Petit guide d'usage des réseaux sociaux à l'intention des rappeurs
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Petit guide d'usage des réseaux sociaux à l'intention des rappeurs

Utiliser les réseaux sociaux à bon escient requiert 3 qualités primordiales : bon sens, capacité à prendre du recul, et capacité à analyser son auditoire - en somme, tout ce que les rappeurs n'ont pas.
Genono
par Genono

Utiliser les réseaux sociaux à bon escient requiert trois qualités primordiales : bon sens, capacité à prendre du recul, et capacité à analyser son auditoire - en somme, tout ce que les rappeurs n'ont pas. Si le bilan était déjà clairement négatif à l'époque où Facebook trônait sur le monde, la diversification des outils de communication -Twitter, Snapchat, Periscope - leur a surtout permis de diversifier les conneries. Le potentiel de bêtise du rappeur de base étant naturellement supérieur à la moyenne, il suffit bien souvent de poser un smartphone entre ses mains pour démarrer une shitstorm d'une puissance minimale de 7 sur l'échelle de Jesse Hugues.

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Il y a tout un tas de choses à ne pas faire sur les réseaux sociaux, et la plupart paraissent terriblement évidentes. Malheureusement, elles ne semblent pas si évidentes pour tout le monde. Prenons un exemple très concret : vous vous souvenez de l'image assez terrible de Rihanna, le visage tuméfié après un passage à tabac par Chris Brown ? Bon. Maintenant, imaginez que vous ayez un produit à vendre - le cas échéant, une chanson. La pire idée du monde serait de reprendre la photo de Rihanna, et de la publier sur Instagram en y collant le nom de votre morceau, "On est sur les nerfs".

Et pourtant, c'est précisément ce qu'a fait Joke l'année dernière. Résultat immédiat, une première shitstorm de qualité pour lui. On aurait pu s'arrêter là, supprimer l'image de "promo", et laisser passer le scandale… mais Joke, probablement par pur sens du spectacle, s'est dit que le filon de la tempête de merde n'avait pas été suffisamment exploité. Conséquence, des explications fabuleusement improbables et complètement foireuses : le prétexte "suite à la demande des managers de Rihanna" - balancé via Facebook, cette fois-ci - a été l'objet d'une seconde shitstorm et d'une foultitude de moqueries par de jeunes gens très mal intentionnés.

Joke n'est évidemment pas un cas isolé de mauvaise gestion de ses outils de promotion. Dans un genre différent, moins provocateur et plus ingénu, Fababy sait faire parler de lui pour de mauvaises raisons, grâce à un plan simple mais efficace en trois étapes. L'entrée en matière s'est faite en douceur, grâce à un hashtag #punchlinecompliquerdefababy - avec la belle faute en plein milieu, oui oui - au principe con comme une vanne Carambar : le rappeur se propose d'expliquer certaines de ses phases, trop difficiles à comprendre pour un enfant de moins de huit ans. Alors évidemment, expliquer une punchline, c'est un peu comme expliquer une blague : à partir du moment où il faut l'expliquer, c'est qu'elle n'a pas fait effet - d'autant que les lines en question s'apparentent plus à des jeux de mots bas de gamme qu'à de véritables punchs. Évidemment, le pauvre garçon est pris pour cible par une communauté d'internautes démoniaques.

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L'étape 2 du plan de Fababy pour régner sur le monde du shitstorming tient en un seul mot, l'équivalent internet du bouton rouge de la bombe nucléaire : SPOILER. Après un coup d'essai réussi avec la série Empire, le véritable coup de maitre arrive avec la fin de la saison 5 de Game of Thrones, et la mort/non-mort de TU SAIS QUI : un tweet ne laissant pas la moindre place au doute, et surtout, une photo du personnage en gros plan bien rapproché, histoire d'être certain que tout le monde la voit passer.

Lassé d'être moqué sur Twitter, l'ex-membre de Banlieue Sale s'est attaqué au grand réseau social de la nouvelle génération : Snapchat -le genre d'outil que tout bon trentenaire regarde avec méfiance et dégout, tant il lui rappelle à quel point il est devenu vieux et démodé. Probablement échaudé par les nudes balancés toutes les trois semaines par Kim Kardashian, Fababy a vu une photo de lui nu comme un ver, debout dans une baignoire, tourner à la vitesse de la lumière sur les écrans de beaucoup trop de monde - dont beaucoup, beaucoup de pauvres gens qui n'avaient rien demandé à personne. Bon, il y a quand même un truc cool dans cette histoire : les détournements complètement mongols de sa photo ont occupé les graphistes amateurs pendant leurs longues journées de chômage.

On se fout affectueusement de la gouaille de nos rappeurs franchouillards, mais du côté américain, les mecs sont encore plus perchés. Déjà, il y a Kanye West. Putain, Kanye, on n'en peut plus. Je n'ai même pas la force de t'accorder plus de deux lignes. Prenons un exemple plus terre-à-terre : B.O.B, ce rappeur qui s'est lancé dans une croisade contre la science en affirmant tranquillou qu'il croyait que la Terre était plate. Le point de départ de toute cette histoire, une photo postée sur Twitter évoquant simplement ses doutes sur le sujet.

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Le post a bien entendu fait le tour du world wide web et a donc été suivi d'un enchaînement de tweets bien plus équivoques - et de questionnements accusateurs du type "j'étais en avion, et je ne voyais pas la courbure de l'horizon, ça prouve bien un truc".

Ok, B.O.B n'est pas le mec le plus lucide du rap-game - il conteste également Charles Darwin, la NASA, et pense que le gouvernement pratique le clonage humain à grande échelle - mais ses sorties sur les réseaux sociaux ont suffit à attirer l'attention des véritables scientifiques, et notamment l'astrophysicien Neil deGrasse Tyson, présentateur entre autres de l'excellente série documentaire Cosmos.

Partie d'un tweet absurde, l'histoire – tout de même assez géniale - s'est terminée par un clash en musique, avec B.O.B balançant un tas de théories conspirationnistes d'un côté, et Neil deGrasse Tyson rappant trois phrases en feat avec son neveu.

Dans le même genre, en France, on a Sazamyzy, un mec qui considère que "les dinosaures, c'est de la flute" - mais c'est aussi pour ça qu'on l'aime - même si on se doute qu'une réponse de Jamy Gourmaud sur un beat de Punisher aurait beaucoup moins d'impact qu'un clash B.O.B / Tyson. Pourtant, malgré l'aspect moins spectaculaire de l'entertainment français, les cainris ont encore des choses à nous envier, comme par exemple le camembert, l'eau de la Seine, et Rohff.

Malgré une production globalement inégale, qui le voit passer d'un classique intemporel à un titre indéfendable même par ses fans les plus hardcores, Rohff est clairement l'un des rappeurs les plus marquants de l'histoire du rap hexagonal. Il est aussi, avec un très gros taux de probabilité, le pire communiquant de toute l'histoire de la musique française, tous genres confondus. Le jour où Rohff a découvert Twitter, il a failli casser à lui tout seul le réseau, en répondant à tous les tweets qui lui étaient adressés - et particulièrement les critiques ou insultes. Rendant hommage aux fameux "cassos qui font des fautes sur les murs", le rappeur enchaine des dizaines de "va niker ta mère" tout en lâchant quelques perles : "y'a 7 ans t'avais 7 ans", "télécharge et mets-toi le CDR dans le cul", ou encore "lave-toi les doigts pleins de merde avant de me cliquer".

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Mais ce n'est pas fini ! En décembre 2010, alors que son sixième album solo vient de sortir et que les ventes en première semaine s'avèrent décevantes, Rohff se lance dans des justifications improbables sur Facebook, entrant dans la légende avec le désormais célèbre "à cause de la neige". Bon, comme d'hab, ça finit en hashtag vilipendeur sur Twitter, mais n'oublions pas que les utilisateurs de Twitter sont avant tout des gens qui n'ont rien d'autre à faire de leur vie. Il aurait probablement été plus judicieux de se contenter de faire profil bas, mais ce n'est pas tout à fait le style de Rohff.

Preuve en est quelques mois plus tard, à l'occasion de la sortie de son septième album, PDRG… ou plutôt, de la non-sortie, la mise en bacs ayant été repoussée de trois mois. Problème de mastering ? De droits ? De détails à peaufiner ? Non, problème de ramadan.

Bon. Après tout, le prétexte a le mérite de sortir des sentiers battus, même si dans le genre "je pose une excuse abracadabrantesque sur Facebook, mon public n'y verra que du feu", il y a quand même meilleur que Rohff :

Il est absolument impossible de lister tous les faits un peu burlesques de Rohff sur le net - perso j'ai une petite préférence pour le "j'ai dit non à ta zumba, petit" adressé à Maitre Gims - mais le dernier en date est la preuve qu'avec un peu de persévérance, tout le monde finit par s'habituer aux déclarations sans filtre du bonhomme. Accusations à la maison de disques concernant les ventes décevantes, petite attaque à Mouloud Achour, et une tripotée de hashtags rocambolesques (#ChasseLeNaturelIlRevientSurnaturelEnRolssCoupé94).

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Pour conclure, c'est son ancien conseiller en communication qui résume le mieux ce que Rohff serait avisé de faire et de ne pas faire. Rohff est un putain de kickeur, mais le pire communiquant du monde. A faire, donc : aller en studio avec de bons producteurs et des professionnels ; à ne pas faire : s'approcher de près ou de loin d'internet.

Booba est en quelque sorte l'antithèse de Rohff. Techniquement, les deux mecs sont sur un pied d'égalité : ils sont là depuis toujours, ils ont révolutionné le game à plusieurs reprises, ils ont vendu plus que quiconque, etc ; insérez n'importe quel indicateur de succès. Et forcément, ce que Rohff fait mal sur les réseaux sociaux, Booba le fait bien. Dans le fond, la grande différence entre les deux, c'est qu'à chaque fois que Rohff s'est retrouvé au milieu d'une shitstorm, on a passé des années à lui rappeler. Quand Booba se retrouve balloté, une demi-heure plus tard, tout le monde a déjà oublié. Le plus rageant pour Rohff, c'est que Booba - c'est à dire : son ennemi juré - ne fait rien de particulier pour éviter la merde. Il a juste un bouclier d'immunité. C'est très injuste, mais Caliméro se plaint moins, la coquille percée. Vous vous rappelez quand Booba a dit sur Instagram que la Palestine, bon, dans le fond on s'en fout un peu. Pas vraiment, hein ? Non, tout ce qu'on a retenu de cette histoire, c'est que Booba était capable de se clasher avec Tarik Ramadan - ce qui a quand même plus de gueule que Sinik ou Kennedy. Et c'est pareil à chaque fois.

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Dans un style différent, Jul est le prototype parfait de ce que doit faire un rappeur pour fédérer une communauté d'internautes autour de lui. Sans le moindre calcul - ou alors le mec est vraiment machiavélique, derrière sa teinture blonde - il a fédéré un million de personnes sur ses différents réseaux sociaux. Comme tout bonze né dans les années 90, le mec maitrise naturellement Snapchat et Périscope - et a d'ailleurs contribué à populariser cet outil, avant Serge Aurier. Jul est le genre de mec ki fais trois faute d'orthografe par phrase, mais qui s'en bat complètement les couilles - son public n'est pas vraiment du type grammar-nazi. Il communique sans aucun filtre, et c'est sans aucun doute ce qui fait son succès. Une fois de temps en temps, il se connecte sur Facebook à trois heures du matin, et balance deux, trois, ou quatre sons à la suite, gratuitement. Mieux, Jul prend le temps de répondre aux commentaires sous ses statuts ou ses vidéos, et discute avec ses abonnés comme s'il était un internaute lambda.

Mais le plus grand moment de toute l'histoire d'amour entre réseaux sociaux et rap français s'est déroulé en début d'année, sur Périscope, cette application qui permet de diffuser un stream en direct, tout en chattant avec ses spectateurs. "Venez, on écrit un morceau ensemble" : le pas était franchi. Plutôt que de servir à son public de la musique déjà prête, il a impliqué ses fans jusque dans son processus créatif -en gros, les mecs ont collaboré pour lui écrire une chanson, pour choisir le beat, et l'ont vu enregistrer en direct. La chanson, postée sur Youtube, a fait 6 millions de vues en un mois. Jul, t'es le yeurmé.