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Pourquoi je résiste à l’appel du téléphone intelligent

Au 21e siècle, l'intimité n'existe plus et est officiellement devenue un luxe.
Photo : Pixabay

Qui de nos jours peut se targuer de vivre à l'abri du regard de tous, ailleurs que dans une caverne sur une île déserte? Dans notre monde où tout, tous et toutes doivent être connectés en permanence, nos moindres activités sont traquées, sans compter ce que nous mettons en ligne de notre propre gré. Au 21e siècle, l'intimité n'existe plus et est officiellement devenue un luxe.

Rentre dans le moule, sinon t'es franchement louche
Tout récemment, les firmes de sécurité informatique Kaspersky et Symantec ont découvert un nouveau logiciel d'espionnage qu'ils ont nommé Sauron, en référence à l'œil maléfique du plus grand des vilains du monde fantastique, gracieuseté de Tolkien. Comme il évite la détection en s'adaptant à chaque nouvel environnement qu'il contamine, l'absence de modèle lui a permis de passer très longtemps inaperçu. La puissance des algorithmes utilisés donne aux deux firmes l'impression que le créateur serait un gouvernement. Loin d'être un phénomène nouveau, les appareils d'État ont toujours œuvré pour espionner leur propre population ou celle de pays étrangers, comme ç'a été le cas avec le piratage du Parti démocrate américain.

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En France, l'application gouvernementale SAIP (Système d'alerte et d'information des populations) qui doit prévenir les citoyens notamment en cas d'attentat, s'installe uniquement après l'acceptation d'autorisations qui donnent froid dans le dos. Comme on peut le voir sur l'image, l'app ne demande rien de moins que d'accéder aux fichiers stockés sur la mémoire de votre appareil et de les lire, et elle se réserve même le droit de modifier, voire de supprimer leur contenu. Idem pour les fichiers multimédias. Ce n'est même plus « Big Brother is watching you », mais « Big Brother fait bien ce qu'il veut ». Examiner les risques certes, mettre toute une population sous écoute, c'est autre chose.

As-tu bien lu les petits caractères?

Que ce soit dans le cadre public ou privé, ces pratiques jouissent d'un vernis légal. En acceptant le plus souvent la licence d'utilisation (mieux connue sous l'acronyme EULA, pour « End User Licence Agreement ») sans en lire le moindre mot, l'utilisateur autorise les intrusions dans sa vie privée sans en être conscient. Dans la vie, « quand c'est gratuit, c'est que c'est vous le produit »!

Pokémon Go en est le meilleur exemple récent. Dès lors que vous acceptez d'installer l'app, on vous retire tout droit de poursuites judiciaires contre ses créateurs, une clause qui est par ailleurs totalement illégale au Québec (Loi sur la protection du consommateur, art. 11.1). Mais qui s'en soucie en échange de quelques Pikachus? À l'échelle mondiale, Facebook fait régulièrement parler d'elle en modifiant sa politique de confidentialité pour accroître son emprise sur les données de ses utilisateurs. Idem pour Spotify ou même Apple, qui tente de révolutionner la pratique en inventant des termes moins révélateurs comme celui de l'« intimité différentielle ».

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Tout commence avec un téléphone intelligent, mais…

Il faut dire que la génération née avec un cellulaire ou une tablette entre les mains ne se soucie guère de son intimité puisqu'elle en publie une (trop) grande partie régulièrement de son propre gré sur les réseaux sociaux. C'est un phénomène générationnel très récent; rappelons que le web vient de fêter ses 25 ans!

Désormais, pour les entreprises, nul besoin de fouiller dans la vie des gens puisqu'ils la leur servent gratuitement sur un plateau d'argent. En divulguant les choses que vous préférez en ligne, par exemple, vous aidez les entreprises à vous profiler — et à profiler les clients qui vous ressemblent. En gros, vous les aidez à vous pousser à consommer plus de ce que vous aimez déjà et à anticiper vos désirs futurs.

Je résiste donc encore à l'appel des sirènes du téléphone intelligent. Je ne suis toujours pas « l'heureux propriétaire » de ce cordon ombilical numérique. Car c'est là que tout commence. Dès lors qu'une personne en achète un, c'est automatiquement une partie de sa vie privée qu'il expose, volontairement ou non, à des regards pas toujours bien intentionnés. Les apps demandent souvent l'accès à l'historique de navigation, aux fichiers multimédias (photos et autres) ainsi qu'à vos contacts. Nul doute que ce n'est pas le genre de renseignements que vous donneriez sans crainte à n'importe quel inconnu dans la rue.

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Malheureusement, d'ici quelques années, les téléphones ne seront que la partie visible de l'iceberg. De nombreux objets domestiques seront alors « connectés » à internet. De la voiture au frigo en passant par votre porte d'entrée, votre thermostat ou votre aspirateur, tous ces appareils autrefois indépendants les uns des autres ne seront plus qu'une seule et même grande famille. Ce qui peut entraîner son lot de problèmes.

Il y a quelques semaines, par exemple, des chercheurs ont trouvécomment déverrouiller des millions de voitures Volkswagen avec une trousse d'à peine 50 $, tandis quedes hackeurs ont déjà réussi à prendre contrôle à distance de dildos connectés. Il y en a donc pour tous les goûts et tous les degrés de risques possibles.

La lumière au bout du tunnel?

On n'est pas sortis de l'auberge, à moins de s'exiler loin des réseaux. Pour l'ONU, nuire à l'accès à internet est une violation des droits de la personne. Les prochains accords de commerce international tel que l'accord de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne — le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, aussi appelé TAFTA — ne font qu'élargir les pouvoirs des sociétés privées tout en contraignant les droits de quiconque voulant leur faire opposition. Dans le cas du TAFTA, en autorisant le stockage de données d'une app dans des pays étrangers, les renseignements échappent alors à la législation en vigueur dans le pays de l'utilisateur, laissant au concepteur toute la latitude nécessaire pour les utiliser comme bon lui semble. Rien de bien rassurant.

Entre des entreprises avides d'en savoir plus et des gouvernements qui veulent sécuriser tout en épiant sans vergogne qui que ce soit, il vous faudra peut-être faire graver cette célèbre phrase de Benjamin Franklin sur le dos de la coque de votre téléphone : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité (j'ajouterais: et de gratuité) ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. »

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