Le flic robotique, ce n'est pas pour tout de suite
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Le flic robotique, ce n'est pas pour tout de suite

Robots et policiers collaborent déjà depuis de nombreuses années, mais les gardiens de la paix ne devraient pas être remplacés de sitôt par des cousins de Robocop.

Cet article vous est présenté par la série SECTION ZERO diffusée tous les lundis à 21H00 sur Canal+

La fiction raffole des robots. Elle les rêve doués d'émotions et dangereusement intelligents, susceptibles d'exaucer tous nos souhaits autant que de nous faire disparaître. Dans la réalité, ils sont encore loin d'en arriver là. Reste qu'ils y parviendront peut-être un jour : à mesure qu'elle évolue, la robotique permet de confier des missions toujours plus nombreuses et variées à ses rejetons. Dans le domaine de la force publique, ces progrès constants promettent beaucoup.

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Robots et policiers collaborent déjà depuis de nombreuses années. Le tout premier véhicule de déminage télécommandé a été conçu au début des années 70 par un lieutenant-colonel de l'armée britannique, Peter Miller.Baptisé Wheelbarrow, cet engin bricolé à partir d'un châssis de tondeuse à gazon avait pour objectif de remorquer les voitures piégées par l'Armée républicaine irlandaise (IRA) dans un lieu sûr sans risquer la vie d'un démineur. Au cours des trois décennies suivantes, plus de 400 de ces robots terrestres primitifs ont été détruits en accomplissant leur mission ; "chacun d'entre eux représentait au moins une vie",a noté le quotidien d'information anglais The Telegraph en 2001. Parce que l'armée considérait que cela relevait de son devoir de militaire et malgré les appels à la reconnaissance de ses collègues, l'ingénieux géniteur du Wheelbarrow n'a jamais reçu la moindre récompense pour son invention fondatrice : pas de décoration, pas de compensation financière.

Aujourd'hui, les descendants de la création de Peter Miller sont employés par les forces de l'ordre du monde entier. L'International Federation of Robotics estime que350 robots de déminage ont été vendus en 2014. Ce petit bataillon mécanique a coûté plus d'un milliard de dollars à ses divers acquéreurs - une somme remarquable mais sans doute sous-estimée, précise l'IFR. Car un démineur télécommandé, ça coûte affreusement cher. Il y a deux ans, l'armée canadienne a cédé unedizaine de millions de billets verts pour s'équiper de 20 PackBot CBRNe modèle 510. Le prix de cet engin de haute technologie est justifié par ses aptitudes inédites : grâce à ses nombreux capteurs, le PackBot est capable de détecter en un instant la présence de produits explosifs ou toxiques, d'éléments radioactifs, de gaz et même d'armes bactériologiques. Ses deux caméras infrarouge et thermique lui permettent de rester efficace dans l'obscurité, son bras est assez long et robuste pour soulever une quarantaine de kilos à deux mètres. Tout ce dont un être humain est incapable.

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Pour être aussi efficaces que leurs homologues humains, les robots policiers devront être capables de réagir de manière appropriée face à un comportement suspect ou délictueux

Le Wheelbarrow a engendré un nombre considérable de descendants, de toutes les tailles et de toutes les formes. Au mois de janvier dernier, l'armée russe s'est équipée d'Uran-6,des engins de 20 tonnes capables d'identifier et détruire de gros dispositifs explosifs. Chargé au maximum de ses capacités,le Husky de Clear Path Robotics ne pèse que 75 kilogrammes, bien assez pour manipuler un colis suspect à la place d'un policier. A mesure que ces robots se diversifient en se perfectionnant, le nombre de missions qu'ils sont susceptibles d'accomplir croît. Si la création de Peter Miller se contentait de remorquer des voitures piégées à l'aide d'un simple crochet, les derniers rejetons des grands noms de l'armement américain sont à même d'effectuer des missions de reconnaissance, des perquisitions et même d'aider à l'arrestation d'un suspect retranché, parfois de manière spectaculaire.

S'ils permettent d'épargner des vies, ces appareils pèchent par leur absence totale d'indépendance. Sans être humain pour les piloter à distance depuis un gamepad ou un ordinateur dédié, ils ne servent tout simplement à rien. L'autonomie est le véritable défi des robots destinés à la police ou à l'armée ; de nombreux constructeurs se sont déjà mis en tête de le relever. Depuis le début des années 2000, on voit ainsi fleurir les patrouilleurs indépendants. Cela fait presque dix ans que l'imposant R Bot "Robokopa" 001 scrute les rues de la banlieue moscovite à l'aide de ses cinq caméras, administrant de temps à autres un avertissement verbal aux passants ivres. En 2004, l'entreprise japonaise SECOM a dévoilé son Robot X. Disponible à la location pour2 700 dollars mensuels, le très sentaïesque engin est capable de détecter des intrus le long d'un itinéraire prédéfini. Le garde robotique dévoilé par l'Université de l'aviation civile de Chine en 2006 peut utiliser ses caméras grand-angle et ses micros pour surveiller des lieux publics.

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Avec leur design de jouet vintage et leurs problèmes techniques un peu ridicules, ces patrouilleurs rudimentaires ne sont pas parvenus à captiver le public. Il a fallu attendre la fin de l'année 2013 pour qu'un robot de surveillance autonome parvienne à attirer l'attention des médias : servi par son profil de Dalek, sa carrure imposante et ses voyants lumineux, le K5 a frappé les amateurs de science-fiction en plein coeur. Ce robot de sécurité développé au sein de la Silicon Valley par la start-up Knightscope utilise une impressionnante batterie de capteurs pour surveiller son environnement : température, composition de l'air, espace sonore… En un an, le K5 peut enregistrer jusqu'à 90 téraoctets de données au fil de ses patrouilles pré-programmées. En cas d'anomalie, il peut émettre une alerte sonore ou contacter les autorités compétentes. Bien qu'il ne remplace pas un agent de sécurité de chair et d'os, l'appareil complète efficacement le travail de ses maîtres humains pour un loyer horaire inférieur au salaire minimum étasunien. Le K5 a séduit bon nombre de clients, dont Microsoft qui l'utilise sur son campus californien depuis 2014.

Image : Knightscope.

D'autres modèles d'appareils patrouilleurs perfectionnés sont déjà en fonction ou le seront bientôt.Trois matons autonomes ont été mis à l'essai dans une prison sud-coréenne en 2012 et l'année prochaine, les Émirats Arabes Unis lâcheront leurs premiers robots de surveillance et d'assistance dans les rues de Dubaï. En annonçant la nouvelle aux journalistes, le directeur général des services intelligents de la police doubaïote a expliqué que ces nouveaux agents de sécurité serviraient à "fournir de meilleurs services au public sans avoir à engager plus de personnel"malgré l'impressionnante croissance de la population émiratie. L'enjeu est transposable à l'échelle internationale : malgré la baisse de l'indice de fécondité mondial,l'Insee estime que nous serons près de 10 milliards en 2050. Pour surveiller toute cette foule, l'aide des robots ne sera sans doute pas de trop.

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Malheureusement, les technologies actuelles ne permettent pas de créer plus que des robots de surveillance au pouvoir vaguement dissuasif, bien incapables de faire appliquer la loi ou d'appréhender des suspects par leurs propres moyens. D'importantes difficultés de forme et de fond nous séparent de la naissance du premier policier robotique totalement autonome : les premières touchent à ses facultés physiques, les secondes à l'esprit qui les rendra utiles.

Si les robots de déminage, de reconnaissance et d'assistance que privilégient actuellement les forces de l'ordre sont des engins roulants, ce n'est pas par hasard. Les drones sont trop faibles ou trop imposants pour accomplir ces tâches. D'un autre côté, les chenilles et les roues ne permettent pas de gravir des escaliers. Pour être aussi efficace qu'un homme dans ses déplacements, un robot devra être capable de se mouvoir grâce à une paire de jambes. Malheureusement, les subtilités de la bipédie sont difficiles d'accès pour des créatures métalliques. Faire en sorte qu'un robot conserve son équilibre alors qu'il marche lentement sur une surface plane est un premier défi. A l'heure actuelle, il est à peine surmonté par des engins humanoïdes aux membres inférieurs bardés de capteurs, aux mouvements tâtonnants et aux chutes faciles. Même le dernier modèle d'Atlas, le robot phare de l'entreprise Boston Dynamics, semble bien fragile sur ses jambes. On n'aurait pas idée de confier un badge de policier à un engin qui risque de s'effondrer en ratant un trottoir un peu haut.

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Le problème de l'équilibre ne vient pas seul. Les moteurs et les systèmes hydrauliques qui équipent les robots d'aujourd'hui sont incapables d'égaler la force et la souplesse de notre corps. En 2013, une équipe de l'Université nationale de Singapour est parvenue à créerun muscle artificiel prometteur. Très étirable et capable de soulever 80 fois son poids, il doit encore être adapté à de véritables membres robotiques. Quand ils seront au point, ces mécanismes seront confrontés au défi du système de prise de décision, celui qui gouverne aux mouvements du robot. Plus il est efficace, plus le bipède qu'il dirige peut marcher vite et appréhender sereinement une surface irrégulière. Aujourd'hui, ces systèmes ne sont pas assez performants pour gérer les imprévus : si le pied du robot se pose mal ou sur un sol accidenté, la gamelle n'est jamais loin. Tant que ce problème ne sera pas résolu, la course restera également hors de portée des dispositifs bipèdes. Un robot qui galope agilement derrière les suspects, ce n'est donc pas pour tout de suite ; le futur des forces de l'ordre ressemble sans doute plus aux sphères à roulettes d'Akira qu'à Chappie.

Crédit : Otakia.

Reste le problème de l'adaptation à l'environnement. Chez les humains, c'est le cerveau qui amorce et ajuste les gestes en fonction des informations que lui font parvenir nos sens. Le chat se précipite vers vos jambes, la dernière marche de l'escalier est un peu courte, le fauteuil est au milieu du chemin ? Pas de souci, vos yeux passent le message à l'encéphale qui accommode vos mouvements en conséquence. Pour parvenir à modifier leur comportement en fonction des obstacles qui se présentent à eux, les robots comptent sur la vision par ordinateur. Cette discipline liée à l'intelligence artificielle cherche à extraire du sens des images captées par un composant électronique, comme un appareil photo ou une caméra. Grâce à elle, un robot est supposé reconnaître des objets déjà présents dans sa base de données mais aussi identifier et mémoriser des entités inédites. Sans vision numérique, pas d'interaction avec l'environnement : ce qu'un système autonome décide de faire face à un obstacle dépend de ses résultats. Les robots policiers auront grand besoin de ce sens artificiel pour patrouiller dans les rues en toute indépendance, mais aussi pour reconnaître les situations qui nécessitent leur intervention.

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Certains programmes informatiques issus de la recherche en vision numérique sont déjà capables de repérer des individus suspects. Ces "logiciels d'analyse comportementale" scrutent les images qui leur sont transmises par une caméra pour y détecter des attitudes menaçantes. De nombreux signaux sont pris en compte : démarche, posture, expressions faciales, mouvements oculaires, température corporelle… En 2011, une équipe de professeurs affiliés à l'Institut Italien de la Technologie et au Département de l'informatique de l'Université de Vérone a proposé de compléter cette gamme à l'aide de critères socialement connotés, comme la beauté ou la taille. Cette technologie est déjà utilisée par de nombreux aéroports aux États-Unis et en Europe. En France, la SNCF l'a mise à l'essai sur son réseau de vidéosurveillance suite aux attentats du 13 novembre. Un logiciel d'analyse comportementale a également été intégré au programme du K5, aux côtés d'un système de reconnaissance faciale qui permet à la création de Knightscope d'identifier d'éventuels criminels.

En dépit de leur popularité, les logiciels d'analyse comportementale sont encore loin d'être au point : ils produisent un grand nombre de faux positifs et sont complètement déstabilisés par une simple variation de luminosité. Même s'ils devenaient aussi performants que la vision humaine, ces programmes ne suffiraient pas à transformer un automate en gardien de la paix. Pour être aussi efficaces que leurs homologues humains, les robots policiers devront être capables de réagir de manière appropriée face à un comportement suspect ou délictueux. Mais comment créer une intelligence artificielle capable de prendre une "bonne" décision selon des critères humains ? Pour y parvenir, les chercheurs privilégient actuellement deux approches : la première mise sur un ensemble fini de règles, la seconde privilégie l'apprentissage.

Implanter des lois inamovibles dans une intelligence artificielle est l'option la plus brute. Confronté à une situation qui nécessite un choix, un robot policier programmé grâce à cette méthode prendra une décision selon les règles gravées dans sa base de données, un peu comme un aspirateur autonome qui change de chemin après avoir détecté un mur. Malheureusement, rien ne permet de garantir que ce socle de connaissances inné et figé lui permettra d'appréhender toutes les situations auxquelles il sera confronté. C'est la raison pour laquelle l'approche qui favorise l'apprentissage semble plus prometteuse. S'il était capable de tirer des conclusions de son expérience sans aide extérieure, un robot pourrait s'adapter à de nouveaux problèmes en améliorant sa base de données de manière autonome. A terme, il disposerait d'un savoir suffisant pour prendre des décisions judicieuses seul. Un peu comme un être humain. Le problème, c'est que l'on ne sait pas encore comment conférer une telle aptitude à un programme.

Pour le moment, seul l'apprentissage dit supervisé est à la portée des diverses techniques d'intelligence artificielle déjà existantes : la reconnaissance vocale, l'identification des visages et des empreintes digitales… Ces technologies ne s'améliorent que parce qu'un maître humain "explique" ce qui est important à la machine, ce qui ne les empêche pas de progresser à toute vitesse. Le jour où l'apprentissage non-supervisé deviendra réalité, les robots policiers ne tarderont sans doute plus à vous courir après.

Retrouvez la série SECTION ZERO diffusée tous les Lundi à 21H00 sur Canal+ (Rendez-vous sur le site)