Une intelligence artificielle pour griller les menteurs au tribunal

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Une intelligence artificielle pour griller les menteurs au tribunal

L'analyse des micro-expressions du visage permet d'identifier les menteurs avec 90% de précision.

Les tribunaux sont les lieux du doute perpétuel. Si les procédures qui encadrent l'activité des magistrats et des jurés sont très rigides, un procès reste, à de nombreux égards, une affaire de subjectivité. Aux États-Unis, on parle de reasonable doubt : pour décider de la culpabilité d’un accusé, un juge ou un jury doit se forger une opinion qui dépasse le "doute raisonnable" en s’appuyant sur des preuves matérielles ou des témoignages.

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Parce que je suis fasciné par les procès et leur cortège de faux-semblants, cette étude qui décrit un dispositif d’identification des tentatives de "tromperie" dans les vidéos de salle d’audience a immédiatement attiré mon attention après sa publication sur arXiv. Plus précisément, elle décrit un système qui utilise la vision par ordinateur pour identifier les micro-expressions du visage et qui analyse des fréquences audio pour repérer les faibles modulations de voix caractéristiques du mensonge.

Le système est parvenu à identifier les menteurs avec 90% de précision, un score bien supérieur aux performances humaines en la matière. Ce résultat a été obtenu après analyse de 104 fausses vidéos de prétoire dans lesquelles des acteurs ont joué tour à tour les menteurs et les intervenants honnêtes.

"Les mensonges interviennent partout dans la vie quotidienne, expliquent les auteurs. Certains sont inoffensifs, d’autres peuvent avoir des conséquences dramatiques et menacer le bon fonctionnement de la société. Exemple : mentir dans une salle d’audience peut affecter la justice et aboutir à la libération d’un coupable. De ce fait, la détection précise des tentatives de dissimulation dans des situations importantes est cruciale pour la sécurité des personnes.”

Ici, les modèles de machine learning ont été entraînés à faire des prédictions basées sur des "traits" spécifiques, c'est-à-dire des mesures de propriétés possédant une valeur prédictive. Si vous voulez créer un modèle permettant de déterminer si une voiture est susceptible de tomber en panne au cours des douze prochains mois, vous devrez vous intéresser à toutes les voitures qui sont ou ne sont pas tombées en panne et à leur caractéristiques, comme leur kilométrage ou leur année de construction. Ces variables constituent les "traits" desdites voitures.

Dans notre cas, les traits étudiés incluent les micro-expressions évoquées plus haut, comme les "lèvres pincées" ou les "sourcils froncés". Ces traits sont essentiels au modèle, qui utilise également l’analyse audio et l'analyse de texte (des outils dont l'efficacité est moindre pour caractériser les menteurs). De fait, les chercheurs ont observé que l'analyse des micro-expressions du visage suffisaient à identifier un menteur dans la plupart des cas.

Bien sûr, pour réussir à monter un modèle prédictif, il faut être capable de discriminer entre la vérité et le mensonge afin de pouvoir évaluer le succès dudit modèle. Ainsi, l'expérience doit mettre en scène des exemples et des situations permettant de déterminer quand quelqu’un ment sans doute possible. C'est là la principale limite de cette étude : le système repose sur une base de données diffusée il y a quelques années par des chercheurs en informatique des universités du Michigan et du Nord-Texas. On y trouve essentiellement des vidéos dans lesquelles les participants sont chargés "d’avoir l’air honnête ou malhonnête" au sein de différents scénarios scriptés. Nous ne sommes donc pas dans une situation réaliste empreinte de bluff, de faux-souvenirs, de témoignages falsifiés et autres ambiguïtés telle qu'on peut la rencontrer dans un procès en cour d'assises, par exemple.

La subjectivité d’une salle d’audience est à la fois un avantage et un frein à une approche rationnelle de la justice. Elle laisse place à l’empathie et à l'intuition (qui sont elles-mêmes source d'informations), mais entraine hélas parfois de grosses erreurs de jugement. De quoi faire réfléchir sur le bien-fondé de l'utilisation de détecteurs de mensonges entraînés par machine learning dans les salles d’audience. Quel genre d’impact un tel dispositif pourrait-il avoir sur les juges et les jurés ?

En tant qu’humains, nous avons appris à vivre avec les mensonges ; nous les percevons donc comme "normaux", nous les anticipons, et dans une certaine mesure nous savons distinguer entre les mensonges grossiers et mes mensonges en demi-teinte, les mensonges nécessaires, ou encore les mensonges énoncés sous la pression, l'influence et le stress. C'est cette capacité qui permet d’écarter un témoin ou de condamner un accusé. L'ordinateur, lui, est imperméable aux nuances. Pour lui, un mensonge est un mensonge. Hélas, la réalité n'est jamais aussi simple.