Le Grand sommeil : une décennie avec les adeptes de la cryogénisation

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Le Grand sommeil : une décennie avec les adeptes de la cryogénisation

Dans le cerveau des humains qui veulent se réveiller dans 300 ans pour devenir immortels.

Du nitrogène liquide remplit un "sarcophage" censé accueillir un patient. Alcor Life Extension Foundation, Scottsdale, Arizona, États-Unis, en octobre 2006. Toutes les photos sont tirées de The Prospect of Immortality de Murray Ballard, publié par GOST en avril 2016.

De 2006 à 2015, le photographe britannique Murray Ballard s'est intéressé à la cryogénisation. Le fait de pouvoir congeler un corps dans l'espoir de le ranimer un jour l'a fasciné. Il en a tiré un livre, The Prospect of Immortality, qui vient tout juste d'être publié.

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J'ai eu l'occasion de discuter avec lui afin d'en savoir plus sur son projet et de lever le voile sur des types persuadés que notre futur sera plus accueillant que notre monde actuel.

Frank, un patient potentiel, à Peacehaven, dans le Sussex de l'Est, Grande-Bretagne, en mai 2007.

VICE : Salut Murray. D'où est venue l'idée de t'intéresser au milieu de la cryogénisation ?
Murray Ballard : J'ai commencé ce projet en 2006 alors que j'étudiais la photographie à l'université de Brighton. Je travaillais sur le thème de la « préservation ». Je devais photographier différentes choses : des momies égyptiennes, des taxidermistes, des banques de sperme, des librairies, des archives, etc. La cryogénisation faisait partie des thèmes à aborder, mais j'étais persuadé qu'il ne pouvait s'agir que de science-fiction. J'ai d'abord photographié un taxidermiste dans un musée d'histoire naturelle, mais les images n'étaient pas passionnantes.

Quelques jours plus tard, je lisais le Guardian, qui m'apprenait qu'un couple français avait tenté de se cryogéniser via un congélateur modifié situé dans la crypte de leur château. Leur expérience avait pris fin – elle est interdite – mais tout cela m'a permis de comprendre qu'aux États-Unis, des professionnels s'intéressent à la cryogénisation. J'ai tout de suite voulu prendre un avion pour les rencontrer mais je n'étais qu'un étudiant sans le sou. Je me suis contenté de photographier des cryonicistes en Grande-Bretagne. J'ai fini par me rendre outre-Atlantique grâce à une bourse, en octobre 2006. Le projet vient de là.

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Selon toi, comment certains volontaires concilient-ils leur foi religieuse avec le thème de la cryogénisation ?
En fait, je n'ai pas croisé beaucoup de cryonicistes croyant en Dieu. Malgré tout, certains volontaires ne voient pas de contradiction, et considèrent que la cryogénisation relève du même domaine que la réanimation cardio-pulmonaire. En Russie, j'ai eu l'occasion d'interroger des volontaires non-athées. Le premier patient russe était un « neuro », un type qui a choisi que l'on cryogénise uniquement sa tête. Le reste de son corps a été enterré dans un cimetière situé dans les faubourgs de Saint-Pétersbourg. C'était en 2005. Je n'étais pas présent sur place à l'époque, mais je me suis rendu sur sa tombe avec sa fille en 2009. Elle était clairement croyante. Lors d'un autre voyage en Russie en 2010, j'ai été témoin de la cryogénisation d'un homme qui avait exigé qu'on lui laisse des cierges et des cartes de prière. J'ai donc le sentiment qu'il n'y a pas forcément de contradiction aux yeux des patients.

Quel regard portes-tu sur ces volontaires ?
On peut dire que la plupart des cryonicistes sont hyper optimistes au sujet du futur. Ils imaginent que leur vie d'ici deux siècles sera bien plus agréable que celle d'aujourd'hui – ils citent l'histoire en exemple, avec l'élévation progressive du niveau de vie. Quant à la façon dont ils vivront plus tard, ils avouent qu'il est impossible de le savoir. Bon, certains volontaires parlent de voitures volantes, d'intelligence artificielle ou de vivre sur d'autres planètes, mais ce sont des exceptions.

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Il est intéressant de notre que Robert Ettinger, le « père de la cryogénisation », m'a précisé qu'avant, il faisait de grandes déclarations au sujet du futur, en espérant que ça convaincrait les gens de se porter volontaires. Il a compris que c'était une erreur. Les gens craignent l'inconnu. Ettinger m'a dit que la plupart des volontaires aimeraient que le futur ressemble à aujourd'hui, sans les quelques inconvénients de notre société actuelle.

Quel volontaire t'a le plus marqué ?
Selon moi, il s'agit de Fred, que j'ai rencontré en 2012. Je demande souvent aux cryonicistes ce qu'ils prévoient d'emmener dans le futur. La plupart n'en ont aucune idée. Fred, lui, avait déjà son idée en tête. Il avait perdu sa femme quelques années auparavant, et avait choisi de quitter l'Ohio pour venir vivre tout près du Cryonics Institute dans le Michigan, afin de pouvoir mourir sereinement.

Je l'ai rencontré chez lui, et il m'a conduit dans sa cave pour me montrer une petite valise pleine de photos. Il s'agissait de toute la vie de Fred en images, de sa première batterie au portrait de sa femme. À mes yeux, ça en dit long sur le projet en lui-même.

Que comptes-tu faire désormais, après avoir passé 10 ans aux côtés des cryonicistes ?
J'aimerais me pencher sur le transhumanisme, qui se sert de la technologie afin d'améliorer la condition humaine. J'imagine que c'est une suite logique. La difficulté consiste à l'étudier sous un angle original, en prenant en compte que de nombreux concepts et technologies n'existent pas encore.

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Je vois. Merci Murray.

Suivez Fin sur Twitter.

Cryonics Institute, Clinton Township, Michigan. Mai 2007.

Aaron Drake, chargé de la partie médicale, prépare un traitement destiné à être utilisé lors des premières étapes de la cryoconservation.

Exemple de coffre pour patient, Alcor Life Extension Foundation, Scottsdale, Arizona. Août 2009.

Margaret Kiseleva tient un portrait de sa mère, Ludmila, dans le complexe KrioRus, situé à Alabushevo, Moscou. Septembre 2010.

Des échantillons ADN au domicile de David et Ellen Styles, à Macclesfield, Cheshire. Février 2009.

Des cryostats, Cryonics Institute, Clinton Township, Michigan. Avril 2010.