Silvia Camporesi, Viganella
Silvia Camporesi, Le soleil se reflète sur le miroir de Viganella, 2020. Image publiée avec l'aimable autorisation de l'artiste et de la galerie z20, Rome.
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Viganella, la ville italienne qui a fabriqué son propre soleil

Entourée de montagnes et plongée dans l'obscurité trois mois par an, Viganella a trouvé une solution créative à son manque de lumière.

Une ville où le soleil ne se lève pas pendant trois mois par an. Cette image vous évoque probablement des paysages désolés de Scandinavie, de Russie ou d'Alaska au cœur de l'hiver, où les lumières des foyers restent allumées toute la journée et où les habitants ont recours à la luminothérapie pour contrer la baisse de leur taux de sérotonine. Mais à une latitude beaucoup plus basse, à la frontière entre la Suisse et l'Italie, Viganella connaît des conditions similaires. Nichée au flanc d'une vallée entourée de montagnes qui bloquent les rayons du soleil, la ville est privée de lumière chaque année de novembre à février.

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Les archives historiques de la région remontent au XIIIe siècle : cela fait plus de 800 hivers passés dans le noir pour la population locale. Chaque année, la communauté voit son dernier coucher de soleil le 11 novembre et attend que les rayons réapparaissent le 2 février. Ce jour-là, les habitants portent des vêtements traditionnels et célèbrent le retour de la lumière à travers des rituels issus de la tradition païenne. 

Comme c'est souvent le cas dans les vallées alpines les plus éloignées des centres urbains, Viganella a souffert au cours du XXe siècle d'un fort dépeuplement et ne compte plus que 163 habitants. Bien sûr, les hivers longs et sombres qui caractérisent l’endroit n'ont pas aidé à accroître la population.

En 1999, l'architecte Giacomo Bonzani a proposé d'installer un cadran solaire sur la façade de l'église, mais le maire de l'époque, Franco Midali, a rejeté l'idée. Au lieu de cela, il a demandé à Bonzani l'impossible : faire venir le soleil à Viganella pendant les 83 jours où il est bloqué par les montagnes. Comment ? En installant un énorme miroir sur l'un des sommets surplombant la ville, afin de réfléchir la lumière sur la place principale.

Illustration of how the mirror works. Viganella is located in a valley sandwiched between a 1000m mountain on the right and a smaller mountain on the left. The sun comes from the right and projects the 1000m mountain's shadow on the town. The mirror is located on the left side, 500m above sea level. It reflects the light down into the town. 

L'ombre projetée par la montagne au moment du solstice d'hiver. Illustration : Angela Larcher

Le 17 décembre 2006, grâce à un investissement important d'environ 100 000 euros, le miroir, conçu par Bonzani lui-même avec l'aide de l'ingénieur Gianni Ferrari, a finalement vu le jour. Mesurant huit mètres sur cinq, il reflète les rayons du soleil pendant six heures par jour grâce à un logiciel qui fait tourner la structure et suit la trajectoire du soleil dans le ciel.

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La lumière réfléchie n'est certes pas aussi puissante que celle du soleil direct, mais elle suffit à réchauffer la place principale et à apporter un peu de lumière naturelle dans les maisons. Le miroir n'est utilisé qu'en hiver et reste couvert le reste de l'année.

Silvia Camporesi, Viganella – large mirror made of 14 panels, propped up on a pillar on a steep cliff.

Le miroir. Silvia Camporesi, Le soleil se reflète sur le miroir de Viganella, 2020. Image publiée avec l'aimable autorisation de l'artiste et de la galerie z20, Rome.

Silvia Camporesi, une artiste multimédia qui s'intéresse aux histoires insolites et aux coins reculés de l'Italie, a décidé de visiter Viganella en 2020 dans le cadre de son projet Forzare il paesaggio. « Après deux heures de marche, nous avons trouvé le miroir : il se dressait au sommet de la montagne derrière le village, majestueux et solitaire, dit-elle. Nous l'avons filmé avec un drone, afin de pouvoir l'observer de près. En fait, il n'est pas possible de l'approcher : il est en pente et le reflet est aveuglant. »

S’il a été créé à des fins purement pratiques, le miroir a aussi un côté poétique. « L’idée derrière le projet n’est pas scientifique, mais humaine, a déclaré l'ancien maire Midali dans une interview de 2008. Le but était de permettre aux gens de se socialiser en hiver, lorsque la ville se ferme en raison du froid et de l'obscurité. »

Silvia Camporesi, Viganella – Left: sunlight reflected on the church. Centre top: light reflected on a statue of jesus on the cross. Centre bottom: light reflected on the ground. Right: light reflected on the dark wooden church door.

La réflexion du soleil sur différentes parties de la ville. Silvia Camporesi, Le soleil se reflète sur le miroir de Viganella, 2020. Image publiée avec l'aimable autorisation de l'artiste et de la galerie z20, Rome.

Le succès de Viganella a inspiré d'autres villes dans le monde. En 2013, un miroir similaire a été installé à Rjukan, en Norvège, après qu'un groupe d'ingénieurs est venu à Viganella pour étudier le miroir sur place et l’importer dans le pays scandinave.

Marseille, plein soleil

L'invention pourrait également s'avérer utile pour le village islandais de Seydisfjördur qui, situé dans un fjord très étroit, voit peu la lumière du soleil, même en été. En 2008, les habitants ont même demandé au gouvernement islandais d'avancer les horloges nationales de deux heures en été afin de pouvoir profiter d'un peu de soleil après le travail, mais jusqu'à présent, leur demande n'a pas abouti.

Alors que l'histoire regorge d'exemples de miroirs solaires – du miroir d'Archimède, qui aurait brûlé une flotte de navires romains à Syracuse, à leur application dans les télescopes spatiaux modernes –, le projet de Viganella reste unique et plutôt esthétique. Il est très apprécié par ses habitants, qui se prélasseront dans la lumière de leur soleil artificiel pour les générations à venir.

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