Société

La vie dans l’un des seuls pays qui a choisi l’immunité collective

En Suède, il n’y a pas de confinement. Je peux aller au bar, au restaurant et même au bureau. Mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas inquiète.
Caisa Ederyd bois une bière
L’autrice boit une bière dans un bar, au mois d’avril, en Suède. Photo : Caisa Ederyd

La Suède est l’un des seuls pays au monde à avoir adopté la stratégie de l’immunité collective. Les autorités n’ont instauré aucun confinement pour limiter la propagation du coronavirus. Elles ont tout de même décidé d’adopter des mesures moins restrictives comme la distanciation sociale. La journaliste suédoise Caisa Ederyd nous raconte à quoi ressemble la vie en Suède ces jours-ci.

C’est étrange de vivre en Suède. Je suis bien au courant qu’une pandémie s’abat sur le monde. Je sais que c’est quelque chose de sérieux, mais je n’arrive pas bien à saisir à quel point ça l'est. Je travaille dans une radio publique de Stockholm. Moi comme la plupart de mes collègues, on va au travail tous les jours, mais on se tient à distance les uns des autres autant que possible. L’un des principaux médias d’information du pays diffuse depuis notre bâtiment. Mais le fait est que malgré les multiples informations que j’entends tout au long de la journée, les histoires de confinement, les risques terribles qui pèsent sur l’économie ou les limitations de libertés dans les autres pays, j’ai du mal à saisir le truc. Ma vie est trop normale. Mais en même temps, pas tant que ça.

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Je vis avec mon petit ami et deux enfants. Avec deux marmots en bas âge et un boulot à plein temps, il ne me reste plus beaucoup de temps pour réfléchir. Mais ça fait deux mois que je n’ai pas vu ma mère. Elle a plus de 70 ans, et un sacré historique de problèmes respiratoires. Aujourd’hui, la stratégie adoptée par la Suède s’attache, en grande partie, à protéger les personnes comme elle.

La plupart des restrictions instaurées en Suède sont des recommandations : se laver les mains, ne pas aller à des fêtes, ne pas voyager et respecter la distanciation sociale. Limiter les contacts avec les autres personnes, d’autant plus si vous êtes une personne particulièrement vulnérable face au coronavirus, comme c’est le cas de ma mère. Au-delà de ces quelques recommandations qui relèvent du bon sens, le gouvernement a établi quatre règles : pas de rassemblements publics de plus de 50 personnes ; pas de visites dans les maisons de retraite ; pas de voyages vers le Danemark (les frontières sont fermées), les bars et les restaurant doivent s’assurer de ne pas accueillir trop de monde, et les clients peuvent n’être servis que s’ils sont assis à une table.

Étant une personne saine, je n’ai pas peur de tomber malade. Ici, la plupart de mes amis et des gens de ma famille pensent que la meilleure façon de gérer cette histoire est celle choisie par la Suède (Mon Dieu, j’espère vraiment que l’immunité collective va fonctionner). On fait même des plaisanteries sur le sujet. C’est la seule manière qu’on ait d’affronter la situation.

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Désormais, la plupart de mes amis travaillent depuis leur domicile. Quiconque présente le moindre début de symptôme de rhume doit rester chez lui. Eternuer ou de tousser sont devenus des gestes tabous. Il y a environ deux mois, je pouvais tranquillement me pointer au boulot avec un petit rhume. On nous dit de respecter une certaine distance. On a toujours le droit de faire à peu près ce qu’on veut, excepté aller en boîte, faire des grandes soirées et ce genre de chose – en gros, les trucs cool qu’on fait avec ses amis – et rendre visite à nos parents et grands-parents.

Bien que je continue d’aller au travail, ma vie est différente. J’évite les transports publics. Je me tiens à distance des gens dans la rue et au supermarché. Mes enfants vont à la garderie, mais nous avons décidé qu’ils n’iraient plus rendre visite à leurs amis chez eux. Peut-être qu’on verse dans la parano, peut-être pas.

Les dîners avec mes amis me manquent. Ma mère aussi me manque. Disons que je me sens bien, mais je suis continuellement un peu triste et inquiète. Je sais que nous jouissons actuellement de nombreuses libertés que d’autres n’ont pas, mais ce n’est pas facile d’être objective.

Je ne suis pas allée en boîte de nuit depuis février. Les rares fois où j’ai mis les pieds dans un bar au cours des deux derniers mois, j’avais l’impression de me rendre à des rave parties clandestines. C’est autorisé, oui, mais est-ce que ce n’est pas dangereux ? La plupart des gens pensent qu’il n’y a pas de danger à être dehors tant qu’on maintient une distance de sécurité. Mais chacun a sa propre estimation de cette distance de sécurité.

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« À mesure qu’on approche de l’été, les gens semblent de moins en moins se soucier du virus »

Il y a un sentiment général de confiance entre le gouvernement suédois et la population. Peut-être que ça fonctionne parce que, même en temps normal, les Suédois aiment à garder une certaine distance sociale. À titre personnel, j’apprécie d’avoir une excuse valable pour ne pas donner l’accolade aux gens.

J’ai une amie qui est médecin dans un grand hôpital de Stockholm. Voici quelques semaines, elle m’a dit qu’il y avait des signes avant-coureurs d’une catastrophe à venir. Il n’y avait pas assez d’unités de soins intensifs. Le personnel médical commençait à tomber gravement malade. Une autre de mes amies est restée seule chez elle, en quarantaine pendant sept longues semaines, avec des difficultés respiratoires. Ça rend la situation plus palpable.

Mais la semaine dernière, Stockholm a vécu ses deux journées les plus choses de l’année. J’ai l’habitude de me rendre au travail en vélo, et ces deux jours-là, la ville était absolument bondée. Il y avait des bouchons sur les pistes cyclables. Les terrasses des restaurants étaient pleines à craquer. Avec les beaux jours, de plus en plus de gens sortent de chez eux pour profiter du soleil. Résultat, quelques bars ont été contraints de fermer pour manquement aux règles d’affluence. Des gens avaient été servis alors qu’ils étaient debout, et les clients étaient trop proches les uns des autres. À mesure qu’on approche de l’été, les gens semblent de moins en moins se soucier du virus.

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Alors que certains de mes amis se mettent en quarantaine (par choix ou contrainte), d’autres organisent des petites soirées chez eux ou vont passer le week-end à plusieurs dans la maison de campagne des uns et des autres, en dépit des consignes gouvernementales à l’endroit des populations de la région de Stockholm, qui est la plus touchée par le coronavirus. Ces consignes sont pourtant simples : éviter tout déplacement qui n’est pas nécessaire.

Lorsque le gouvernement a limité les rassemblements publics à 50 personnes, le 29 mars dernier, je pensais que ça n’était qu’une question de temps, que quelques jours plus tard, la Suède aussi serait confinée, que les gens seraient contraints de rester à la maison. Mais cela fait maintenant un mois, et j’ai l’impression que le pays a pris une autre direction. Même si on n’a pas vécu de confinement, ni rien qui s’en rapproche, c’est un peu comme si les gens en avaient assez : « L’été est tout proche ! Retournons à la vie normale. »

En Suède, on regarde le confinement comme une réalité lointaine. On pourrait probablement s’y plier si on nous le demandait. Pour quelques semaines au moins. Certains pays ont même mis en place des systèmes d’amendes pour s’assurer que les gens restent bien chez eux. Ici, on demande plutôt à la population de faire preuve de bon sens. Mais quand la situation n’a rien de normal… on peut vite se sentir un peu perdu. Quant à moi, je m’inquiète. Principalement parce que je ne m’inquiète pas assez.

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