut-on lire dans l'évaluation d'exploitation interne de Nestlé approuvée par courriel par le gouvernement provincial. On mentionne que si l'on puise 61 % du volume permis, le débit d'eau qui remonte à la surface, dans la rivière Aberfoyle, diminue. En 2015, Nestlé a réduit le volume d'eau puisé à 58 % du maximum autorisé.

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Le cycle de l'eau des nappes phréatiques qui remonte à la surface (la résurgence) et de l'eau des cours d'eau qui s'infiltre dans la terre (l'infiltration) régule le niveau, la température ainsi que la qualité de l'eau de surface et de l'eau souterraine.

« Les nappes phréatiques et les cours d'eau sont des systèmes très bien connectés, et si l'on en affecte un, on affecte l'autre », m'a expliqué Joseph Desloges, professeur de géographie à l'Université de Toronto.

Comme Nestlé planifiait d'augmenter le volume, elle a effectué en 2010 un test de 39 jours pendant lesquels elle a puisé le maximum permis. Les effets sur les débits de résurgence et l'infiltration ont été si prononcés que le cycle d'un cours d'eau s'est inversé : plutôt que de recevoir l'eau par résurgence, il la perdait par l'infiltration. En d'autres mots, l'eau a été aspirée vers sa source, ce qui a occasionné une baisse du débit et possiblement une hausse de la température du cours d'eau, écrit-on dans l'évaluation.

Le ministère des Richesses naturelles et des Forêts, auquel nous avons demandé de commenter le résultat du test, a transmis notre demande au ministère de l'Environnement et de l'Action en matière de changement climatique.

« Le gradient d'écoulement souterrain a été inversé à certains points de surveillance de la rivière Aberfoyle au cours des tests de 2010, mais pas à tous les endroits », nous a répondu par courriel un porte-parole du Ministère. « Les données sur le niveau des nappes phréatiques depuis 2011 montrent que l'inversement du gradient est un phénomène de courte durée, étroitement lié au volume d'eau puisée et limité aux points de surveillance installés sur la propriété de Nestlé. »

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Cependant, la capacité du Ministère à mesurer les effets de ces changements sur les poissons et la végétation en 2011 étaient « faussée » à cause de la « très faible quantité de données existantes sur le cours d'eau et son écosystème avant 1980 », affirme-t-on dans l'évaluation. En fait, poursuit-on, les changements écologiques causés par les activités de Nestlé peuvent être survenus il y a des décennies. Sans ces données, il est impossible d'en être sûr.

La dernière moitié de l'évaluation n'a pas été rendue publique en raison d'une exemption à la Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée portant sur la divulgation de conseils d'un fonctionnaire. Quoi qu'ait pu proposer le Ministère, on ne le saura pas.

Bien qu'il n'ait pas été possible de parler de la situation précise d'Aberfoyle, le professeur en hydrologie de l'Université de Waterloo Fereidoun Rezanezhad nous a dit qu'en général, la conséquence la plus dommageable d'un changement au cycle de résurgence et d'infiltration, c'est la contamination par des polluants en surface.

« Si l'industrie de l'agriculture répand des fertilisants et que des eaux de surface sont contaminées, l'augmentation de l'infiltration et la réduction de la résurgence peuvent entraîner une contamination de la nappe phréatique », explique-t-il.

Dans un rapport de 2016 de la compagnie d'hydrologie Harden Environmental, soumis à la Ville où le site d'Aberfoyle de Nestlé est situé, on a indiqué que les activités de Nestlé représentaient un risque de contamination de l'eau des puits. Cependant, Stan Denhoed, hydrologiste chez Harden, rejoint par téléphone, a vite mis l'accent sur des données récentes sur les volumes d'eau puisés en ce moment montrant qu'il y a peu d'effets.

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« Il y a de petits changements, mais on ne peut pas les mesurer dans la rivière, a affirmé Denhoaed. L'enjeu principal, c'est la survie des poissons. Est-ce que l'eau souterraine se rend à eux? Le fait est que oui. »

Un porte-parole du ministère de l'Environnement a affirmé que le volume actuel d'eau puisée ne pose aucun problème. « Les données que nous avons montrent qu'il n'y aura pas à long terme de déclin du niveau des nappes aquifères ni aucun effet inacceptable sur la quantité d'eau ou les nappes aquifères dans les environs des puits de Nestlé, nous a écrit par courriel un porte-parole. Le Ministère ne s'attend à aucune conséquence néfaste pour les nappes aquifères ou les puits privés locaux au volume actuel auquel Nestlé puise l'eau. »

En dépit de l'affirmation dans l'évaluation de 2011 selon laquelle il était impossible pour le gouvernement de discerner les conséquences environnementales d'une augmentation du volume d'eau en raison du manque de données, le porte-parole a assuré que le Ministère « ne relève aucune lacune dans sa connaissance des conséquences environnementales de l'exploitation de l'eau ».

Un porte-parole de Nestlé Canada a confirmé par courriel que la compagnie ne planifie pas de puiser le maximum d'eau que lui autorise son permis et ajoute que « le volume actuel est basé sur la demande des consommateurs, qui varie d'un mois à l'autre et d'une année à l'autre ».

Ainsi, Nestlé ne puisera pas le volume maximal d'eau permis. Sauf si la demande était suffisamment forte.

Son permis est expiré, mais elle est autorisée à poursuivre ses activités d'ici la fin de l'évaluation de la demande de renouvellement et la décision du gouvernement de l'Ontario. En réponse aux aux citoyens et aux militants, ce dernier a décidé d'imposer un moratoire sur les nouvelles demandes de permis et d'augmenter le prix que Nestlé paie le million de litres d'eau puisée pour l'embouteillage. Il passe de 3,71 $ à 503,71 $, soit 0,0005 $ le litre.