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Société

De la difficulté d'être gay dans un camp de réfugiés en Éthiopie

On peut échapper à la guerre, mais rarement aux préjugés.

Quand son père a appris son homosexualité, il l'a menacé de mort. C'est à ce moment-là qu'Hannington Mugisha a compris qu'il devait quitter l'Ouganda. Il ne savait ni où aller, ni comment s'y rendre. Un jour, alors qu'il jardinait, son père est arrivé par surprise derrière lui, une corde à la main, et l'a traîné jusqu'à l'immense acacia qui trône devant leur maison. Hannington s'est retrouvé pendu à une branche, sans pouvoir respirer, tandis que son père rentrait chez lui sans se retourner. Alors qu'il perdait connaissance, sa sœur – qui avait assisté à la scène de loin – a volé à son secours et a coupé la corde. Elle lui a dit de fuir, et c'est ce qu'il a fait.

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Hannington a utilisé l'argent qu'il avait mis de côté en vendant des cartes prépayées pour portables pour se rendre en Éthiopie. Un ami lui avait dit qu'il serait en sécurité dans un camp de réfugiés. En prenant différents bus et taxis-brousses, il lui a fallu cinq semaines pour arriver à Sherkole, l'un des sept camps de réfugiés gérés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) dans les pays d'Afrique de l'Est. Après s'être acquitté des formalités, il a reçu une couverture et un peu de nourriture, et on lui a présenté son compagnon de chambrée. Hannington a dévoilé son orientation sexuelle aux représentants du HCR, mais il a préféré ne pas en informer ses pairs.

Ses nouveaux voisins – tous originaires de la région des Grands Lacs – étaient, dans ce camp, à l'abri de toutes les tragédies, après avoir fui leur pays pour sauver leur vie.

Mais pour Hannington et les autres africains de la communauté LGBTQ qui trouvent refuge dans un camp comme Sherkole, il y a un problème de taille, qui les différencie des autres : ils fuient également des préjugés et des lois qui les oppressent. L'homosexualité est illégale dans 33 des 54 pays d'Afrique. Dans les autres pays, le lynchage se pratique parfois sans grandes conséquences – la pression sociale faisant le reste. Si l'homosexualité n'est pas illégale dans le camp de Sherkole, la plupart des réfugiés qui y résident n'ont pas l'habitude de côtoyer la communauté LGBTQ.

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Le HCR défend un code éthique très précis quant aux personnes marginalisées, et met en œuvre des directives pour prendre en charge la population LGBTQ. 64 % des bureaux du HCR ont mis en place au moins une mesure pro-LGBTQ : l'option « genre neutre » sur les formulaires d'inscription ou, par exemple, la création d'« espaces sécurisés » dans les files d'attente à l'entrée des camps pour les membres de la communauté LGBTQ. Bien qu'ils ne puissent pas s'occuper de chaque situation personnelle, les responsables des camps « ont mis en place des programmes spécifiques pour répondre aux besoins et aux attentes de personnes qui courent un risque particulier », m'explique l'attachée de presse du HCR, Jenifer Fenton. Aussi, si la situation l'exige, le HCR peut transférer un réfugié d'un camp à un autre – en théorie.

Quoi qu'il en soit, un an après être arrivé au camp, Hannington s'est réveillé une nuit en entendant sa porte en bois se briser sous des coups de machette. Quelques jours plus tôt, la rumeur selon laquelle il était gay s'était répandue parmi les autres réfugiés. Le harcèlement avait commencé par quelques insultes, avant d'escalader brusquement lorsqu'on avait jeté des excréments sur sa porte et ses fenêtres ; et maintenant, la machette.

« À partir du moment où ils ont appris que j'étais gay, j'ai eu l'impression d'être de retour en Ouganda », m'a dit Hannington lors de notre dernier échange via Skype. « Je ne pouvais plus quitter ma tente, je ne pouvais plus sortir de chez moi sans craindre pour ma vie. Il est très difficile de se dire que ces gens, qui ont eux aussi fui la guerre et la violence, veulent me voir souffrir malgré tout. »

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Hannington a rapporté les incidents au bureau du HCR, expliquant qu'il ne se sentait pas en sécurité et qu'il voulait être envoyé dans un autre camp. On lui a dit de revenir dans six semaines, le temps que son dossier soit examiné par l'Administration for Refugee and Returnee Affairs, une commission gérée par le gouvernement éthiopien. Sa demande a été refusée.

Quand il est rentré chez lui après avoir appris la nouvelle, il a entendu de la musique et a vu des gens rassemblés pour une sorte de fête improvisée. Il a demandé ce qu'on célébrait. « L'homosexuel s'en va », lui a répondu quelqu'un. « Ils ont dit qu'il allait être déporté. »

L'homophobie est une question complexe en Afrique, qui trouve ses racines dans l'Histoire. Modifier des comportements façonnés à la fois par la loi et par la société n'est pas chose facile.

Ces dernières années, une nouvelle vague anti-homosexualité – largement financée par des conservateurs américains anti-LGBTQ – a renforcé la haine à l'égard de cette communauté et a inspiré des documentaires percutants sur le sujet, comme God Loves Uganda. Melanie Nathan, directrice exécutive de l'African Human Rights Coalition, m'a dit : « La seule manière de changer les choses est de réfuter les mensonges et les mythes propagés par les dirigeants politiques et religieux. Il faut trouver un moyen de montrer que les homosexuels ne sont ni des pédophiles, ni des promoteurs de l'homosexualité. »

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Des efforts sont faits sur le terrain, mais il faut du temps pour qu'ils aient un impact visible. Melanie Nathan s'est récemment rendue à la conférence « Rise Up » à Portland, dans l'État de l'Oregon, où des dirigeants religieux discutaient de divers problèmes liés aux droits humains – des politiques d'incarcération massive aux droits de l'Homme à l'étranger. Melanie Nathan a remarqué que « différents groupes religieux veulent se rassembler et trouver des solutions pour essayer de réduire l'homophobie sur le continent africain, en approchant par exemple les dirigeants politiques et les évêques pour les faire changer d'avis : l'idée est de se concentrer sur l'amour et l'acceptation plutôt que sur le péché. »

Le changement est déjà d'actualité dans certaines régions. La Namibie, considérée comme l'une des nations africaines progressistes, a organisé sa première gay pride l'année dernière ; l'archevêque sud-africain Desmond Tutu et l'évêque ougandais Christopher Senyonjo, ainsi que l'ancien président botswanais Festus Mogae, ont dénoncé les persécutions dont sont victimes les personnes membres de la communauté LGBTQ. « Il nous reste un long chemin à parcourir, la plupart des dirigeants restent silencieux, ou hostiles, face aux droits civiques des LGBTQ », m'a expliqué par mail Peter Tatchell, militant de la cause LGBTQ depuis plus de 50 ans. « Le changement va finir par se produire. Aucune tyrannie ne dure éternellement. »

Mais revenons-en à Hannington. Lors de ses derniers jours au camp de Sherkole, il est resté chez lui, sortant uniquement pour aller chercher à manger au réfectoire tenu par d'autres réfugiés. Ces derniers ont refusé de le nourrir. « Ils m'ont dit que je ne méritais pas d'être servi, et que je ne devais plus revenir. » Il est resté enfermé chez lui cinq jours avant de se rendre compte qu'il ne pouvait plus vivre comme ça. Il est donc parti au siège du HCR, à Addis-Abeba, situé à plus de 600 kilomètres de là. Il a dormi devant le portail pendant deux semaines avant de pouvoir prendre un rendez-vous afin de demander de l'aide ; entre-temps, il s'est fait arrêter pour vagabondage. Le HCR l'a envoyé dans le camp de Tonga, en Éthiopie, mais la nouvelle de son homosexualité s'est de nouveau répandue parmi les réfugiés. Le harcèlement a repris de plus belle.

Hannington s'est donc réfugié au Kenya, où il dit avoir trouvé une petite communauté gay très soudée. Son avenir est toujours incertain, mais il est sûr d'une chose : « On peut repartir de zéro dans un camp, mais il ne faut pas s'attendre à pouvoir y vivre librement. Je ne retournerai plus jamais là-bas. »

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