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Les créateurs du dernier Doom racontent comment ils l'ont rendu aussi cool

"Ok, on y va à fond. Pas de fioritures." Et merci Mad Max !

Rien n'est plus emblématique de l'esprit du dernier Doom que les "Glory Kills", ces sortes de coups de grâce délivrés par le space marine incarné par le joueur quand il arrache la tête des démons ou qu'il leur éclate le crâne à coups de poing pour grappiller quelques points de vie supplémentaires. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que tout le jeu ait été bâti autour de ce coup de génie originel, si l'on en croit le directeur de création du jeu Hugo Martin. À l'occasion d'une table ronde au QuakeCon ce week-end, Martin a raconté comment l'équipe d'animation avait réalisé une séquence cinématique il y a quelques années dans laquelle on voyait les glory kills, sans pouvoir y jouer. Tout le monde a vu cette vidéo, et c'est à ce moment-là que l'épiphanie a eu lieu. Les développeurs savaient qu'ils allaient dans la bonne direction.

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Aujourd'hui, Doom va très bien, merci pour lui. Bethesda Softworks, qui édite le jeu, n'a pas encore livré les chiffres de ventes, mais les données dont nous disposons concernant les ventes sur Steam montrant que près d'un million de joueurs ont acheté le jeu rien que sur PC. Et maintenant que Doom a rencontré le succès que l'on sait, ses créateurs sont prêts à raconter comment ils en sont arrivés là. J'ai assisté à la fameuse table ronde samedi, mais j'ai surtout eu la chance, la veille, de discuter en privé avec le créateur du jeu, Marty Stratton, au sujet de ce long chemin vers l'enfer.

Fort heureusement pour nous, cette route était moins pavée de bonnes intentions que modelée par le désir de raviver une flamme vacillante. Stratton affirme que la décision de créer un nouveau Doom n'a jamais été mise en doute.

"Quand vous travaillez chez id Software, vous pensez forcément à Doom. Ce n'est pas comme si on avait cinquante franchises sur le feu et qu'on se réveillait un beau matin en pensant : "Oh merde, on a complètement oublié Doom."

Image: id Software.

La question, c'était : que faire ? Le dernier Doom en date, Doom 3, datait de 2004, et il s'était un peu écarté de l'esprit original avec ses accents plus sombres tirant vers le survival horror (j'avoue que moi-même, j'avais du mal à y jouer toutes lumières éteintes). Les développeurs ont exploré quelques idées pour un nouveau Doom dont Stratton ne semble pas vouloir parler, bien qu'il existe des leaks de ce projet. D'après Peter Hines, le directeur adjoint des relations publiques de Bethesda, le projet a été annulé car il ressemblait trop à Call of Duty.

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"On s'est dit : Ok, on y va à fond. Pas de fioritures, se souvient Stratton. On va tout miser sur l'attitude du Marine, à la première personne. Il ne dira rien. Il ne parlera qu'avec ses poings."

Stratton raconte volontiers comment lui et son équipe chez id ont listé sur un tableau blanc tout ce qui constituait selon eux "l'ADN" de Doom. Doom 3 étant sorti presque dix ans auparavant, l'idée était moins d'en faire une suite que de faire un véritable reboot, comme celui que nous connaissons aujourd'hui. Parmi les pistes explorées, très peu allaient dans le sens d'un scénario très développé à la Bioshock, ou d'un gameplay raffiné façon Gears of War.

"Le scénario n'existe que pour donner au joueur le sentiment d'avoir une grosse paire de couilles", a expliqué Martin lors de la table ronde. Même son de cloche du côté de Stratton, qui rend hommage aux animateurs en saluant leur capacité à donner un tel sentiment de puissance aux joueurs via les actions et les mouvements du personnage, ce qui a permis à l'ensemble de l'équipe d'effectuer un retour aux sources de Doom, à contre-courant de la plupart des jeux modernes.

"On s'est dit : Ok, on y va à fond. Pas de fioritures, se souvient Stratton. On va tout miser sur l'attitude du Marine, à la première personne. Il ne dira rien. Il ne parlera qu'avec ses poings."

À la table ronde, Stratton a montré une vidéo dans laquelle on voit différentes idées explorées par les créateurs du jeu en 2012 et 2013, où l'on voit le héros démolir des aliens sous un ciel bleu, au milieu de ruines de béton qui rappellent davantage la banlieue de Detroit que la surface de Mars. Mais ce n'est pas la seule différence : le jeu était alors nettement plus lent, comme si le héros pataugeait dans la boue au lieu de courir sur du béton. Mais malgré tout, une constante lie les deux jeux : l'ultraviolence des fameux glory kills, déjà bien présente.

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"J'étais là, 'Oh, ta gueule !', sourit Stratton. J'ai pas envie qu'on me dise ce que je dois faire. Je suis le marine de Doom. C'est mon jeu, pas ton jeu."

La clé de ce nouveau Doom, selon Stratton, c'était de "revenir à l'essentiel." Doom a contribué à la popularité du genre FPS en 1993, mais depuis, ses héritiers ont eu tendance à s'encroûter et à crouler sous le poids des innovations, des moteurs de jeu et des graphismes trop complexes, de scénarios souvent trop alambiqués, et d'une multitude de fonctionnalités inutiles qui distraient le joueur et atténuent l'action. Des reproches qu'on aurait d'ailleurs initialement pu adresser au nouveau Doom, d'ailleurs. Stratton raconte qu'au départ, il y avait un personnage nommé Spencer qui parlait en permanence et informait le héros de ce qu'il se passait autour de lui, lui indiquant qu'il fallait qu'il quitte la pièce, qu'il "trouve la clé bleue" ou encore qu'il échappe à un incendie.

"J'étais là, 'Oh, ta gueule !'', sourit Stratton. J'ai pas envie qu'on me dise ce que je dois faire. Je suis le marine de Doom. C'est mon jeu, pas ton jeu."

Il était donc temps d'en revenir aux fondamentaux. Ce n'est pas parce qu'on peut rajouter des heures et des heures de dialogues dans un jeu qu'il faut forcément le faire. Beaucoup d'idées - donner une voix au personnage principal, introduire des personnages plus loquaces - furent écartées au cours de la production. Stratton raconte s'être montré intransigeant sur ce point. Évidemment, tous ces choix comportaient des risques. Mais au printemps 2015, Stratton a vu ses partis pris être validés d'une manière inattendue : le succès critique et populaire de Mad Max : Fury Road. À l'instar de Doom, il s'agissait de la résurrection d'une vieille franchise ; et tout comme Doom, le film était une réussite précisément parce qu'il revenait à l'essentiel.

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"J'ai été soufflé par les choix de George Miller, raconte Stratton. Max ne parle quasiment pas. C'est presque littéralement d'une poursuite en voitures d'un point A à un point B, puis du point B au point A. C'est incroyablement fun. C'est de la folie pure, sans concessions."

Image: id Software.

Certains se sont tout de même demandé si id n'était pas allé un peu trop "à l'essentiel", le nouveau Doom laissant assez peu de place aux modders qui s'en sont tant donné à coeur joie sur Doom et Doom II. Aujourd'hui encore, des joueurs y créent des choses merveilleuses en permanence, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises au cours des derniers mois.

Certes, Doom possède un mode "SnapMap" qui permet aux joueurs de créer leurs propres niveaux, mais c'est quand même assez limité, et ça ne rallonge pas franchement la durée de vie du jeu. Mais Stratton assume, et affirme avoir pris la décision d'interdire les mods "très tôt, presque au tout début du développement du jeu", en grande partie parce que le jeu fait déjà 50 Go. La faute au niveau de détail des graphismes, dit-il.

"Avec les anciens Doom, on avait affaire à des données très légères, les niveaux étaient très simples, et je pense que c'est pour ça qu'ils sont toujours aussi populaires - c'est très accessible, dit-il. Quand on voit la taille du jeu aujourd'hui et la complexité de nos outils, ce n'est clairement pas accessible. Vraiment pas."

On discerne des accents presque politiques dans les réponses de Stratton, et il sera intéressant de voir si la communauté des joueurs de Doom parvient à faire naître une véritable communauté de modders, que Bethesda et id le veuillent ou non. Pour l'heure, on voit mal comment on pourrait atteindre le même niveau d'enthousiasme que quand John Romero, le co-créateur du tout premier Doom, a diffusé une nouvelle map pour la première fois depuis 21 ans. Ce qui soulève une autre question.

Alors que Stratton s'apprêtait à quitter la table ronde, je l'ai rattrapé et je lui ai demandé s'il avait eu des échos émanant de John Romero et John Carmack, les créateurs de Doom, au sujet de son travail.

"Rien, m'a-t-il répondu. Rien du tout."