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Des pilleurs de tombes d’extrême-droite volent des crânes maoris pour promouvoir leurs théories racistes

En Nouvelle-Zélande, des « historiens » auto-proclamés diffusent leurs théories sur les origines caucasiennes d'une prétendue civilisation pré-maorie dans les médias nationaux.

Cet article est initialement paru sur VICE New Zealand.

La semaine dernière, un groupe « d'archéologues » marginaux et d'historiens auto-proclamés ont fait apparition dans plusieurs médias néo-zélandais. Ils y font la promotion de théories sur les origines européennes d'une civilisation qui aurait vécu sur le territoire de Nouvelle-Zélande avant les Maoris. Selon Vice, l'un de ces archéologues aurait profané une tombe maorie sacrée, afin d'en extraire les ossements. Qui sont ces individus et quels sont leurs liens avec l'extrême-droite néo-zélandaise ? Et surtout, comment ont-ils réussi à se faire une place dans les médias aussi facilement ?

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Le week-end des 13 et 14 mai, la première mention d'un peuple primitif de race blanche qui aurait vécu en Nouvelle-Zélande avant les Maoris est apparue dans les journaux : « Des visages pré-Maoris ont été reconstitués à partir de crânes, selon un historien de la région de Northland. » Publié initialement dans le Northern Advocate, cet article a été repris par le Herald, qui a réalisé l'interview du soi-disant historien Noel William. Ce dernier affirme avoir trouvé des crânes d'individus ayant précédé le peuple Maori sur le sol néozélandais, et a fourni des reconstitutions faciales d'un expert de médecine légale anonyme de l'Université d'Édimbourg. Par miracle, ces reconstitutions correspondent à ses théories : l'homme et la femme représentés ont les cheveux blonds, les yeux clairs et autres traits caractéristiques d'une origine caucasienne.

Si les hypothèses de Noel William. s'étaient avérées exactes, elles auraient provoqué une véritable tempête dans le monde scientifique, puisqu'elles remettent en question l'ensemble de l'histoire de la colonisation de la Nouvelle-Zélande telle qu'elle est présentée et acceptée par les historiens et les archéologues aujourd'hui. L'article justifie la dichotomie entre les « hypothèses de la science officielle » et celles de Noel William en faisant allusion à une vaste conspiration des universitaires, des historiens et des groupes politiques maoris. Vice a enquêté pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette vaste théorie du complot.

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Quand Vice a contacté l'Université d'Édimbourg pour en savoir plus sur le mystérieux expert en médecine légale, une chargée de communication de l'université a expliqué qu'elle avait consulté plusieurs départements afin de tenter de l'identifier. « Personne ne voit de qui il s'agit », explique-t-elle. « Le département de pathologie forensique ne fait pas partie de l'université, mais je leur ai tout de même posé la question. Ils ne connaissent pas non plus le chercheuren question. » Elle conclue : « À notre connaissance, aucun chercheur de l'Université d'Édimbourg n'a contribué à ce projet. »

L'article a provoqué un scandale en Nouvelle-Zélande et dans la communauté scientifique internationale en archéologie. L'expression « ramassis de conneries racistes » a été utilisée à cette occasion.

Siân Halcrow, bio-archéologue à l'Université d'Otago, explique qu'il n'existe à l'heure actuelle aucune preuve scientifique de l'existence d'une soi-disant race « pré-maorie ».

Du point de vue archéologique, dit-elle, l'article lui a semblé ridicule dès les premières secondes de lecture. « Mon détecteur de conneries a sonné dès que j'ai lu les références aux origines et aux caractéristiques physiques des squelettes, » explique-t-elle. « L'affirmation selon laquelle la jeune femme vient du pays de Galles est parfaitement ridicule. Il n'y a aucun moyen de déduire cette information à partir de la taille du crâne et de sa forme, et encore moins de déterminer si elle avait les cheveux blonds et les yeux bleus. »

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Elle ajoute que les portraits produits par l'expert forensique invisible sont « extrêmement comiques ».

Halcrow a également remarqué que, selon l'article, "la femme mesurait 1m30 de haut, ce qui signifie que les profanateurs n'ont pas évalué sa stature correctement. Les extrapolations faites à partir des données anthropopaléontologiques dont ils disposaient sont erronées. Dans le cas contraire, sa taille aurait été plus petite que la taille moyenne d'une personne atteinte de nanisme."

Le New Zealand Herald a retiré l'article mercredi dernier.

Outre ses compétences douteuses en archéologie, Hilliam s'est rendu coupable d'un plus grand crime aux yeux des Néo-zélandais : profaner un lieu sacré pour voler des crânes.

Ngarino Gabriel Ellis est maître de conférences à l'Université d'Auckland, et vient de terminer une série de communications sur le site funéraire maori évoqué dans l'article du Herald. En lisant ce dernier, elle a immédiatement évoqué la possibilité que les urupā (les tombes sacrées des Maori) aient été profanés. "Je ne vois pas comment ils auraient pu obtenir ces crânes autrement. Ils n'ont pas pu les acheter, c'est illégal d'acheter des restes humains en Nouvelle-Zélande", explique-t-elle.

Prélever des crânes où tout autre autre objet sur des sites funéraires historiques et "répréhensible" et potentiellement criminel, selon elle. "C'est une profanation de lieu sacré. Prélever des restes humains dans des urupā ou de toute autre sépulture humaine constitue une violation de nos pratiques funéraires. Il s'agit de nos ancêtres. Leurs corps ne doivent pas être tirés de leur tombes et disséminés à l'étranger."

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Elle ajoute que dans la communauté scientifique internationale, il existe désormais des règles strictes concernant l'étude, le déplacement et la distribution de restes humains (comme le Human Tissue Act britannique). Dans ce contexte, il apparait d'autant plus douteux qu'une université réputée ait pu accepter d'étudier des crânes humains en provenance de Nouvelle-Zélande aussi facilement, et sans traces administratives.

Hilliam a avoué qu'il savait qu'envoyer des restes humains à l'étranger était illégal, mais il estime que la loi est injuste à ce sujet.

Après plusieurs tentatives infructueuses, Vice a enfin réussi à contacter Noel Hilliam, qui a avoué sans difficulté que oui, il avait bien prélevé des ossements et des crânes sur différents sites funéraires historiques de la région du Northland. Quand on lui a demandé s'il avait consulté l'iwi local pour obtenir une autorisation, il a répondu : "Non, c'était inutile. Je n'ai pas besoin de l'iwi."

Il ajoute qu'il avait déjà envoyé des ossements à un spécialiste de médecine légale à Londres, en 1997. Selon lui, l'homme - qu'il a refusé de nommer - avait analysé des dents humaines pour une étude. Le spectre du Human Tissue Act britannique lui est de toute évidence indifférent. "Oui, je sais que c'est illégal. Je suis prêt à confronter les institutions néo-zélandaises, ainsi que la police."

Hilliam a avoué qu'il savait qu'envoyer des restes humains à l'étranger était illégal, mais il estime que la loi est injuste à ce sujet. Il a ajouté qu'il ne pouvait pas mettre Vice en contact avec l'expert de médecine légale londonien, car celui-ci serait "décédé récemment". Les reconstitutions publiées dans l'article du Herald auraient été réalisées par quelqu'un d'autre, une chercheuse d'Edimbourg. Il a refusé de donner son nom.

"Cette histoire s'inscrit dans un contexte raciste plus large, celui de la négation de la légitimité des peuples indigènes, de leur culture et de leurs réalisations sur leur territoire."

Mais outre Hilliam, qui se cache exactement derrière cet article ? Lorsque les premières histoires sur « les Européens pré-maoris » de Nouvelle-Zélande ont commencé apparaître, en 2008, elles provenaient de trois sources principales. En plus Hilliam, l'article cite également Kerry Bolton, qui a publié un essai intitulé Lords of the soil affirmant que « la Polynésie a été occupée par les peuples de race europoïde depuis de temps immémoriaux ». Bolton est un ancien secrétaire du Front national de Nouvelle-Zélande - un groupe d'extrême droite à l'idéologie nationaliste blanche disposant d'une petite armée de skinheads. Il est également un ancien porte-parole de l'Union Fasciste de Nouvelle-Zélande, et a fait l'objet de plusieurs plaintes au Conseil de la presse au cours de son mandat. En 2008, il été le sujet d'une thèse publiée en 2008, "Dreamers of the Dark: Kerry Bolton and the Order of the Left Hand Path", une étude de cas sur la synthèse satanique / néo-nazie néozélandaise, qui a examiné des liens présumés entre factions nationales-socialistes et satanistes en Nouvelle-Zélande. Sur sa page Facebook, qui par un merveilleuse hasard a recueilli 666 adeptes tout pile, il poste des références à des ouvrages sur le « nouvel ordre mondial » et le « mythe Parihaka ». Son image de profil est le drapeau du parti fasciste autrichien, le Front de la Patrie. Il cite également Martin Doutre, de la One New Zealand Foundation, dont l'ancien dirigeant Allan Titford a été emprisonné pour viol et incendie criminel après une longue campagne contre l'iwi local. Hilliam explique à Vice que lui, Bolton et Doutre faisaient partie d'une « sorte de collectif » qui « tentait de mettre au jour l'histoire véritable de ce pays. »

L'archéologue Donna Yates a expliqué à Vice qu'il n'existe aucune preuve d'une colonisation européenne pré-maorie de la Nouvelle-Zélande. Selon elle, cette histoire s'inscrit dans un contexte raciste plus large, celui de la négation de la légitimité des peuples indigènes, de leur culture et de leurs réalisations sur leur territoire. "Ces gens ont inventé toute une mythologie raciste visant à nier les droits des Maoris sur leurs terres. Et hélas, ils arrivent facilement à duper les journalistes."