Culture

Comment un tir mortel peut-il arriver sur un tournage ?

Après la tragédie impliquant Alec Baldwin, nous avons interrogé deux armuriers sur l’usage particulier des armes au cinéma.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Luc Besson et Jean Reno
Luc Besson et Jean Reno sur le tournage de Léon. Photo : Patrick Camboulive/Getty Image

Lorsque John McClane, Clarice Starling ou James Bond tire avec une arme, il y a une raison pour laquelle il y a une détonation et de la fumée. Habituellement, les acteurs tirent avec un vrai pistolet et de la vraie poudre à canon. Mais l'arme est chargée à blanc, une munition qui ne tue pas.

C'est généralement sans danger, c'est pourquoi les professionnels du cinéma ont été choqués à l'annonce d'un accident mortel survenu jeudi 21 octobre : sur le tournage d'un western intitulé Rust au Nouveau-Mexique, un tir provoqué par l’acteur Alec Baldwin a tué la directrice de la photographie Halyna Hutchins et blessé le réalisateur Joel Souza. 

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Malgré la forte prévalence des armes à feu à la télévision et au cinéma, les incidents de ce type rarissimes. Le cas le plus célèbre est la mort de Brandon Lee, le fils de Bruce Lee, qui a été abattu lors du tournage de The Crow en 1993. Mais tirer avec n'importe quelle arme à feu (même à blanc) comporte certains risques et, pour assurer la sécurité de tous, les productions hollywoodiennes font généralement appel à des armuriers pour fournir et superviser les armes à feu sur le plateau, bien que la loi ne l'exige pas. 

Il n'est pas certain qu'un armurier ait été présent sur le tournage de Rust. Un syndicat de l'industrie cinématographique a qualifié la production de « long métrage indépendant réalisé en extérieur avec une équipe du Nouveau-Mexique ». Les cameramen auraient protesté contre les conditions de travail sur le plateau et les producteurs du film auraient fait appel à des équipes non syndiquées dans les jours précédant le tournage. 

Afin de comprendre comment un tel drame a pu arriver, nous avons contacté deux spécialistes des armes à feu, Jon Funk, basé en Colombie-Britannique, et Mike Tristano, maître d'armes et fournisseur d'accessoires d'armes à feu à Los Angeles. 

C’est quoi, une arme chargée à blanc ? 

Pour comprendre comment un acteur peut tirer avec une arme à feu sur un plateau de tournage sans que cette arme ne libère réellement une balle, il faut connaître l'anatomie d'une cartouche : elle est composée d'un projectile ou d'une balle ; d'un propulseur, c'est-à-dire de la poudre à canon ou d'un autre explosif chimique qui lance le projectile ; d'une amorce, qui met à feu le propulseur lorsque vous appuyez sur la gâchette ; et d'une douille, qui est la structure qui maintient le tout ensemble et qui est éjectée après le tir.

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Une balle à blanc est une balle dont le projectile a été retiré, de sorte que la cartouche ne quitte pas le canon. « Ça fait beaucoup de bruit et un peu de fumée, on dirait vraiment qu'une balle a été tirée, explique Funk. L’effet est très réaliste et donc très populaire à Hollywood. »

En fait, selon Funk, les studios sont si friands des balles à blanc qu'ils refusent d’adopter d'autres méthodes, comme la création de l'effet de tir en post-production ou le chargement des armes avec des munitions Simunition, une sorte de balle d'entraînement qui se brise après la décharge. 

La plupart du temps, les « faux pistolets » sur un plateau de tournage sont de vrais pistolets dont le canon a été modifié pour ne contenir que des balles à blanc. Même les vraies balles ne peuvent pas y être introduites, mais cela n'est possible que pour les armes automatiques ou semi-automatiques, pas pour les revolvers à main, c'est-à-dire le genre d'armes qui apparaissent dans les films occidentaux.

« Dans un western, vous avez plus de chances de voir une arme en simple action », explique Tristano, dont la société loue diverses armes pour des films, des haches médiévales aux gilets de kamikazes. Les fusils anciens utilisés dans les westerns sont aussi souvent remplis de balles à blanc avec moins de poudre à canon, afin que le bruit n'effraie pas les chevaux.

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Qui est chargé de la sécurité des armes sur un plateau de tournage ?

Cela dépend du plateau, selon Tristano et Funk. Le premier assistant réalisateur est généralement en charge des opérations quotidiennes sur un plateau. Un accessoiriste peut être en charge de tous les accessoires.  Ce n'est pas une obligation légale, mais les productions qui font un usage intensif d'armes à feu ont généralement un armurier, expert en armes à feu qui supervise les accessoires et les scènes dans lesquelles ils sont utilisés. 

Quels sont les protocoles de sécurité mis en place pendant le tournage ? 

Pour préparer une arme à feu pour le tournage, Tristano dit que lui-même ou quelqu'un de son équipe charge les balles à blanc. Lorsqu'il entre sur le plateau avec l'arme à feu, le premier assistant réalisateur annonce aux acteurs et à l'équipe qu'il y a une « arme chaude » sur le plateau. 

« Je donne l'arme à l'acteur ou à l'actrice et je ne quitte pas le plateau avant de l'avoir récupérée », explique Tristano. Lorsque le réalisateur dit « coupez », l'expert reprend l'arme, la décharge et l'inspecte.

Même si elle n'est chargée qu'à blanc, un « arme chaude » n'est généralement pas autorisé sur le plateau avant la scène précise dans laquelle le personnage l'utilise. Les scènes dans lesquelles les personnages dégainent simplement l'arme ou menacent avec celle-ci sont réalisées avec des armes « froides », c'est-à-dire non chargées.

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Lorsque le personnage tire enfin avec son arme, on lui dit très clairement de ne pas la pointer sur quelqu'un. « Vous ne devez jamais pointer un pistolet (chaud) vers un membre de l’équipe, un acteur ou un animal », dit Tristano. 

Une balle à blanc peut-elle tuer quelqu'un ?

Bien que moins dangereuse qu'une vraie balle, la balle à blanc crée une explosion qui peut blesser les personnes à proximité. En 1984, l'acteur Jon-Erik Hexum s'est accidentellement tué en faisant l’idiot sur le tournage de la série d’espionnage Cover Up : il a placé un pistolet chargé de balles à blanc sur sa tempe et a appuyé sur la gâchette. La cartouche avait une sorte de doublure en papier ou en coton pour que l'explosion dégage plus de fumée, et cette doublure a été propulsée directement dans son crâne. C'est l'un des principaux risques avec les balles à blanc : si un objet se loge dans le canon de l'arme, il peut être éjecté lorsque l'acteur tire. 

Funk raconte qu'une fois, il a vu une actrice enfoncer accidentellement son arme dans le sol, puis l'a vue la pointer vers l'une des caméras. « J'ai sauté pour l'arrêter car des débris avaient pu se loger dans l’arme. C'est la seule fois où j'ai crié 'coupez' et interrompu une scène », dit-il.

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Comment l'incident avec Alec Baldwin a-t-il pu se produire ?

Funk et Tristano ont été surpris par l'accident. Ils ne comprennent pas pourquoi Baldwin aurait pointé l'arme dans la direction de Hutchins ou de Souza, et ils ont du mal à imaginer qu’une balle à blanc soit assez puissante pour tuer quelqu'un, à moins que les victimes ne soient à proximité de l'arme. 

Pourtant, un mail de l'International Alliance of Theatrical Stage Employees semble confirmer que c’est exactement ce qui s'est passé, bien que plusieurs rapports différents aient été publiés et que ni les producteurs du film ni la police n'aient encore fait de commentaires à ce sujet. 

Selon Tristano, les vraies balles ne sont presque jamais utilisées sur un plateau. « Je ne vois pas pourquoi quelqu'un apporterait quelque chose comme ça sur un plateau. Même dans les scènes où l'on voit un acteur charger une arme, ce sont des simulacres créés par le département des accessoires. »

Il est particulièrement surpris par l'incident, d'autant plus qu'il a déjà remis une arme à Alec Baldwin sur le tournage du film Comme un voleur en 1999. « Il était très attentif, consciencieux et à l’écoute. C'était un plaisir de travailler avec lui et je n'ai jamais craint qu'il puisse compromettre la sécurité de l'équipe. »

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