Restaurant Arabe
Illustration de Merieme Mesfioui.

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Food

Dans le restau arabe qui m'a rappelé que j'étais ici chez moi

J'ai vu des gens profiter de mon héritage, de ma culture, de ma nourriture et je me suis dit que les États-Unis, c’est aussi mon pays.

En grandissant, j’avais toujours voulu croire que le mot « arabe » n’était pas une insulte. La vie en a hélas décidé autrement. Bien que je sois née en Amérique et que je « fasse » blanche, mon héritage a été une source continue de souffrance après le 11 septembre.

On m’a appelé la voilée ou la monteuse de dromadaire. On s’est moqué de moi et on m’a harcelé à cause d’un événement dont je n’étais pas responsable. Pire, peu de temps après les attaques, ma mère s’est mise à porter le hijab. Je ne parvenais pas à comprendre sa décision. J’argumentais, disant que cela allait faire d’elle une cible pour tous les Américains paniqués et prompts aux débordements de violence. Comme l’Homme au Camion.

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Je me rappelle clairement de son visage, de l’atmosphère de haine incandescente qui l’enveloppait alors qu’il hurlait sur ma mère – qui fait à peine 1m50 et qui portait donc le hijab : « Rentre dans ton pays ! »

Je pense à tout ça alors que je suis assise au Dyafa, le nouveau restaurant de Reem Assil, à Oakland, en Californie. Je me souviens de la peur qui me paralysait et de ma mère qui faisait vrombir le moteur en réponse au chauffard, les yeux brillant d’un feu que je n’avais jamais vu auparavant.

Elle l’a suivi jusqu’à être à son niveau.

« Je suis ici chez moi ! », lui a-t-elle fièrement hurlé en retour.

En cet instant, chez Dyafa, je suis totalement et complètement vulnérable, une Arabe pure et dure. Je peux sentir l’odeur familière et chaude de la pâte à pita qui cuit dans le four, et je me mets à sangloter dans ma salade. Tout mon corps est secoué d’une vague intense d’émotions. C’était la première fois que je voyais ma culture représentée sous un angle positif, la première fois que j’ai compris pourquoi être représenté importait autant.

« Dyafa », c’est le mot arabe pour « hospitalité », qui est l’un des ceux que j’utiliserais pour décrire l’essence même de la culture arabe puisque le concept remonte à l’époque du nomadisme.

Née de parents syriens et palestiniens venus du Liban, Reem Assil est une chef, une cuisinière et une éducatrice arabe. C’est elle qui a créé Reem’s, la « boulangerie du coin », située dans le quartier de Fruitvale à Oakland, qui lui a rapidement valu une nomination pour un prix James Beard (Meilleur Chef de la côte ouest), et qui a tout récemment son nouveau restaurant : Dyafa.

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Malgré tous ces titres, Assil lutte toujours contre les préjugés négatifs qui entourent le mot « arabe ».

« Le mot est vu comme insulte à cause du climat politique, explique-t-elle dans une interview pour Thrillist. Je me suis dit : ‘Vous savez quoi ? Je vais le rendre populaire, parce que ce n’est pas une injure’. »

Je savais ce qu’elle voulait dire. Quand j’étais jeune et que je cherchais des héros arabo-américains dans les médias, je n’en trouvais que très rarement. Il n’y avait aucun pionnier, aucun restaurateur, aucun acteur, aucun écrivain auquel je pouvais m’identifier. C’était comme si on vivait tous en cachette, comme si on essayait de se faire passer pour blancs juste assez longtemps pour survivre.

Moi aussi, j’ai des parents syriens immigrés. Je suis la première à être née en Amérique, l’« enfant roi ». Mes deux parents sont de Damas, tandis que certains membres de ma famille sont du Liban ou d’Algérie.

Au printemps 2007, ma mère a décidé de nous emmener en vacances.

« Ça sera sympa, m’assurait-elle. On pourrait aller voir ta tante en Cisjordanie, voir les Grandes Pyramides, et manger du délicieux mansaf… »

J’avais seize ans, et mes cheveux naturellement bruns étaient teints d’un blond qui créait une sorte de halo au-dessus de ma tête, la moitié était turquoise. Je portais des piercings aux lèvres et un autre à l’arcade que je m’étais fait moi-même. Par-dessus le marché, je refusais de porter le hijab ou des jeans alors qu’il faisait 60 °C dehors.

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Je parlais arabe couramment mais je passais pour une « blanche ». Du coup, je pouvais comprendre ce que disaient les passants à propos de moi sans qu’ils le sachent. Et je peux vous dire que j’ai appris beaucoup de choses avec ce pouvoir.

Après toute une vie à me faire traiter de monteuse de chameau, alors que j’étais enfin « chez moi », je découvrais que les gens ne me considéraient pas non plus comme une des leurs. C’est comme si je n’appartenais à aucun pays. Nous, les enfants américains nés de la main d'œuvre immigrante, qu’est-ce qu’on allait devenir ? Quel était notre pays ? Qui nous accueillerait à bras ouverts ?

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J’ai enfin trouvé cet endroit, à Dyafa. « Dyafa », c’est le mot arabe pour « hospitalité », qui est l’un des mots que j’utiliserais pour décrire l’essence même de la culture arabe. Le concept de l’hospitalité arabe remonte à l’époque du nomadisme.

Si quelqu’un frappait à votre porte et vous réclamait de l’aide, vous vous deviez de l’accueillir comme s’il s’agissait d’un des membres de votre famille. Vous le nourrissiez, l’habilliez et l’aimiez comme tel, et en aucun cas ne lui demanderiez un loyer après une semaine ou deux de séjour. Cette idée au cœur même de l’hospitalité arabe existe toujours, et les femmes comme Assil sont championnes dans l’art de la faire passer des foyers aux restaurants de luxe.

Dyafa est une vision réconfortante de la Méditerranée soutenue par les motifs géométriques dansant sur les tuiles bleu azur, les murs de briques et les luminaires qui ornent la salle. Il y a un grand comptoir ouvert qui vous permet de voir la pita en train de cuire. Elle est façonnée puis placée dans des fours saj pour lever. L’odeur qui s’en dégage et qui m’accueille déclenche une puissante montée de nostalgie en moi. Elle me ramène à Damas, la ville qui a accueilli ma famille pendant des générations.

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Reem est intrépide et chaleureuse. Deux traits de caractère qui, en plus du désir de rapprocher les gens, constituent les éléments essentiels sans de Dyafa. Sans eux, sa création aurait été impossible. En plus de ma petite mère voilée, c’est la seule source d’inspiration arabo-américaine que je n’ai jamais eue.

Il y a quelque chose qui me touche au cœur, mais j’ignore encore quoi. Je me dégage de ce nuage éphémère et je m’assieds. À ma grande surprise, tous les plats du menu ont un nom arabe. Je les survole un par un avec mon mari, et lui apprends à bien prononcer les noms, tout en me moquant de son accent.

Tandis que je regarde les plats, je me rends compte que je vois ma propre culture pour la première fois. Je vois le vrai côté syrien que j’avais occulté si longtemps. Il était là, sous mes yeux, dans la nourriture que ma maman m’avait préparée avec amour tous les soirs. Et maintenant, des dizaines de familles pouvaient se partager les plats, sourires aux lèvres.

Il y avait le fattouche, cette salade parsemée de sumac frais, des maneesh, ces pains plats de zaatar pimentés, si appréciés dans le restau de Reem, et du maglouba, ce plat de riz cuit qui, traduit en anglais, veut dire « sens dessus dessous ». Il y avait aussi des cocktails, ce fruit défendu interdit aux musulmans pratiquants – mais tout à fait apprécié des non-pratiquants comme moi. Les ingrédients comme les dattes, le zaatar et l’eau à la fleur d’oranger, étaient tous purement arabes, eux aussi.

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En tant que chroniqueuse culinaire, ces cinq dernières années, je me suis toujours demandé ce qui pouvait bien faire pleurer des gens lors d’un repas. J’avais vu de nombreuses vidéos de personnes fondant en larmes au restaurant ou chez eux au-dessus d’un bol de raviolis cuits à la manière de leur mère. Je n’avais pas compris comment c’était possible. Jusqu’à maintenant.

Être assise et prendre un repas chez Dyafa me fait me sentir fière de mes origines. Fière de ma nourriture, de ma culture et de mon héritage. Fière de notre résistance collective.

À un certain moment donné de ma vie, j’ai arrêté de dire aux gens que j’étais Arabe, car je redoutais sans cesse les réactions négatives à la découverte de mes origines syriennes. Mais, être assise et prendre un repas chez Dyafa me fait me sentir fière de mes origines. Fière de ma nourriture, de ma culture et de mon héritage. Fière de notre résistance collective. Je me sentais redevable de cette grande femme qui rendait tout cela possible.

Le succès d’Assil en tant que chef est incontestable, mais, selon moi, c’est vraiment son influence en tant que leader communautaire qui me laisse admirative. Jour après jour, elle se démène pour drainer tout le poison qui s’est infiltré dans mon héritage, et exerce ses talents, un plat à la fois.

Le pain à pita continue de me murmurer à l’oreille. Je pense à ma famille en Syrie, j’entends la voix de ma mère qui, dans un murmure brisé, m’annonce que la maison de mon cousin a été bombardée, et qu’elle est sans nouvelles de beaucoup de ses cousins, qui semblaient avoir tous disparus de la surface de la terre, sans que l’on sache pourquoi. J’ai senti les années de persécutions et de haine me secouer de la tête aux pieds, senti toute l’injustice, et enfin, un soulagement.

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J’ai pleuré et pleuré. Pleuré de joie à l’idée de voir un tel changement culturel. De voir des gens qui profitaient de mon héritage de cette manière, de sentir ce nuage oppressant de haine se lever, de me sentir acceptée. Et ça a été trop, pour moi, au-dessus de ma salade. Mon cœur était si reconnaissant que je le sentais prêt à exploser.

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« Ce n’est pas une question d’appartenance mais plutôt de faire entendre les voix des cuisiniers. Je voulais que les gens qui partage ma culture s’en sentent fiers, mais dans cette ère dominée par Trump, les gens se sentent souvent vilipendés ou victimisés. Je veux leur redonner de l’importance », explique Assil dans une interview pour Eater.

Les Arabo-Américains ne sont pas différents des autres Américains. Nous sommes tous pareils. Nous faisons partie de ce pays, nous aussi, et nous voulons être aimés comme tout le monde.

Merci de nous donner une voix, Reem. Tu peux venir dîner à la maison quand tu veux.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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