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Culture

Le mapping sert aussi à ressusciter des peintures délavées

Faut-il redonner les couleurs d’origine aux œuvres ou se satisfaire de l’altération de leurs pigments ?
Image de Une : Mark Rothko, Panel One (Harvard Mural Triptych), 1962. © 2014 Kate Rothko Prizel and Christopher Rothko / Artists Rights Society (ARS). Photo : President and Fellows of Harvard College.

Derrières les portes closes d'institutions d'art des quatre coins de la planète, se cachent des machines à remonter le temps et autres chambres d'investigation. On y voit ressortir de ternes chefs-d'œuvre aussi éclatants qu'à leurs premiers jours ; on y perce des secrets de maîtres ; on y met à jour des compositions secrètes planquées dans de célèbres toiles. The Creators Project vous fait entrer dans ces laboratoires de restauration.

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Pas dur d'imaginer combien dix années passées dans une salle à manger de faculté peut endommager une œuvre d'art. Dans le cas du Harvard Mural Triptych de Mark Rothko, exposé dans la salle de réception du Holyoke Center de l'université de Harvard dans les années 60 et 70, les dégâts n'ont pas grand chose à voir avec une trop grande promiscuité culinaire. Une luminosité importante venant des percées du plafond, plus l'utilisation d'un pigment naturel instable par l'artiste, ont donné naissance à une combination malheureuse qui a fortement délavé les couleurs en très peu de temps [vous pouvez voir les changements en cliquant ici].

À la fin des années 80, les conservateurs d'Harvard rejettent l'idée de retoucher directement la peinture ternie. « En raison des grandes zones de perte de couleur et des surfaces délicatement peintes et non vernies, un tel traitement serait irréversible et pourrait potentiellement effacer la touche de l'artiste — violant un des principes clefs de la conservation », explique Harvard Art Museums dans un communiqué.

Narayan Khandekar, expert en restauration, Straus Center for Conservation and Technical Studies, Harvard Art Museums, tenant un panneau blanc pour mettre en évidence la projection sur le Panel Four de Mark Rothko à l'exposition Mark Rothko's Harvard Murals, Harvard Art Museums, 16 novembre 2014–26 juillet 2015. © 2014 Kate Rothko Prizel and Christopher Rothko / Artists Rights Society (ARS), New York. Photo: Peter Vanderwarker, © President and Fellows of Harvard College.

Plus de vingt ans après, le musée s'associe avec des groupes de recherche du MIT et l'université de Bâle pour restaurer numériquement la couleur des œuvres de 1964, utilisant le mapping sur les toiles pour rendre tout leur éclat aux toiles. L'équipe a développé un logiciel et un système de projection qui lit les couleurs actuelles de la peinture, compare les informations avec les photographies originales et calcule une « image de compensation » qui est envoyée au projecteur. Les fruits de cette collaboration innovatrice entre des historiens de l'art, des restaurateurs et des scientifiques ont été présentés lors d'une exposition l'an dernier.

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Color the Temple Scene 1, The Temple of Dendur, The Sackler Wing, The Metropolitan Museum of Art, New York. Le projet est une collaboration entre le département d'art égyptien du musée et MediaLab. Image: The Metropolitan Museum of Art/Gustavo Camps

Une expérience vaguement similaire est actuellement à voir au Metropolitan Museum of Art, sur des surfaces bien plus anciennes. Les parois du Temple de Dendur, d'Égypte, sont vierges de toute couleur aujourd'hui mais les chercheurs pensent que ces reliefs ouvragés étaient très probablement peints lors de leur érection il y a 2000 ans. les membres du MediaLab du musée ont mis à l'œuvre une projection sur l'un des murs du temple, représentant l'empereur romain Auguste en pharaon faisant une offrande aux divinités égyptiennes. Selon Diana Craig Patch, commissaire en charge du département d'art égyptien du Met, ce type de reconstitution, bien que lourdement documenté, reste hypothétique. C'est avant tout un outil d'éducation. « À l'aide des médias numériques, nous pouvons bien plus facilement montrer comment les objets ont changé à travers le temps », dit-elle.

Même dans le cas de reconstitutions bien moins hypothétiques comme celle de Rothko, l'exactitude est toujours sujet à débat. L'auteur Robert Moeller, chroniquant l'exposition pour Hyperallergic, dit avoir eu le sentiment de se retrouver face à une « représentation holographique de l'intention [de Rothko] ». L'artiste Terry Winters dit, dans une vidéo, qu'à partir du moment où les lumières se sont éteintes, il a « vraiment senti que Rothko entrait dans la pièce ». L'art, vécu en personne, a un pouvoir indescriptible, et le moyen d'expérimenter pleinement cette faculté est peut-être de se concentrer sur ce que nous avons réellement sous les yeux, quelles que soient les pertes.

Mark Rothko's Panel One, Panel Two, and Panel Three (Harvard Mural Triptych), restaurés à l'aide de projecteurs, exposition Mark Rothko's Harvard Murals, Harvard Art Museums, 16 novembre, 2014–26 juillet 2015. © 2014 Kate Rothko Prizel and Christopher Rothko / Artists Rights Society (ARS), New York. Photo: Peter Vanderwarker, © President and Fellows of Harvard College.

Pour plus d'infos sur la restauration des Harvard Murals de Mark Rothko, cliquez ici.

Retrouvez les précédents articles de la rubrique Laboratoire de restauration :
Le casse-tête chinois des céramiques brisées
Ce que révèlent les œuvres une fois passées au microscope
La reconstitution couche par couche des chefs-d'œuvre